La dernière enfant de djihadistes français encore retenue dans une prison irakienne rapatriée à Paris

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La dernière enfant de djihadistes français encore retenue dans une prison irakienne rapatriée à Paris

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 La dernière fille de la djihadiste française Mélina Boughedir, ici dans une prison irakienne. Cette enfant, âgée de 2 ans et demi, vient d’être rapatriée en France
La dernière fille de la djihadiste française Mélina Boughedir, ici dans une prison irakienne. Cette enfant, âgée de 2 ans et demi, vient d’être rapatriée en France
- Salam Salman - Photographie exclusive France Inter, toute reproduction interdite

INFO FRANCE INTER - Elle était la dernière enfant française emprisonnée en Irak avec sa mère djihadiste. La dernière fille de Mélina Boughedir a quitté la prison de Bagdad où elle a passé les deux tiers de sa vie. La fillette de deux ans vient d’être rapatriée pour être placée dans une famille d'accueil.

Elle est une petite fille aux grands yeux noirs. La dernière fois que nous l’avions vue, elle était enfermée dans la prison pour femmes de Bagdad, accrochée à sa mère, Mélina Boughedir, condamnée à 20 ans de prison en Irak pour avoir rejoint Daech à Mossoul avec son mari Maximilien Thibaut et leurs enfants. Sa mère a fini par accepter qu'elle soit rapatriée en France, comme ses frère et soeurs avant elle. La fillette de deux ans et demi a atterri dans un aéroport parisien, ce mercredi

Plus de deux ans dans les geôles irakiennes 

La fillette, dernière-née d’une fratrie de quatre, aura passé plus de deux ans dans des prisons irakiennes, sans jouet, et sans jamais sortir prendre l’air. "Je ne veux pas qu’elle sorte", nous expliquait sa mère, en janvier 2019, lors d’un reportage exclusif à l’intérieur de cette prison remplie de centaines de détenues pour terrorisme, incarcérées avec leurs enfants. 

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Dehors, la seule bouffée d’air possible eût été dans une sorte de grande cage grillagée, face à la porte d’entrée de la prison. Espace poussiéreux, trop exigu pour que les enfants puissent s’y défouler réellement. Les enfants que nous avons vus là étaient d’ailleurs presque tous accroupis, les uns contre les autres, triturant des cailloux, pour seuls jeux. Mélina Boughedir, 28 ans, préférait donc garder son bébé avec elle, dans une cellule surpeuplée. "On est 90 femmes et enfants dans la même cellule", affirmait-elle. Elle a partagé pendant des mois cette cellule avec Djamila Boutoutaou, l'autre djihadiste française condamnée en Irak en 2018, elle aussi longtemps incarcérée avec sa fillette, avant que l'enfant ne rentre en France, en mars 2019.

"Elle pleure souvent. Quand je sentirai qu’elle en a vraiment marre, je la laisserai repartir en France"

En Irak, "les enfants peuvent rester en détention avec leur mère jusqu’à leurs 3 ans", précisait la directrice de la prison, ayant du mal à justifier pourquoi des adolescents étaient encore là, eux aussi, derrière des barreaux, avec leurs mères, essentiellement condamnées à des très lourdes peines.

"Elle pleure souvent. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle a mal aux dents, ou parce qu’elle en a marre. Mais quand je sentirai qu’elle en a vraiment marre, je la laisserai repartir en France", assurait alors Mélina Boughedir, tout en serrant contre elle, sa petite fille au corps frêle, la dernière de ses quatre enfants.

Rapatriée avec l'aide de la Croix Rouge 

Mélina Boughedir a été la première djihadiste française à accepter de se séparer de ses trois aînés, alors âgés de 3, 5 et 7 ans. C’était en décembre 2017. Ils avaient été les premiers enfants de djihadistes rapatriés en France sans leurs parents, avec l’aide de la Croix Rouge. Six mois plus tôt, leur mère avait été arrêtée avec eux par l’armée irakienne, dans les ruines de Mossoul ; c’était le début de la chute du califat de Daech. Leur père, censé être parti chercher de l’eau pour sa famille, avait disparu cet été-là, et reste présumé mort. 

En cette fin d’année 2017, leur mère devait être jugée pour une simple entrée illégale sur le territoire irakien, et elle espérait avoir bientôt purgé sa peine de prison. Quelques semaines plus tard, en février 2018, un premier tribunal irakien jugeait donc cette Française originaire de région parisienne et la condamnait à sept mois de prison déjà purgés. En France, les enfants étaient préparés aux prochaines retrouvailles avec leur mère et leur petite sœur. 

Et puis, retournement de situation. La justice irakienne décidait finalement de rejuger Mélina Boughedir, cette fois pour terrorisme. En juin 2018, elle a ainsi été condamnée à perpétuité, en réalité 20 ans de prison, par la cour pénale centrale de Bagdad. Elle risquait la peine de mort. Elle avait écouté la sentence des juges irakiens sans comprendre, son bébé dans les bras, debout, dans une sorte de cage de bois. Elle n'avait plus lâché ce bébé, se désolant de ne presque plus avoir de nouvelles de ses aînés.

Placée dans une famille d'accueil à son arrivée

En prison, sans cesse agrippée à sa mère, cette enfant regardait souvent les quelques photos de son frère et de ses sœurs, que la Croix Rouge avait fait parvenir de Paris à Bagdad. "Son frère et ses sœurs lui manquent", assurait Mélina Boughedir, qui s'est donc résolue à laisser repartir sa dernière fille, âgée de deux ans et demi. Elle attend désormais son procès en appel, dont "elle n'a toujours aucune nouvelle", précisent ses avocats français, William Bourdon et Vincent Brengarth.

La fillette qui a atterri ce mercredi à Paris était née à Mossoul, sous Daech. Elle ne connaît donc pas encore la France. Dès son arrivée, elle a été placée avec son frère et ses sœurs aînés, dans la même famille d’accueil, sous la protection de l'Aide sociale à l'enfance de Seine-Saint-Denis, et d’une juge des enfants de Bobigny. La magistrate autorisera sans doute prochainement des visites aux grands-parents. Comme c’est le cas pour tous les enfants de retour de Daech, la petite fille va être soumise au même protocole que tous les enfants de djihadistes déjà rentrés : suivi psychologique au long cours, placement dans l’attente des conclusions d’une enquête sociale menée par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Une centaine de petits Français ont ainsi été pris en charge, depuis 2016. Quelque 300 autres enfants français restent retenus dans des camps du Kurdistan syrien. Leurs grands-parents réclament toujours désespérément un retour pour eux aussi. Au nom de l’égalité entre tous les enfants. Beaucoup de familles redoutent aussi que les enfants encore retenus au Kurdistan syrien, soient un jour transférés dans des prisons d'Irak. Comme l'ont été certains de leurs parents cette année.