La chasse aux sorcières : un crime contre l’humanité ? Avec Catherine Clément

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La chasse aux sorcières : un crime contre l’humanité ? Avec Catherine Clément

Trois sorcières sur un bûcher au XVe siècle. Gravure du XIX tirée d'une collection privée.
Trois sorcières sur un bûcher au XVe siècle. Gravure du XIX tirée d'une collection privée.
© AFP - Leemage

Dans son dernier livre "Le Musée des sorcières" (Albin Michel), la philosophe écrit « Les génocides du XXème siècle ont plongé dans l’oubli ce long crime contre l’humanité que fut la chasse aux sorcières en Europe et dans ses colonies ». Retour sur ces féminicides de masse orchestrés par l'Eglise.

Invitée de l'émission Une semaine en France, la philosophe, professeure, essayiste, journaliste, romancière, conférencière, ambassadrice de culture, et grande voyageuse, Catherine Clément, est revenue sur ce passage sanglant de l’histoire au micro de Claire Servajean. 

La chasse aux sorcières, un crime contre l’humanité

Catherine Clément : "Quand  un magistrat, Pierre de Lancre, descend de Bordeaux, se transforme en inquisiteur, et qu’en quatre mois, il brûle 80 femmes ! Comment appeler cela autrement ? 

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On connait cette chasse aux sorcières par les archives. Contrairement à une idée reçue, l’acmé de ce terrible événement est au XVIe et XVIIe siècle. Il est très difficile de savoir combien de femmes sont mortes en tout. On sait qu’en Allemagne, il y en a eu plus qu’en France. Comme les chiffres dépendent des inquisiteurs, c'est compliqué d’établir une moyenne européenne. 

Mais on doit arriver au chiffre de 200 000 environ."

Un crime théorisé par l’église

CC : "Un premier pape, Jean XXII, prend en 1317 la chasse aux sorcières sous son autorité. Avant lui, la chasse aux sorcières était un lynchage de village. 

Ces supposées magiciennes étaient attrapées par les paysans. Ils les brûlaient, les noyaient ou les déchiquetaient sans aucun jugement. 

Progrès ou pas progrès ? Le pape Innocent VIII en 1484 décide de prendre sous sa coupe l'hérésie des sorcières. Puis un autre s**’est chargé d’inventer des inquisiteurs et une inquisition spéciale."**

« Le Marteau des sorcières » incroyable manuel d'inquisition

CC : "Le Marteau des sorcières n'est pas le premier livre d'inquisition. Il y en a eu trois ou quatre avant. Celui-ci a été publié à Strasbourg en 1486. Rédigé par deux Dominicains, il a été très diffusé. Surtout, il a connu une édition de poche pour « tenir dans la poche d'une soutane » ! 

L'ouvrage est ce qui se fait de mieux pour comprendre aujourd'hui le processus de cette chasse aux sorcières. 

C’est un gros livre, très mal écrit, plein de ragots, absolument pas rationnel et fait de bric et de broc. Il contient trois principes. Mais surtout un objet : le membre viril, car la sorcière "menace et fait s’affaisser le membre viril". Elle aurait le pouvoir de rendre les hommes impuissants. 

Ce Marteau des sorcières contient plein de chapitres sur comment mesurer cette faiblesse. 

Trois principes pour détecter une sorcière, dont au moins deux, dont je suis certaine. Il faut se mettre face à la sorcière et lui dire, probablement en latin : « si tu es innocente, pleurs et si tu es coupable, ne pleure pas. ». Il n’est pas certain que toutes les femmes comprenaient la question : beaucoup étaient analphabètes. Dans la plupart des cas, face à l'inquisiteur, elles se taisaient. Il pouvait alors décréter qu’elles étaient des sorcières. 

Le deuxième principe est tout aussi ridicule : « si tu es une sorcière, tais-toi et si tu n'es pas sorcière parle. »  C'est le principe de taciturnité assez incroyable." 

Les Odyssées
16 min

Une histoire emblématique 

CC : "Dans les Pyrénées-Atlantiques, des femmes dont les maris étaient partis à la pêche à la baleine dans le golfe du Saint-Laurent ont été accusées de sorcellerie. (NDLR : Un film sur un sujet similaire côté espagnol _Les Sorcières d'Akelarr_e sortira en mars 2021) Les femmes sont donc seules l'été, ce qui déjà, est un péché en soi. Leur deuxième pêché : elles se baignent dans la mer. Et la mer, c'est mal. Le bien, c'est la terre. 

C'est ce qu'écrit le magistrat Pierre de Lancre au début du XVIIe siècle. Lettré, et cultivé, il donne beaucoup de détails. Il raconte ces femmes libres croquant des pommes, comme Eve, sautant, et faisant la sarabande, une danse qui, selon lui, est faite pour avorter.

Avec de tels arguments, il met 80 femmes sur le bûcher en quatre mois. 

Il doit ensuite partir assez vite. A leur retour les pêcheurs ne sont pas heureux de retrouver leurs femmes mortes de cette incroyable injustice. 

Pierre de Lancre décrit la séduction particulière des cheveux dénoués. Il évoque des "femmes en cheveux qui lancent des éclairs". Un détail qui n'est pas propre à la religion catholique. Chez les juifs et les musulmans, il est aussi question de cheveux brillants à supprimer." 

1682 : fin des poursuites contre les sorcières

La Bande originale
1h 18

CC : "En1682, une ordonnance générale proclame l'arrêt des poursuites des sorcières. Madame de Montespan, la deuxième favorite du Roi-Soleil, joue un grand rôle à la cour. Elle a eu sept enfants du Roi Soleil et elle commence à être marquée. Elle tente de trouver des recettes de beauté. Elle fréquente alors Catherine Monvoisin, dite La Voisin. Aujourd'hui, on dirait une rebouteuse ou une coach. 

Cela a débouché sur l'affaire dite des poisons. Comme le nom de Mme de Montespan commence à circuler, pour protéger la réputation des enfants du roi, les accusations de sorcellerie ont été interdites. Et Colbert s'est fendu d'un mémoire pour la défendre." 

ÉCOUTER | Une semaine en France avec Catherine Clément

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