La bonne âme de Se-Tchouan
de Bertold Brecht mise en scène par Jean Bellorini avec Danielle Ajoret, Michalis Boliakis, François Deblock, Karyll Elgrichi, Claude Evrard, Jules Garreau,Camille de la Guillonnière, Jacques Hadjaje, Med Hondo, Blanche Leleu, Côme Malchiodi, Clara Mayer, Teddy Melis, Léo Monème, Marie Perrin, Marc Plas, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic, Damien Zanoly
La Bonne âme du Se-Tchouan
Tout doucement, sans bruit mais en musique, la compagnie Air de lune est devenue l’une des plus populaires de France. Jean Bellorini s’était déjà fait remarquer avec sa Tempête sous un crâne, une adaptation des Misérables pour sept comédiens et deux instrumentistes cosignée avec Camille de la Guillonnière, et qui n’a pas cessé de tourner dans tout le pays depuis sa création en 2010.
Deux ans plus tard, les deux complices récidivent avec Paroles gelées, d’après le Quart Livre – autre spectacle toujours en tournée après avoir valu plusieurs prix à son metteur en scène, dont celui de la Révélation Théâtrale 2012 décerné par le Syndicat de la critique. Une fois encore, Bellorini réussit à déployer à partir d’une langue extraordinairement inventive, celle de Rabelais, l’espace d’un théâtre vivant, bruyant, truculent, qui interpelle et éblouit ses spectateurs embarqués pour un périple riche en rebondissements et en joies partagées. Après Hugo et Rabelais, comment s’attaquera-t-il à Brecht, quelles harmoniques grinçantes lui et ses dix-huit comédiens vont-ils en tirer ?« Il ne s’agit pas d’être actuel, » confie le metteur en scène, « il s’agit d’être contemporain ». Contemporain comme le monde « où la dureté est une valeur qui se nourrit de tous nos égoïsmes » . Les tribulations de la vaillante Shen Té étaient faites pour attirer Bellorini, qui assume franchement son humanisme et son amour des formes populaires, l'essentiel selon lui étant que les artistes puissent s’expliquer directement, au présent, avec le public. Il a été attiré par une fable dont la dimension didactique, selon lui, « a tendance à s’effacer devant le poétique et le lyrique », mais sans disparaître tout à fait. Pour récompenser Shen Té, la prostituée au grand coeur, les dieux lui offrent de l'argent, mais sans aucun conseil sur la façon de l'employer. C'est qu'apparemment, tout en sachant déchiffrer la vertu cachée dans le coeur de l'homme, les Inspirés ne songent pas à en partager le secret avec nous : qu'un seul être en vaille la peine, voilà un spectacle qui suffit à leur quête, mais ils ne se soucient pas pour autant de rendre le monde meilleur. Or l'humanité, elle, se débat dans un tel monde imparfait, et avant tout pour y survivre. Comment sortir de la misère quand l'homme est un loup pour l'homme ? Peut-on préparer l'avenir sans rester sourd à l'urgence du malheur présent ?Brecht, ici, pose des questions comme on lance des appels , jusqu’à l’épilogue qui, loin de rien résoudre, donne plus d’acuité encore à l’appel au secours de Shen Té, que les Dieux désignent comme bonne avant de l’abandonner à sa bonté…Entre mélodies de rêve et rumeurs de réalité, Bellorini nous promet un spectacle à la hauteur de ces interrogations : « simple, drôle, et aussi terrible », conduit sur un rythme de bal, dans esprit de fanfare... et en présence d'un pianiste fou.
La chanson de la fumée
Avant que mes cheveux n’aient blanchi avec l’âgeJ’espérais m’en sortir à la façon des sages.Mais aujourd’hui je sais que ça ne suffit pasA remplir l’estomac d’un pauvre, loin de là.Et c’est pourquoi j’ai dit : laisse tomberRegarde la fumée griseQui va vers des froids toujours plus froids :Ainsi tu t’en iras.L’honnête et l’appliqué je les ai vu brimésAlors j’ai essayé le chemin détournéMais il nous mène toujours plus basQue faire alors, qui me le dira ?Et c’est pourquoi j’ai dit : laisse tomberRegarde la fumée griseQui va vers des froids toujours plus froids :Ainsi tu t’en iras.Ceux qui sont vieux dit-on n’ont plus à espérerSeul le temps fait l’espoir et le temps a filéMais aux jeunes, dit-on, la porte s’ouvre bienCertes, dit-on, elle s’ouvre, mais c’est sur rien.Et c’est pourquoi j’ai dit : laisse tomberRegarde la fumée griseQui va vers des froids toujours plus froids :Ainsi tu t’en iras.Bertolt Brecht : La Bonne âme du Se-Tchouan - (version française de Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière)