La destitution de Mariano Rajoy marque-t-elle la fin d’une Espagne corrompue ?

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La destitution de Mariano Rajoy marque-t-elle la fin d’une Espagne corrompue ?

Mariano Rajoy après le vote de défiance du 1er juin 2018
Mariano Rajoy après le vote de défiance du 1er juin 2018
© AFP - Oscar Del Pozo

Mariano Rajoy n’est plus. Impliqué dans un vaste scandale de corruption, sa destitution et la mort annoncée du Parti populaire marquent-elles pour autant la fin d’une ère politique espagnole marquée par un système de corruption institutionnalisée ? Retour sur cinq affaires qui ont ébranlé le mandat de Mariano Rajoy.

Filesa, Naseiro, Ere, Gürtel, Bárcenas, Nóos, Púnica… Voici la liste non-exhaustive des nombreuses affaires de corruption qui ont éclaboussées la politique espagnole depuis les années 1990. Si les scandales s’accumulent depuis plusieurs années du côté du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, la quasi-totalité des partis, de droite comme de gauche, semblent gangrenés par un système aussi véreux que structurel. Politiques, institutions, pouvoir judiciaire, administrations régionales, en passant par les syndicats, aucune sphère ne semble échapper à l’appât du gain dans un pays touché par une crise économique et politique durable.

Affaire ERE, le Parti Socialiste et les syndicats au coeur du scandale

Après sept années d’enquête, un procès a été entamé à la mi-décembre 2017 à l’encontre de deux anciens présidents de la région d’Andalousie et membre du Parti socialiste espagnol, ainsi que 20 co-disciples affiliés à des syndicats et membres de sociétés publiques. Le ministère public espagnol les accuse d’avoir détourné pas moins de 741 millions d’euros entre 2010 et 2011. 

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Cet argent provient des Expedientes de regulatión de empleo (ERE), normalement dédiés à financer les plans de licenciement et le reclassement des salariés dans les entreprises en difficulté. En lieu et place, l’argent aurait servi à payer des sociétés, à verser des pots de vins et à financer des repas, fêtes ou cadeaux destinés aux syndicalistes d'Andalousie. Parmi les personnalités mises en cause, deux ex-présidents du gouvernement régional, Manuel Chaves et José Antonio Griñán et des membres de l'Union générale des travailleurs d'Andalousie (UGT-A), deuxième syndicat du pays. Devant l'ampleur de la polémique, la région a ouvert sa propre enquête sur dix-sept subventions accordées à l'UGT, pour un montant total de 7,5 millions d'euros.

Affaire Lezo, un cas symptomatique d'un système espagnol corrompu 

Le 20 avril 2017, les forces de sécurité ont arrêté l’ex-président de la région de Madrid, Ignacio González, à la tête de Canal de Isabel II, la société publique de distribution de l'eau à Madrid entre 2003 et 2012. Le membre du parti conservateur a été placé en détention préventive pour le détournement présumé de 23,5 millions d’euros vers des paradis fiscaux. L’homme aurait acheté plusieurs compagnies à prix gonflés en Amérique Latine. Les investissements auraient ensuite servi à détourner des fonds à des fins d’enrichissement personnelles et financer illégalement le parti de Mariano Rajoy.

En février 2017 déjà, Ignacio González avait suscité certaines interrogations en se montrant satisfait de la nomination de Manuel Moix, un proche du parti conservateur, à la tête du parquet anti-corruption. À peine nommé, le juge avait tenté de freiner une perquisition au domicile de l'ancien président dans le cadre de l’affaire. En balance vis-à-vis de l'opinion publique, Manuel Moix a posé sa démission en juin  2017 après avoir découvert que lui et plusieurs membres de sa famille possèdent des parts au sein d’une société offshore domiciliée au Panama.

Dans l’affaire du Canal d’Isabel II, la sphère médiatique a elle aussi été touchée puisque le directeur du journal conservateur La Razón, Francisco Marhuenda, et son président, Mauricio Casals, ont aussi été mis en examen. Ils sont soupçonnés d’avoir fait pression sur l’actuelle dirigeante de la région, Cristina Cifuentes (elle aussi membre du PP et à l’origine des nouvelles révélations), pour éviter qu’elle ne dénonce l’affaire. 

