La "transparence" sur la composition des protections hygiéniques aura du retard
Par Mathilde DehimiL’an dernier, le ministre de la Santé s'était engagé à obliger les fabricants à afficher indiquer clairement la composition de leurs produits. Prévue le 1er juillet, la publication du décret est repoussée de six mois. Et des associations dénoncent un texte vidé de sa substance.
Le nom du décret était très prometteur pour ces associations féministes : un décret "transparence" sur la composition des protections hygiéniques. Son entrée en vigueur est repoussée d'au moins six mois en attendant une notification à la Commission européenne et un avis du Conseil d’État explique la direction générale de la santé. Les associations déchantent et dénoncent un texte vidé de sa substance.
10.000 protections hygiéniques utilisés dans une vie
C'est un produit de consommation courante, considéré dans d'autres pays comme un dispositif médical. Un produit acheté en quatre milliards d'exemplaires en France chaque année et dont on ne connaît pas précisément la composition. Une femme utilise en moyenne 10.000 protections hygiéniques durant sa vie.
Depuis plusieurs années, des associations dénoncent l'absence de transparence des fabricants sur le processus et les ingrédients utilisés pour les protections hygiéniques. Il y a des avancées et surtout des disparités importantes selon les fabricants.
Trop peu d’informations visibles
Dans un rayon de supermarché, Maud Leblon, directrice de l'association Règles élémentaires saisit un paquet de tampons d'une marque distributeur : "Sur certains, il n'y a aucune information sur la composition présente. Là, par exemple, on a bien les précautions d'emploi et des informations marketing, que c'est super absorbant pour un confort maximal et absorbant d'odeur. Il faut quand même noter que le sang n'a pas d'odeur. Mais ça s'arrête là."
Elle s'empare ensuite d'une boîte d'une multinationale connue où la composition des tampons est bien indiquée sur un côté : "On a quelques informations quand même sur la composition : une couche de transfert en fibres de cellulose et polymères synthétiques, des microbilles super absorbantes. Alors ça, c'est un grand mystère de la composition des protections, ces microbilles ! Mais on n'a pas forcément l'information sur la composition de cette colle ni de l'encre et sur les potentiels produits toxiques qui ont été utilisés."
Permettre aux femmes de choisir en toute transparence
C'est un combat que Règles élémentaires, le collectif Georgette Sand et la Fondation des femmes mènent depuis plusieurs années : dépasser le tabou des règles, permettre aux femmes de choisir en toute transparence les protections qu'elles achètent en fonction de leur composition et à terme contraindre tous les fabricants à modifier le processus pour ne plus utiliser de produits potentiellement dangereux.
Pour standardiser les données, un décret doit sortir au 1er juillet. Ces trois associations ont été reçues au ministère de la Santé pour en parler, rassurées par les engagements d'Olivier Véran. Alors ministre de la Santé, il avait demandé sur France Info que les industriels du secteur inscrivent sur l’emballage de leurs produits la liste exacte "de tout ce qui compose les tampons, les serviettes hygiéniques et les coupes menstruelles", de façon intégrale, lisible.
Le projet de décret que France Inter a pu consulter, précise bien que doivent figurer "en caractères indélébiles, visibles, lisibles et compréhensibles, en langue française", les risques sanitaires et la liste des composants présents et "pour chacun de ces composants, le détail des substances et matériaux que chacun comprend incorporés intentionnellement durant le processus de fabrication du produit fini. "
Un décret "vidé de sa substance"
Et c'est bien ce dernier mot "produit fini" qui fait tiquer les associations qui dénoncent un décret "vidé de sa substance". "Seuls les produits ajoutés intentionnellement par les fabricants sont concernés", explique Marie-Paule Noël du collectif Georgette Sand. "Ce sont par exemple, les parfums qui sont ajoutés dans certaines protections mais ça ne permet pas de savoir quels sont les résidus potentiellement toxiques qu'on a retrouvés à ce jour dans les protections menstruelles, qui seraient issues de la contamination des matières premières ou des produits chimiques qui seraient formés lors des procédés de fabrication quand il y a le blanchiment du coton ou le collage de la serviette."
"L'autre problème", poursuit Marie-Paule Noël, "c'est qu'on a demandé à ce que la composition soit affichée sur la boîte, à l'extérieur ou sur l'emballage, et non pas à l'intérieur, sur la notice, comme c'est prévu dans ce projet de décret", poursuit-elle. "Parce que de fait, quand vous allez en magasin acheter votre produit, vous n'avez aucun moyen de savoir ce qu'il y a à l'intérieur du paquet que vous voulez acheter."
La direction générale de la santé donne quelques précisions : "Ce n’est que lorsque la taille du produit ou de son emballage rend impossible cette prescription que le décret prévoit que ces informations doivent figurer sur une notice."
Un manque d'études sur le sujet
Les associations pointent également un manque d'études sur le sujet, la dernière étant un avis de l'ANSES de 2018 qui note l'absence de risques sanitaires établis vu les faibles concentrations mais recommande aussi d'éliminer de nombreux produits du processus de fabrication.
"L'ANSES a surtout conclu qu'on ne pouvait pas vraiment savoir", estime de son côté Maud Leblon, "puisque les études qui avaient été faites, l'ont été sur un échantillon assez réduit de produits. Et deuxièmement, on utilisait des seuils d'acceptabilité pour les traces de produits toxiques qui ont été retrouvées, qui sont des seuils utilisés pour une utilisation cutanée. Mais on sait que les muqueuses vaginales ont des propriétés très spécifiques, encore plus au moment des règles. Et c'est dans ce cadre-là qu'il faudrait étudier l'impact de ces produits, leur perméabilité, leur transférabilité notamment de potentiels perturbateurs endocriniens"
La direction générale de la Santé rappelle que le projet de texte a fait l’objet d’une large consultation auprès des industriels concernés et des associations des femmes. Des réponses aux demandes de clarifications ont également été réalisées en janvier et en mars dernier auprès de ces parties prenantes.
Repoussée au 1er janvier 2024
La date d'entrée en vigueur a été repoussée du 1er juillet au 1er janvier 2024 à condition que certains dispositifs soient bien validés par la Commission européenne. Le Conseil d’État devra également avant publication donner son avis. Les trois associations regrettent par ailleurs que les culottes menstruelles soient exclues de ce projet de décret. Elles ont lancé une pétition #Affichetacompo.