La famille de Samuel Paty dépose plainte pour faire la lumière sur d'éventuelles défaillances de l'Etat
Par Victor Vasseur, Ariane Griessel
La famille de Samuel Paty a déposé plainte contre X pour "non-assistance à personne en péril" et "non-empêchement de crime".
La famille de Samuel Paty, assassiné en octobre 2020, a porté plainte contre X mercredi auprès du parquet de Paris, considérant l'administration fautive de n'avoir pas protégé le professeur, a indiqué à France Inter l'avocate qui représente les parents et les sœurs de Samuel Paty, confirmant une information de Libération.
"Des fautes ont été commises tant du côté de l'Education nationale que du côté du ministère de l'Intérieur, sans lesquelles Samuel Paty aurait pu être sauvé", a déclaré Me Le Roy à la presse.
"Non-empêchement de crime et non assistance à personne en péril"
La plainte, que France Inter a pu consulter, cible les délits de "non-empêchement de crime et de non-assistance à personne en péril" et vise "plusieurs agents du ministère de l'Intérieur et du ministère de l'Éducation nationale" qui ont eu à connaître directement ou indirectement de la situation de Samuel Paty.
Dans le détail, la plainte très étayée qui fait plus de 80 pages, rappelle le lent engrenage débuté par un cours sur la laïcité dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) début octobre 2020, qui a abouti à l'assassinat le 16 du professeur âgé de 47 ans, poignardé puis décapité, par Abdoullakh Anzorov, réfugié russe d'origine tchétchène, tué peu après par la police.
L'homme de 18 ans, radicalisé, lui reprochait d'avoir montré en classe des caricatures de Mahomet. Dans un message audio en russe, il avait revendiqué son geste en se félicitant d'avoir "vengé le prophète".
Pour la famille, "dès le 8 octobre et jusqu'au 16, Samuel Paty, la principale et les enseignants ont identifié une menace grave pour leur intégrité physique et la sécurité du collège", résultant notamment de la médiatisation de l'affaire via les réseaux sociaux par Brahim Chnina, père d'une collégienne qui prétendait avoir assisté au cours, et par le sulfureux militant islamiste Abdelhakim Sefrioui.
Mais pour la famille, "les agents du ministère de l'Intérieur ont failli dans l'assistance à Samuel Paty", qui "aurait dû bénéficier au minimum de la protection la plus faible", un ou deux agents, au vu de la "menace" le visant, ce qui "l'aurait sauvé". La plainte vise également plusieurs agents de l'Éducation nationale, par exemple au rectorat ou au collège.
La famille réclame aussi l'ouverture d'une enquête parlementaire
"Quand vous avez une menace qui arrive sur un professeur dont le nom est très vite diffusé sur les réseaux sociaux et qu’on accuse de blasphème pour avoir montré des caricatures à des élèves, il est bien évident qu’on est sur un terrain extrêmement sensible et que la protection policière s’impose", affirme l'avocate de la famille à France Inter.
"Mon frère ne s'est pas sacrifié, il a été sacrifié par tous ceux qui pouvaient et auraient dû le protéger", déclare par ailleurs dans Libération, Mickaelle, l'une des des deux soeurs de Samuel Paty.
Une note du renseignement territorial
Libération rappelle qu’une dizaine de jours se sont écoulés entre le début de la polémique suite à la diffusion des caricatures de Mahomet en classe par l’enseignant et l’assassinat à Conflans-Saint-Honorine. Samuel Paty reçoit plusieurs menaces anonymes, et deux vidéos sont diffusées sur internet, dont une par un militant islamiste. Dans des mails obtenus par le quotidien, la conseillère sécurité du rectorat estime le 12 octobre qu’il "n’y a pas d’inquiétude particulière" dans un mail envoyé à sa hiérarchie. Une autre note, écrite le 12 octobre par le renseignement territorial des Yvelines (SDRT78) qu’aucune "tension majeure n’est palpable, tant du côté de la communauté éducative que de la fédération des parents d’élèves".
"Il apparaît clair, à la lecture de ces éléments, que le SDRT78 n’anticipe rien d’autre qu’un trouble à l’ordre public, de type rassemblement ou manifestation" écrit Libération.
Quatre jours avant le premier tour de la présidentielle
A la question de savoir pourquoi cette plainte a été déposée à quelques jours de la présidentielle, l'avocate a répondu à France Inter: "Cette plainte est toute sauf politique". Elle rappelle que "la récupération, la famille de Samuel Paty en a déjà souffert".
Cela fait un an et demi que Samuel Paty est décédé, il y a eu un moment de sidération, de deuil, de douleur. Puis il est venu le temps de l'analyse.
L'avocate reconnaît que cette plainte "n'est pas une démarche qui est faite à la légère". Deux lettres envoyées le 25 mars aux ministres concernés, Gérald Darmanin et Jean-Michel Blanquer, sont restées sans réponses. Ils avaient huit jours pour répondre.