La maison de Mimi-patte en l’air : La Carte blanche de Marie-Hélène Lafon
L'écrivaine était l'invitée d'Augustin Trapenard dans l'émission Boomerang. Après avoir évoqué l'arrachement à son lieu de naissance, le travail d'écriture qui vient d'un désir irrépressible, elle a lu ce texte inédit dans lequel il est question d'une maison dont l'ancienne propriétaire est partie faire sa vie à Paris.
Marie-Hélène Lafon : "Je me tiens debout dans le soir parfait. Le vent galope sur les bois, les empoigne, il vient de loin, depuis l’Océan, depuis le plateau de Millevaches il a roulé sur des étendues muettes, charnues ou émaciées, il a roulé, il est venu, ses grandes mains froides sont sur le pays, sur les créatures, sur les prés, sur les maisons de pierre et d’ardoises qui en ont vu d’autres et savent à quoi s’en tenir et carguent les voiles et numérotent leurs abattis. Les maisons tiendront.
Elles nous tiennent. Elles tiennent.
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Sauf celle de la Mimi-patte en l’air que je vois s’effriter, au bord de la route de Lugarde, hiver après hiver. La maison de la Mimi-patte en l’air ne tient plus debout, ne tient qu’à un fil, ou par l’opération du Saint-Esprit, qui s’essouffle et manque de conviction. C’est une maisonnette de quatre pièces tout au plus, deux en bas, deux en haut, un logis fort peu rural, pas agricole du tout, qui fut probablement coquet, quoique modeste de facture et de dimensions. La maison de la Mimi-patte en l’air est déplacée, très exactement pas à sa place, elle détonne et surprend, elle sent la banlieue d’Orléans, de Montluçon, ou de Vierzon, ou l’Oise, ou les confins du Val de Marne.
Elle se défait, ses volets sont dégondés, on lui voit les entrailles, on lui devine la salle de bains, le coin du lavabo, des lambeaux de papier peint à ramages. Son toit fléchit, s’incurve, se dégarnit. Elle n’a plus rien pour elle, elle est abandonnée, elle abandonne.
Je ne sais pas quand fut construite la maison de la Mimi-patte en l’air, ni par qui, ni qui l’habita, prit soin de la fleurir, de lui repeindre les persiennes, de la doter d’un chauffe-eau dernier cri. Je me contente de ce qui m’a été répondu quand j’ai demandé qui était la dite Mimi. On a ri, on m’a dit qu’elle faisait la vie à Paris et venait passer l’été dans sa maisonnette du Pré Vernet qui s’ouvrait volontiers aux mâles esseulés ou désireux de changer d’herbage sans complications et à peu de frais.
Je n’ai pas posé davantage de questions, je ne mange pas de ce pain-là. Je préfère galoper avec le vent sur les traces fanées de cette Mimi légère de mœurs qui leva jadis la patte au bord de la route de Lugarde. Que la nuit lui soit douce et paix à ses Mânes dans le soir rouge."