La mère de Clarissa Jean-Philippe : "Elle m’a dit : ne t’inquiète pas maman, on a des gilets pare-balles"

Publicité

La mère de Clarissa Jean-Philippe : "Elle m’a dit : ne t’inquiète pas maman, on a des gilets pare-balles"

Par
Marie Louisa, la mère de Clarissa Jean-Philippe, policière municipale tuée à Montrouge par Amedy Coulibaly.
Marie Louisa, la mère de Clarissa Jean-Philippe, policière municipale tuée à Montrouge par Amedy Coulibaly.
© Radio France - Matthieu Boucheron

Jour 13, au procès des attentats de janvier 2015 - La cour d'assises est revenue ce vendredi sur l'attentat de Montrouge, où Clarissa Jean-Philippe, policière municipale, a été abattue par Amedy Coulibaly. Avec le récit de Laurent, chef d'une équipe de propreté, et de son corps-à-corps héroïque avec le terroriste.

Une jeune femme pleine de vie. C’est ainsi que Clarissa Jean-Philippe apparaît en photo sur l’écran géant de la cour d’assises. “À la sortie du cinéma”, légende sa mère à la barre, “avec ses nièces lorsqu’elle est venue en vacances fin 2014”. Sa mère avec laquelle elle avait “une relation fusionnelle. On était comme deux sœurs”, raconte celle qui a fait le déplacement depuis la Martinique pour livrer son témoignage. La veille de sa mort, Clarissa Jean-Philippe et sa mère discutent au téléphone. “J’étais inquiète suite aux faits de Charlie Hebdo, mais elle m’a dit : 'ne t’inquiète pas, maman, on a des gilets pare-balles'." Clarissa qui était “très épanouie dans sa vie professionnelle”, raconte à son tour sa cousine : “Elle devait recevoir son diplôme de policière pas longtemps après sa mort. Elle était très fière. Elle comptait aussi passer le concours de la police nationale”. 

"Elle croquait la vie à pleines dents"

Pendant quelques minutes, cette cousine qui avait “un an d’écart avec Clarissa” nous offre une rencontre avec la jeune femme. “On a partagé nos secrets de filles. Son premier baiser avec un garçon, j’étais là”. Cette jeune femme de 26 ans, “timide, réservée, mais qui croquait la vie à pleines dents”, a choisi de quitter la Martinique pour suivre ses rêves.C’est quand même difficile de laisser toute sa famille et partir à des milliers de kilomètres, je le sais parce que je l’ai vécu”, témoigne encore sa cousine. “Ça représente un grand pas pour quelqu’un des DOM.” Un grand pas franchi avec le sourire qui caractérisait aussi Clarissa Jean-Philippe. 

Publicité

Ma Clarissa”. C’est ainsi que Jonathan, lui aussi policier municipal et “binôme de Clarissa Jean-Philippe”, l’évoque devant la cour. Il est avec elle, ce matin du 8 janvier, lorsqu’on les appelle pour intervenir sur un accident de la circulation. “Nous sommes vêtus d’un gilet fluorescent avec “police municipale” dans le dos et la voiture avec le gyrophare allumé”. Bref, “on était très visibles”. Mais à ce moment là, l’ambiance est encore détendue. L’accident de la circulation, sans gravité. Alors Clarissa Jean-Philippe et son collègue discutent “de ce qu’il s’était passé la veille à Charlie Hebdo”. “Et puis, j’entends un bruit”, raconte l’homme de 38 ans à la barre. Il imite le bruit en question : “crr, crr”. “Je dis à Clarissa : "c'est bizarre, il y a un bruit d'armement". Elle me répond : "arrête tes bêtises !". Il n’en est malheureusement rien. “J’ai vu une masse noire”, poursuit le Jonathan. “Derrière le panneau publicitaire, l’ombre a fait demi-tour. Et là : “Pan”. Un bruit assourdissant.”

