"La reconnaissance a été au ras des pâquerettes" : des "travailleurs essentiels" témoignent de leur colère

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"La reconnaissance a été au ras des pâquerettes" : des "travailleurs essentiels" témoignent de leur colère

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Plusieurs centaines de "travailleurs essentiels", de différents secteurs, ont manifesté jeudi à Paris pour réclamer une hausse de salaire.
Plusieurs centaines de "travailleurs essentiels", de différents secteurs, ont manifesté jeudi à Paris pour réclamer une hausse de salaire.
© Radio France - Luc Chemla

Une marche des "travailleurs essentiels" était organisée jeudi par la CFDT, dans le 15ème arrondissement de Paris. Deux ans après le début de l'épidémie de Covid, plusieurs centaines de salariés, venus de partout en France, ont fait le déplacement pour réclamer davantage de reconnaissance et une hausse des salaires.

On leur dit depuis le début de la pandémie qu'ils sont essentiels, ils veulent maintenant qu'on leur rende la pareille. Selon la police, 750 personnes ont participé au rassemblement organisé jeudi matin dans le 15ème arrondissement de Paris, répondant à un appel lancé par la CFDT. Employés de supermarché, commerçants, agents des pompes funèbres, agents de sécurité, salariés des secteurs du nettoyage ou encore du médico-social... tous étaient dans la rue pour réclamer davantage de reconnaissance après le travail fourni durant la pandémie, notamment les confinements. Ils demandent, entre autres, une hausse des salaires. France Inter a recueilli leurs témoignages. 

Patricia, 54 ans, réassortisseuse dans un supermarché en région parisienne 

Patricia, 54 ans, travaille dans un supermarché et a manifesté jeudi à Paris.
Patricia, 54 ans, travaille dans un supermarché et a manifesté jeudi à Paris.
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

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"Cela fait deux ans que nous, ceux que l'on appelle les travailleurs essentiels, subissons le Covid et sommes au premier plan. En 2021, on pensait avoir de la reconnaissance au niveau des négociations annuelles sur les salaires. On a eu seulement 0,2% d'augmentation générale. C'est inadmissible. On a beaucoup travaillé durant les différents confinements et la reconnaissance a été au ras des pâquerettes. Cette année, il n'est pas question d'avoir encore 0,2% de hausse. Il faut qu'ils montent la barre beaucoup plus haut."

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"Évidemment, une augmentation du salaire de base. Arrêtons les primes variables qui sont aléatoires, et que l'on n'a pas toujours car il y a beaucoup de critères restrictifs. Mettons un salaire de base qui tombe tous les mois. On a besoin de régularité car on est fatigué et on a des factures à payer. Une augmentation de 5% serait l'idéal, acceptable pour tout le monde. Dans l'enseigne où je travaille, vous démarrez au SMIC et vous restez des années au SMIC. Moi, j'ai 30 ans de maison, donc je gagne un peu plus parce que j'ai une prime d'ancienneté et j'ai grimpé un peu en échelon, mais il n'y a pas de grosse différence avec un nouveau qui arrive."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ?

"C'est un travailleur qui est là en période de pandémie et qui travaille, qui n'a pas le choix. Durant le premier confinement, tout le monde a travaillé dans mon supermarché. C'est nous qui mettions dans les rayons quand vous aviez tous faim et que vous achetiez tout par trois. On était là et on a fait des heures pas possibles."

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

"On attend qu'ils voient un peu plus les gens qui ont du mal à finir les fins de mois. Qu'ils voient que l'on a besoin d'avoir un salaire décent et de ne pas être obligé de courir et souvent d'avoir deux emplois. On attend que les bas salaires soient mieux valorisés."

Olivier, 55 ans, ouvrier dans un abattoir porcin en Bretagne

Olivier est ouvrier dans un abattoir en Bretagne et était dans les rues de Paris jeudi.
Olivier est ouvrier dans un abattoir en Bretagne et était dans les rues de Paris jeudi.
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

"Nous, on est dans la viande, on nous a dit que l'on était essentiel parce que l'on servait à nourrir les Français. Pendant les périodes de confinement, les gens venaient travailler à 5h du matin avec en plus la peur au ventre, le risque d'être contaminé. On a continué à travailler et on n'est pas reconnu pour cet effort-là. Il y a eu en octobre une augmentation du SMIC. On se retrouve maintenant avec des salaires en bas de niveau qui sont rattrapés par le SMIC. Le bas salaire, à l'heure actuelle, il est à 1285 euros. Des gens commencent à 5h du matin, dans le froid, avec des cadences soutenues pour gagner à peine plus que le SMIC. C'est complètement insupportable et inconcevable."

