"La pire atrocité" : 300 exécutions par des soldats maliens et présumés russes en mars au Mali selon une ONG
Par Adrien Toffolet
Human Rights Watch rapporte qu'entre le 27 et le 31 mars, plus de 300 civils maliens ont été exécutés par l'armée et des militaires supposés russes lors d'une opération antijihadiste dans le village de Moura. Bamako conteste le chiffre et assure que toutes les victimes étaient des terroristes.
Les mots employés par Human Rights Watch sont forts : il s'agit du "pire épisode d'atrocités constaté depuis le début de la guerre au Mali il y a 10 ans." L'ONG, qui documente et rapporte régulièrement les exactions dans le pays depuis 2012, détaille dans son dernier rapport publié mardi des faits terribles qui se sont déroulés à la fin du mois de mars : l'exécution, par l'armée malienne et des soldats présumés russes, de 300 civils dans la localité de Moura.
La peur à chaque seconde
Le village de Moura se trouve en plein milieu du Mali, dans une région au cœur des violences islamistes depuis 2012. C'est d'ailleurs officiellement des combattants islamistes qui étaient visés par l'opération militaire qui a eu lieu sur plusieurs jours, du 27 au 31 mars. Mais l'enquête dirigée par Human Rights Watch révèle que "les forces armées maliennes et des soldats étrangers -identifiés par plusieurs sources comme des Russes- ont exécuté par petits groupes plusieurs centaines de personnes rassemblées à Moura".
Pendant ces cinq jours, les villageois ont vécu un véritable enfer. Un témoin, raconte à l'ONG, avoir "vécu dans la terreur chaque minute, chaque seconde" en pensant que ce serait son "tour d'être emmené à l'écart pour être exécuté. Même quand ils m'ont dit de partir, je craignais que ce soit un piège."
"Une balle dans la tête"
Plusieurs témoins affirment que le 27 mars au matin, vers 10h, des soldats sont arrivés en hélicoptère près du marché aux animaux et ont "échangé des tirs pendants environ 15 minutes" avec quelques "30 combattants islamistes". Ces combats ont déjà provoqué la mort de plusieurs terroristes, mais aussi de soldats étrangers et de civils. Pendant la journée, les militaires ont pris le contrôle du village, raconte l'ONG, empêchant les sorties. Parmi les soldats présents, des forces maliennes, mais aussi "plus de 100" identifiés par des sources comme des "soldats blancs", potentiellement russes.
Plusieurs hommes tentant de fuir ont été exécutés. D'autres, par centaines, non armés, sont arrêtés. Parmi eux, des habitants de Moura, mais aussi des commerçants présents au marché venants des alentours, et des combattants islamistes "qui avaient caché leurs armes" pour se fondre dans la population. Les jours suivants, l'armée malienne et les soldats étrangers, ont fait s'aligner des petits groupes de prisonniers pour des exécutions. Selon des témoins, certaines victimes ont reçu "une balle dans la tête", quand d'autres ont été tués "par des rafales". Human Rights Watch parle de plus de 300 exécutions. Un témoin du drame, assure à l'Agence France Presse n'avoir "jamais vu autant de morts", "plus de 350". Un décompte difficile à établir dans la mesure où une partie des corps a été enterrée et l'autre brulée.
"Il y avait parmi ceux qu'ils ont tué de vrais djihadistes, mais beaucoup d'autres ont été tués tout simplement parce que [dans le quotidien avant l'intervention] les djihadistes les avait forcé (...) à laisser pousser leur barbe", raconte un des survivants du massacre à l'ONG. Cette dernière précise également que la grande majorité des victimes étaient des Peuls, une ethnie dans laquelle les djihadistes ont beaucoup recruté, ce qui laisse supposer que cette ethnie en particulier était visée.
Le Mali conteste
A chaque fois, les soldats étrangers cités par les témoins sont identifiés comme russes, mais rien ne permet de l'affirmer à 100%. Leur nationalité est présumée russe par plusieurs sources en raison du fait qu'ils soient "blancs", qu'ils "parlent une langue étrange" mais "pas le français". Certains villageois ont également supposé de leur nationalité, en raison de l'accord de coopération entre le gouvernement de transition de Bamako et Moscou. Selon les autorités françaises, de nombreux instructeurs russes travaillent au Mali, ainsi que les mercenaires de la milice de sécurité privée russe Wagner, proche du Kremlin.
Dans un communiqué, la diplomatie française s'est dite "gravement" préoccupée "par les informations faisant état d'exactions massives dans le village de Moura par des éléments des forces armées maliennes accompagnées de mercenaires russes du groupe Wagner". Le groupe paramilitaire est également cité comme potentiel responsable par Washington. Mais selon Bamako, qui a réagi à la publication du rapport mardi soir, les faits rapportés sont bien différents : 203 terroristes tués et 51 autres faits prisonniers. Les autorités maliennes, qui dénoncent des "allégation infondées" assurent qu'un "tri" a été effectué entre habitants de Moura et terroristes.