"La fille qu'on appelle" de Tanguy Viel : "Futur Prix Goncourt" ? Ou "livre prévisible" ? L'avis du Masque
"J'ai trouvé ce livre nul", "Je ne peux pas te laisser dire ça" : ambiance tendue entre les critiques littéraires de l'émission sur le livre de Tanguy Viel ("La Disparition de Jim Sullivan", "Paris-Brest"…) qui raconte l'histoire d'une emprise en Bretagne sur fonds de pouvoir politique.
La présentation de "La Fille qu'on appelle" par Jérôme Garcin
"C'est le dernier livre de l'auteur de L'article 353 du Code pénal. Il pourrait s'intituler "Article 222.22 du même code", puisqu'il y est question d'emprise et d'abus sexuels.
Dans une ville bretonne reconnaissable car bien décrite avec ses remparts… Le maire, Quentin Le Bars, 48 ans, a pour chauffeur un boxeur Maxime Le Corre. Sous son pseudo Max, il a été champion de France 2002, catégorie mi-lourds. A son patron Max, demande un service : trouver un logement à sa fille Laura, 20 ans, qui revient vivre auprès de lui.
Le maire ne se fait pas prier pour lui trouver un job au casino et un studio où il vient aussitôt lui rendre visite.
La suite, Laura la raconte aux policiers après avoir porté plainte.
Mais que peut une jeune fille "coupable" d'avoir posé en sous-vêtements pour des publicités visibles sur les abribus quand elle avait 15, 16 ans, contre le maire devenu entretemps ministre des Affaires maritimes ? C'est formidable."
Olivia de Lamberterie : "Un livre exceptionnel d'intelligence"
"J'ai adoré. C'est exceptionnel d'intelligence. Le prochain Prix Goncourt, pour moi, c'est lui. C'est un livre génial pour décrire l'emprise. On comprend là qu'elle ne passe pas par les mots. D'ailleurs, les deux prédateurs, ne finissent jamais leurs phrases.
On voit que l'emprise passe par des gestes.
Vous avez une jeune fille et un prédateur dans une chambre. Et il suffit que l'homme s'asseye sur le bord du lit. Il ne dit rien. Il pose juste sa main sur elle. A ce moment-là, elle se dit qu'elle devrait prendre ses jambes à son cou. Mais c'est à cet instant-là que l'ascendant fait effet. Tout à coup, cette fille n'a plus de volonté. Et elle a une phrase très belle. L'enquêteur lui dit : "Mais vous n'avez pas pensé à porter plainte juste après cette scène ?" Elle répond : "si, mais j'ai plutôt voulu porter plainte contre moi-même".
Cet anéantissement de la volonté est raconté dans La fille qu'on appelle de manière spectaculairement intelligente.
Cela ressemble à un film de Chabrol : cette espèce de petite ville, avec ces voyous, ce maître du casino qui a toujours un costume blanc. Ce livre a vraiment quelque chose de très cinématographique et d'extrêmement beau : il est formidable !
Maintenant, n'écoutez pas Frédéric, il va dire n'importe quoi."
Frédéric Beigbeder : "C'est le roman le plus prévisible de l'année et le plus politiquement correct"
"Tu révèles là, ton goût pour le débat. Cela fait plaisir. Mais ce livre n'est pas du Chabrol, c'est un mauvais Mocky.
Tout y est outrancier, tout est caricatural. C'est le roman le plus prévisible de l'année et le plus politiquement correct.
Et il déroule un programme du début à la fin. Dès le début, on est donc dans un commissariat avec une fille qui vient porter plainte pour viol, ou au moins pour du harcèlement.
Les flics sont goguenards, salaces et vulgaires. Le maire, le violeur, est complètement pourri jusqu'à la moëlle.
C'est lourd, c'est lourd, c'est lourd.
C'est dommage qu'il n'y ait pas des César pour les livres, pensez-vous qu'il aurait celui du meilleur film ? Je ne sais pas quel est l'intérêt de lire un livre où tout est prévisible du début à la fin. Tanguy Viel déroule son programme jusqu'au bout. Et à la fin, on se dit : "C'est tout ?"
Ce que va faire le père à la fin aussi est absolument prévisible. Le père est boxeur. Sa fille se fait harceler. Que va-t-il se passer à la fin à ton avis ?
Adolescente, Laura était mannequin en photo "sur toutes les affiches déployées sur des panneaux de bus". Et elle cherche un boulot dans un casino en province ? Il y a des images d'elle sur tous les murs de la France, et elle n'a pas d'argent ?"
Jean-Claude Raspiengeas : "Un livre plein d'images poétiques, de considérations imagées, d'ironie légère..."
"A la lourdeur que dénonce Frédéric, j'oppose la légèreté de Tanguy Viel, la légèreté du style, la finesse du propos, le rythme très, très, très délicat que cet écrivain impose à ses phrases. Elles sont tricotées, serrées, et en même temps, très longues. Par exemple, le portrait de l'élu local tient en une page, mais ce sont deux très longues phrases. Elles sont absolument magnifiques et s'enroulent sur elles-mêmes. On perçoit une très grande légèreté. C'est plein d'images poétiques, de considérations imagées, d'ironie légère.
La légèreté peut parfois même être glaçante. Avant la chambre, il y a le premier contact avec le maire, dans la mairie. La légèreté glaçante qui entoure ce type qui met la main sur la fille. Ce qui fait tanguer la jeune fille, enclenche sa sidération et son "consentement". Et, évidemment, l'emprise qui conduit évidemment au viol.
Tout est bien très écrit."
Arnaud Viviant : "Un petit polar chabrolien bien sûr, mais totalement surécrit"
Je suis totalement d'accord avec Frédéric. C'est un petit polar chabrolien bien sûr, mais totalement surécrit. Il utilise le mot "comme" trois fois par page. On lui a pas dit qu'il y avait des synonymes de temps en temps ? Tout est caricatural. Le méchant est trop méchant, le boxeur sort d'un film des années 1950. Ecrire sur la boxe est un vrai acte littéraire."
🎧 ECOUTER | Le Masque et la plume avec La fille qu'on appelle de Tanguy Viel
Avec :
- Olivia de Lamberterie (Elle)
- Jean-Claude Raspiengeas (La Croix)
- Frédéric Beigbeder (Le Figaro-Magazine)
- Arnaud Viviant (Transfuge)
📖 LIRE | La fille qu'on appelle de Tanguy Viel est publié aux Editions de Minuit