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"On n'attend pas seulement une hausse de salaire. Il faut également avoir un parcours professionnel avec des formations qui permettent d'évoluer dans l'entreprise. À l'heure actuelle, il n'y en a pas. Il y a besoin de monter en compétences les salariés, d'avoir un métier attractif. Si demain je vous dis - tiens est-ce que voulez bien que votre petit frère vienne travailler dans un abattoir - cela va vous faire drôle. L'abattoir, ce sont des métiers pénibles, durs, qu'il faut rémunérer à leur juste valeur, former les salariés pour qu'ils évoluent et maintenir leur employabilité dans d'autres entreprises également."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ? 

"On nous a dit que l'on était essentiel. À l'origine, on ne le savait même pas. Les gens qui travaillent dans un abattoir, ils sont dans l'ombre, on ne les voit jamais donc on ne les connaît pas. Mais du jour au lendemain on est devenu essentiel ! On sert à nourrir la France. Alors soit on soutient la filière de l'agroalimentaire soit, il ne faudra pas s'étonner de voir des produits alimentaires arriver de l'étranger."

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

"J'attends que les candidats soient à l'écoute des salariés, des ouvriers, de la main-d'œuvre et pas uniquement à l'écoute du patronat. Faire des cadeaux et des allègements de cotisations au patronat, c'est une chose mais dans ce cas-là, il faut le faire avec un retour, avec un dialogue social dans les entreprises. Il faut des engagements de la part du patronat."

Michel, 56 ans, agent de sécurité à Bayonne 

Michel (tout à droite) et certains de ses collègues du monde de la sécurité ont manifesté jeudi à Paris pour réclamer une hausse de salaire.
Michel (tout à droite) et certains de ses collègues du monde de la sécurité ont manifesté jeudi à Paris pour réclamer une hausse de salaire.
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

"Nos métiers sont essentiels et sont souvent au SMIC. Il y a 180 000 salariés en France dans la branche de la sécurité et de la prévention et à 70% ce sont des emplois précaires. Les deux coefficients de la grille sont en dessous du SMIC. Travailler dans la sécurité avec des compétences et des technicités puis être payé au SMIC, c'est inconcevable et inacceptable. Prochainement, il va y avoir les JO et la Coupe du monde de rugby qui vont arriver en France et on cherche dès maintenant 24 000 agents de sécurité. Je ne vois pas comment on pourra recruter avec des salaires aussi bas."

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"On attend une vraie revalorisation des salaires. La population ne sait pas que tous les jours et toutes les nuits et les dimanches, des sites sont gardés par une entreprise de sécurité. Il faut également savoir que maintenant, le gouvernement se désengage de certaines missions régaliennes de l'État. Nous avons une réunion au ministère le 18 février, on attend et en fonction de la position des organisations patronales, on prendra une nouvelle décision."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ? 

"Sans la sécurité, on ne peut pas faire de la prévention, surtout sur les gros sites à haut risque industriel : sidérurgique, nucléaire et chimique. Ces sites dangereux où les salariés de la sécurité ont des formations spécifiques. S'ils n'étaient pas là, on ne pourrait pas protéger la population."

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

J'attends que l'on revalorise ces métiers. On attend un projet avec une reconnaissance de tous ces métiers-là. 

Sandrine, 50 ans, travaille dans une entreprise de services à la personne au Mans 

Sandrine est venue du Mans spécialement pour être présente à la manifestation de jeudi matin dans le 15ème arrondissement de Paris.
Sandrine est venue du Mans spécialement pour être présente à la manifestation de jeudi matin dans le 15ème arrondissement de Paris.
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

"Lors des négociations de branche pour la convention collective, ils n'écoutent pas et ne veulent pas faire évoluer les salaires. Aujourd'hui, dans la branche, la grille est faite de telle sorte que dès qu'il y a une augmentation du SMIC, tous les niveaux se retrouvent au SMIC. "

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"Nous demandons l'augmentation des salaires mais il y a aussi tout ce qui est frais indus. Actuellement, on a très peu de remboursements sur les frais kilométriques alors que l'on utilise beaucoup nos voitures. Les frais d'essence ont énormément augmenté puis la nourriture... tout augmente. Le système est ainsi fait qu'en fin de compte, peut importe le niveau que l'on a dans la classification, peu importe si on est supérieur, on se retrouve tous payés au SMIC.  On veut une classification et une grille qui veulent dire quelque chose. Dans beaucoup de métiers, quand on évolue, on a une classification qui évolue et des salaires qui évoluent."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ? 

"Un travailleur qui n'est pas délocalisable en gros. On est essentiel pour la vie de tous les jours, pour l'aide aux personnes âgées, pour les gardes d'enfants."

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

Pour l'instant pas grand-chose. Je trouve que le pouvoir d'achat n'est pas assez un sujet central dans la campagne.

Julien, 35 ans, agent des pompes funèbres à Limoges 

Julien est agent des pompes funèbres et a réclamé jeudi à Paris davantage de reconnaissance et une hausse de salaire.
Julien est agent des pompes funèbres et a réclamé jeudi à Paris davantage de reconnaissance et une hausse de salaire.
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

"Le manque de reconnaissance des salariés de la première et seconde ligne. Il se trouve que pour le funéraire, on ne sait pas très bien dans quelle catégorie on devait nous placer pendant ces deux dernières années. On a un besoin de reconnaissance dans nos salaires, dans la formation professionnelle et dans tout ce qui concerne les conditions de travail. 