Affaire Punicà : 51 personnalités publiques arrêtées

En décembre 2013, El Pais révèle la découverte d’un compte bancaire en Suisse sur lequel Fransisco Granados, l’ex-secrétaire général du Parti populaire à Madrid, aurait cumulé 1,5 millions d’euros. Le 27 octobre 2014, 51 personnes, politiques, fonctionnaires et chefs d’entreprise, présumés membres d’un vaste système de corruption, sont interpellés par la Guardia civil . Plusieurs hommes politiques des communautés autonomes de Madrid, León, Valence et Murcie auraient ainsi reçu, entre 2012 et 2017, des pots-de-vin allant de 2 à 3 % pour chaque contrat public qu’ils adjugeaient aux entreprises impliquées dans ce réseau. Au total 250 millions d’euros de contrats publics auraient été attribués en échange de paiements illégaux.

Affaire Nóos : quand la famille royale se mêle au scandale

Iñaki Urdangarin, le mari de Cristina de Bourbon, la sœur du roi d’Espagne Felipe VI, a été accusé de malversation de fonds publics, fraude et trafic d’influence par l’intermédiaire de l’institut à but non-lucratif Nóos. Président de la structure, l’homme aurait profité de l’image de la couronne pour faire des affaires avec des administrations des Baléares et de Valence, dirigées par le Parti populaire. Par un système de gonflement des factures, il aurait ainsi cumulé plusieurs millions d’euros entre 2004 et 2007. L'homme d'affaires a finalement été condamné à six ans et trois mois de prison et 500 000 euros d’amende. La fille de Juan Carlos, dans un premier temps inculpée à son tour dans l’affaire pour complicité de fraude fiscale dans une affaire de détournement de fonds publics, a été déclarée non coupable par le tribunal des îles Baléares. Soucieuse de préserver son image et d'éloigner les soupçons, la couronne a banni l'infante Cristina des événements officiels et l'a poussée à trouver refuge en Suisse pour fuir la pression médiatique.

Le Journal de 19h
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L’affaire Gürtel : le coup de grâce

L’affaire Gürtel peut être considérée à maints égards comme l'un des plus gros scandales de malversations de ces quatre dernières décennies. Mis au jour dès 2013 avec l'affaire dite "Bárcenas", ce scandale révèle l’existence d’un réseau délictuel et l’obtention de fonds illégaux entre le Parti populaire (PP) et un groupe privé « à travers la manipulation de marchés publics », ainsi que l’existence d’une caisse noire au sein du parti. El Mundo et EL Pais avaient publié les "carnets de Bárcenas", du nom du grand argentier du PP, qui révèlent l’existence d’une comptabilité parallèle et de versements non-déclarés aux principaux membres du parti conservateur. Entre 1997 et 2008, Mariano Rajoy aurait touché 25 200 euros par an, soit 343 700 euros sur une vingtaine d’années. De son côté, Luis Bárcenas a été condamné jeudi à trente-trois ans de prison et 44 millions d’euros d’amende. L’Audience nationale a condamné 29 des 37 accusés, anciens dirigeants du parti et entrepreneurs corrompus, à un total de 351 ans de prison.

Longtemps gangrénée par des affaires de corruption, le Parti populaire du désormais ex-chef du gouvernement espagnol n’avait jusqu’ici que partiellement été ébranlée par ses dérives. Seulement, l’éclosion de nouvelles preuves dans l’affaire Gürtel, décrite par le tribunal de l’Audience national comme la révélation d'un « authentique et efficace système de corruption institutionnelle au travers d’un mécanisme de contrats publics», a asséné le coup de grâce au parti conservateur et son leader

Le chef du gouvernement qui qualifiait ce scandale de simples "faits isolés" perd dans cette affaire toute crédibilité. Destitué vendredi 1er juin par le Parlement espagnol, Mariono Rajoy laisse sa place au leader du Parti socialiste (PSOE) Pedro Sanchez, dans un contexte politiquement instable. Avec l'appui d'une majorité hétéroclite lui promettant un mandat complexe, le nouveau chef du gouvernement va tenter de relever l'image d'une classe politique entachée par une vingtaine d'années de scandales de corruption.