L'industrie européenne en route vers la Lune et Mars
Par Sophie Bécherel
Au congrès annuel astronautique international qui se tient actuellement en mode virtuel, l'Agence Spatiale Européenne a octroyé plusieurs contrats aux industriels pour développer des modules et vaisseaux destinés aux programmes lunaires et martiens.
Après deux décennies de participation à la Station Spatiale Internationale, l'Europe se voit confier par la NASA plusieurs éléments clés de la mission ARTEMIS, projet phare de l'agence américaine pour renvoyer des astronautes sur la Lune et y séjourner. Ce n'est pas un programme en coopération, mais la place laissée à l'Europe atteste de ses compétences et de la confiance de l'agence américaine dans les équipes industrielles de ce côté de l'Atlantique.
D'abord la Lune
Dans la perspective de l'installation d'une ou de plusieurs bases permanentes sur notre satellite, la NASA a prévu une station orbitale. Gite pour les équipages qui viendront s'y reposer de temps en temps, ce sera aussi un gite étape vers les missions martiennes du futur. Dans cette mini station, dont la construction doit commencer dans deux ans et demi, les Européens vont construire la partie habitée I-HAB.
Thales Alenia Space a signé le contrat pour un montant de 327 millions d'euros dont une première tranche de 36 millions. "La grande différence, et le premier défi, c'est que ce module n'est pas situé à 400 km d'altitude comme la plupart des modules que nous avons réalisé dans le cadre de l'ISS" souligne Xavier Roser, responsable des projets futurs de Thales Alenia Space. " C'est un environnement plus dur d'un point de vue des radiations et des micrométéorites qui nécessite un effort de blindage plus important" ajoute -il. D'un point de vue technique, il faudra à la fois augmenter le nombre de couches en pelure d'oignon du module et choisir des matériaux suffisamment légers pour ne pas alourdir la charge de la fusée au décollage. Cette station en orbite lunaire, capable d'accueillir quatre personnes, sera beaucoup plus petite que l'actuelle ISS car elle n'a pas vocation à être habitée constamment. Elle devra gagner en autonomie, ce qui signifie ne pas tomber en panne et rester propre sans le nettoyage d'humains (pas de moisissures par exemple qui se développeraient en l'absence d'occupants).
Autre module d'importance confié à Thales Alenia Space : ESPRIT. Sa fonction est double: il sert de ravitailleur à la future station et pour les communications. Quand les astronautes ne seront plus en visée directe de la Terre (au Pôle sud ou sur la face cachée de la Lune), il faut qu'il puisse rester en contact radio avec la station orbitale Gateway. Enfin, une passerelle, équipée de hublots avec vue imprenable sur la Lune et la Terre a été imaginée. "C'est très important pour les astronautes car cela leur permet d'avoir une vue sur leur environnement direct. On l'a vu sur la Cupola de l'ISS" explique Xavier Roser. "Il y aura le plaisir de voir la lune de près". La cupola dans l'ISS est ce module avec plusieurs fenêtres qui permet de voir la terre défiler et dans lequel les équipages ont beaucoup de plaisir à aller. "Développée avec l'aide de la réalité virtuelle, elle a permis à des astronautes sur le site de Turin, où elle est conçue, de donner leurs remarques pour la rendre plus fonctionnelle" ajoute Xavier Roser.
À l'instar de Thales Alenia Space, Airbus Space Systems récolte lui aussi une part de la mission lunaire. Il s'agit de trois à cinq alunisseurs lourds EL3, capables de livrer à chaque voyage 1,7 tonnes de fret aux bases américaines. Ils devraient entrer en service à la fin des années 2020 précise l'entreprise.

Puis Mars
Pour Airbus, plus que la lune, c'est la portion martienne qui constitue le gros morceau. Il a la responsabilité du robot qui rassemblera les échantillons avant de les envoyer en orbite et de l'orbiteur (à la fois relais de communication et collecteur de la précieuse collecte) . Et là, l'Europe n'agit pas en contractant des Américains mais bien en collaboration avec la NASA. Question de coûts et de savoir-faire. Le retour d'échantillons martiens est en effet un graal pour les planétologues. D'abord parce que "se poser sur Mars est un challenge" dit Philippe Pham, responsable de l'observation de la terre, de la navigation et de la science chez Airbus space systems. Il y a eu près de 50% d'échecs dans le passé.
Ensuite parce que chaque étape, incroyablement difficile et inédite, conditionne la suivante. Après que le robot Perseverance (parti en juillet 2020) aura sélectionné les roches martiennes et déposé les échantillons dans de petits tubes, le robot "Sample fetch rover" fabriqué par l'industriel européen ira les collecter. Réunis dans une capsule de la taille d'un ballon de football, il les transportera jusqu'à la petite fusée qui redécollera de la planète rouge pour aller lâcher son chargement en orbite. Une nouvelle fois, le savoir faire européen sera mis à contribution. Airbus doit en effet développer un orbiteur (Earth Return Orbiter), celui qui rapportera sur terre les cailloux martiens à des fins d'analyse en laboratoire. C'est lui qui aura largué le rover ! Si tout se passe bien car, mu par la propulsion électrique, cet orbiter sera flanqué de deux panneaux solaires de 144M2. Une fois déployées, ces ailes de géant devront résister au freinage lors de la descente vers Mars. La solidité des panneaux et la puissance électrique sont deux défis à relever selon Christian Lebranchu, chef du projet ERO chez Airbus.
L'orbiter ERO en 2026, devra dans un premier temps détecter la cible à vue. "Le défi est de détecter un objet complètement passif, très peu lumineux par rapport à un ciel étoilé qui défile tout autour avec des étoiles bien plus lumineuses que l'objet. Et ensuite, il faut déterminer sa vitesse pour s'en approcher et l'amener dans le corridor de capture de notre sonde" raconte Christien Lebranchu. Ensuite, de façon automatique, c'est à dire sans que la terre puisse envoyer des ordres, (la distance Mars-Terre empêche les communications instantanées) la capsule d'échantillons doit rentrer dans la sonde avant d'enclencher le retour sur terre. C'est dans l'Utah que la cargaison sera larguée. La sonde devant pour éviter toute pollution planétaire, s'écarter et se tenir à bonne distance de la Terre pendant 150 ans.