Un agent funéraire à l'embauche, il va gagner un peu plus que le SMIC mais tout dépend de l'employeur. Les services funéraires, c'est entre 15 000 et 25 000 salariés. Ce sont beaucoup de TPE, PME donc forcément, établir un barème est très compliqué. C'est pour cela que l'on est obligé de s'appuyer sur les négociations de branche et notamment sur une grille des salaires qui soit valorisée. On ressent de la lassitude, cela fait deux ans que l'on n'est pas entendu."

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"Pour les marbriers par exemple, une profession que l'on peut avoir dans notre secteur, il faudrait avoir au moins 200-400 euros de plus pour valoriser ce travail-là. Plus globalement, c'est un métier dans l'ombre, et on a été oublié pendant toute la crise. Il y a eu quelques gestes du gouvernement, notamment sur les équipements de protection mais cela a été très compliqué."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ? 

C'est un travailleur et un métier dont on ne peut pas se passer pour exécuter une tâche qui relève, en l'occurrence pour les services funéraires, d'une forme de service public. D'ailleurs, aujourd'hui, on se pose la question, est-on encore un service public ? N'est-on pas entré dans une dimension beaucoup plus financière à n'importe quelle échelle ? C'est cela aussi que l'on demande : une meilleure réglementation du métier, une amélioration des conditions de travail et donc de la grille des salaires."

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

Excellente question. J'espère que les candidats tiendront compte de ce mouvement et de toutes nos revendications et propositions. 

Pascal, 52 ans, fromager dans les Vosges 

Pascal, fromager de 52 ans, a répondu à l'appel lancé par la CFDT.
Pascal, fromager de 52 ans, a répondu à l'appel lancé par la CFDT.
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

"On se bat pour les essentiels, c'est-à-dire les petites gens qui ont des petits salaires, qui ne s'en sortent plus. Ce n'est pas mon cas mais je suis là en soutien."

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"On attend que les patrons réagissent et redonnent un peu de pouvoir d'achat aux essentiels, à ces gens-là. Si les richesses ne sont pas distribuées aux essentiels, c'est-à-dire aux plus nombreux, l'économie ne pourra pas fonctionner ou continuera à fonctionner comme elle le fait maintenant. Aujourd'hui, on voit les grands groupes qui s'enrichissent de plus en plus et quand on leur demande un partage des richesses sur les négociations, on a une fin de non-recevoir ou bien ils nous donnent très peu."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ? 

"Un travailleur essentiel, c'est tout le monde, c'est une chaîne. Si un maillon manque à la chaîne, elle ne fonctionne plus. Les essentiels restent quand même ceux qui sont en bas, c'est-à-dire les petits salaires."

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

Je n'attends pas grand-chose. C'est de la politique et je crois que c'est un monde de requins. Je ne suis pas certain que les idées proposées soient réellement défendues. Je continue à écouter chaque candidat et je voterai en mon âme et conscience mais je ne me fais pas d'illusion.

Éric, 56 ans, cadre de la SNCF à Paris 

Eric a manifesté jeudi à Paris au nom du personnel de la manutention ferroviaire
Eric a manifesté jeudi à Paris au nom du personnel de la manutention ferroviaire
© Radio France - Luc Chemla

Quel est le motif de votre colère aujourd'hui ? 

"Je suis là au nom du personnel de la manutention ferroviaire. Tous les métiers des services sont oubliés au niveau de l'ascenseur social. Ce sont des métiers qui sont de plus en plus importants et nombreux et qui souffrent à la fois d'un manque de reconnaissance, d'un manque d'un parcours professionnel valorisant et puis, selon les entreprises, il y a un problème au niveau des donneurs d'ordre. Ils cherchent toujours à baisser les prix et, naturellement, baisser le prix des prestations offertes par les sociétés de services contraignent les employeurs de ces secteurs à minorer des augmentations salariales. Voire à ne pas en faire."

Qu'attendez-vous comme geste ? 

"On attend une hausse des salaires, la reconnaissance des métiers de service et une valorisation de ces métiers au travers de parcours de formation valorisants et valorisés. Nous sommes très très loin de la maxime qui a été à un moment énoncée par un président de la République : travailler plus pour gagner plus."

Qu'est-ce qu'un travailleur essentiel ? 

Dans les métiers de service, les métiers essentiels sont ceux qui font la jonction entre plusieurs fonctions, qui sont des métiers d'appoint mais le mot "appoint" n'est pas dévalorisant, au contraire. Ils permettent la transition entre une mission et une autre. Ce sont des métiers en plein développement. 

Qu'attendez-vous de l'élection présidentielle qui approche ?

On attend une véritable prise en compte de la reconnaissance de ces métiers, qui peuvent parfois être pénibles.

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