"Tu veux jouer ? Tu vas crever !"

Ce bruit, Laurent, chef du service propreté de Montrouge, l’entend aussi. Mais, raconte l’homme, cheveux ras, veste et jeans noirs, il croit à une blague.Je n’avais jamais vu d’arme de guerre tirer et j’ai trouvé que ça avait l’air factice.” La réalité le rattrape très vite lorsqu’il voit son collègue Éric, lui aussi membre du service propreté de la ville, "défiguré, avec la mâchoire en sang. C'est une image que je garderai toujours." Laurent est alors au coude à coude avec le terroriste. Une seule pensée le traverse, comme une fulgurance : “si je veux survivre, il faut que je lui saute dessus.” La suite est un long corps à corps, que Laurent raconte à la barre, mimant ses deux mains qui s’emparent de la kalachnikov d’Amedy Coulibaly. "Je me disais en boucle : 'si tu lâches, t'es mort'."

Il cogne un pare-choc de voiture, puis une grille. “Ça a été long”, se souvient Laurent, 46 ans aujourd’hui. Jusqu’à cette phrase, la seule d’Amedy Coulibaly à son intention : “tu veux jouer? Tu vas crever.Phrase glaçante, mais prononcée sur un ton presque égal.Je n’ai même pas senti de haine dans sa voix”, explique Laurent à la barre. “Son visage était comme de la cire, sans expression. Mais il avait un sourire dans ses yeux, quelque chose de joyeux dans le regard.” Car Laurent l’a “bien regardé dans les yeux. Je m’attendais à ce qu’il me finisse”. De fait, le terroriste sort une deuxième arme, tire. Mais l’arme s’enraye.Alors il a rangé ses trucs et il est parti”.

Dans la salle d’assises, le récit de cette scène incroyable a saisi tout le monde. Avec pudeur, Laurent, lui, décrit les séquelles qu’elle a imprimée sur sa vie. La peur d’être tué par des complices d’Amedy Coulibaly, l’hypervigilance, le manque de sommeil, l’incapacité à gérer l’agressivité des autres “alors qu’avant, j’étais quelqu’un qui calmait les gens”. Sa séparation, aussi, “après 25 ans de vie commune parce que je me rendais compte que je la faisais souffrir”. “Et puis, j’ai plus de passion. Je passe la plupart de mon temps libre sur Internet, je regarde des histoires de terrorisme. Je vis là-dedans et je suis fatigué”, soupire l’employé municipal.

"Je pensais que Daech avait un bureau dans ma rue"

Comme pour en rajouter, il y a aussi ces terribles coïncidences. La cérémonie organisée en son honneur à la mairie de Montrouge ? Le 13 novembre 2015, jour des attentats du Stade de France, des terrasses et du Bataclan. L’endroit où Salah Abdeslam se cache après ces attentats ? “Situé à 200 mètres de chez moi.” Celui où il abandonne sa ceinture explosive ? “Au pied de mon immeuble”. “C’est simple, lâche-t-il à la barre, à la fin de l'année 2015, je pensais que Daech avait un bureau dans ma rue.” Quelques rires se font entendre dans la salle. Laurent reprend : ”C'est pas marrant. J'avais l'impression de ne pas sortir de ces histoires de terrorisme.”

Alors, Laurent se raccroche. Non pas à son héroïsme ce jour-là - “je pense plutôt que pendant quelques minutes, je suis devenu fou. Et en fait, c’est ça qui m’a sauvé”. Mais à ce qu’il a sans doute permis d’éviter : un attentat dans l’école juive située à 200 mètres de là.C’est la seule cible dans le quartier”, explique-t-il, “parce qu'un terroriste il ne va pas braquer un boulanger ou prendre une roue de secours chez Midas. Non, ce gars-là, il avait une cible. Et, poursuit-il en référence à l’attentat de l’Hyper Cacher, quand on voit ce qu’il a fait le lendemain…”