Les derniers attentats du mois de juillet à Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray ont semble-t-il déjà poussé les magistrats à prononcer des mesures plus restrictives des libertés
La multiplication des délits "d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste" semble susciter un raidissement de la justice sur les réponses pénales dans ce contexte d’attentats. Le traitement des personnes "fichées S", assignées à résidence, mises en cause pour "apologie du terrorisme" ou pour la consultation de sites djihadistes, conduit les magistrats à prononcer des décisions de plus en plus sévères et, bien souvent, privatives de liberté.
La détection du passage à l’acte devient aléatoire
Les attentats qui ont frappé la France depuis janvier 2015 ont été l’œuvre d’assassins aux parcours divers. Le procureur de Paris François Molins en avait fait la liste lors de sa dernière conférence de presse le 26 juillet dernier, quelques heures après l’attaque d’une église à Saint-Etienne-du-Rouvray.
Il décrivait ceux qui sont partis en Syrie et revenus en France pour passer à l’acte, ceux qui ne sont jamais partis mais "qui sont pilotés par des membres de l’organisation Etat Islamique", ceux qui sont "connus des services de renseignements ou au contraire totalement inconnus", ceux qui ont été condamnés pour des délits terroristes ou des délits de droits communs et ceux qui n’ont aucune condamnation au casier judiciaire, ceux qui sont insérés et ceux qui ne le sont pas. Liste terrible qui regroupe potentiellement 100 % d’une population et qui rend la détection du passage à l’acte, aléatoire, quels que soient les moyens alloués.
Mais un profil en particulier a depuis un mois marqué plus que les autres le monde judiciaire, celui d’Adel Kermiche, l’un des deux jeunes terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray. Parce qu’il avait déjà tenté de partir deux fois en Syrie, parce qu’il avait été condamné pour le premier départ et qu’il était en attente de son jugement pour le second, mais surtout parce qu’au total quatre magistrats avaient décidé, au printemps dernier, qu’une remise en liberté se justifiait au bout de dix mois de détention provisoire.
Le constat de ce qui, à posteriori, apparaît comme une erreur, a jeté un trouble au sein des magistrats de la section anti-terroriste de Paris, comme nous le confie un juge du Tribunal de grande instance. Pourtant, la décision de remise en liberté, sous assignation à résidence, avec bracelet électronique, paraissait justifiée au mois de mars. Mais le constat d’échec évoqué par le Premier ministre Manuel Valls ne peut être ainsi évacué par des juges qui tous les jours doivent décider du sort de ces individus apparemment peu dangereux, mais capables de basculer dans le passage à l’acte avec une facilité et une rapidité déconcertantes. "Cela doit conduire les magistrats à avoir une approche différente, dossier par dossier, compte tenu des pratiques de dissimulation très poussées des djihadistes" concluait Manuel Valls.
« Il y aura un avant et un après Kermiche »
Depuis, des décisions de justice sévères sont prononcées ici ou là. A l’image de ces deux ans de prison ferme infligés à Chartres à un homme qui avait consulté des sites djihadistes de manière répétée et qui avait écrit sur son mur Facebook qu’il voulait détruire la Tour Eiffel. Il n’était pas "fiché S", n’avait pas de projet précis, n’avait pas d’armes, mais il entrait potentiellement dans le profil d’un Mohamed Laouaiej Boulhel, quelques mois avant qu’il ne décide de louer un camion pour commettre un carnage à Nice, ou d’un Abdel Malik Petitjean quelques jours avant qu’il ne parte assassiner un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray.
Le prévenu jugé à Chartres lundi 8 août, a été décrit "solitaire et menant une vie isolée". Il aurait certainement été condamné au pire à quelques mois d’emprisonnement avec sursis il y a un an. A Paris, l’avocate Margot Pugliese, première secrétaire de la Conférence, et qui à ce titre assure la défense des personnes suspectées de terrorisme, on se rend compte depuis un mois qu’il y aura un "avant et un après Kermiche".
Mais cette impression de sévérité accrue doit également être relativisée par l’amplification médiatique qui est aujourd’hui faite de ces cas isolés dont la presse ne s’en serait peut-être pas fait l’écho auparavant, relève la présidente de l’Union Syndicale des Magistrats Virginie Duval. "Les juges continuent d’apprécier les situations au cas par cas, même si on ne peut pas exclure qu’ils sont eux aussi imprégnés du contexte".
magistrats sévères
48 sec
C’est la publication dans quelques mois des données statistiques de la justice qui permettra d’apprécier si les magistrats ont effectivement changé de regard au cours de l’été 2016, en réponse aux attentats parfois imprévisibles qui ont secoué le pays.