"Le corps subtil des invisibles" - Un texte inédit de Tobie Nathan

L'ethnopsychiatre et romancier Tobie Nathan était l'invité de Boomerang. Au micro d'Augustin Trapenard, pour sa carte blanche, il a choisi de nous lire un texte qu'il a écrit sur l'intelligence des virus.
Il est le grand spécialiste d'un courant bien spécifique de la psychiatrie qui consiste à travailler sur l'origine culturelle des patients. C'est ce que l'on appelle "l'ethnopsychiatrie". Il publie son tout dernier ouvrage La société des belles personnes dans lequel il livre une fresque historique partant des heures sombres de l’Égypte à la part enfouie de la mémoire française, une épopée foisonnante et tragique. À cette occasion, Tobie Nathan a souhaité partager avec nous un texte inédit qu'il a choisi de consacrer à l'intelligence des virus :
"Le corps subtil des invisibles" - Un texte inédit de Tobie Nathan
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"Qu’a-t-on vu lors de l’explosion de l’épidémie du Covid-19 ? De la peur !… Des dirigeants qui avaient peur, de se tromper, de se faire 'dégager', peur de contracter la maladie, aussi… Mais ils ont voulu nous faire peur… et nous avons fini par crever de peur. On ne nous a proposé que des pensées rétrogrades, anémiques : se protéger, se tenir à distance, se confiner, se calfeutrer… Pas d’invitation à savoir, à découvrir, à penser… Pourtant les virus, ces êtres dont nous commençons tout juste à mesurer la complexité, si proches de nous, au point que nous en hébergeons des cohortes, des légions, des milliards, dans nos viscères, qui jouent au tréfonds de nos cellules avec les constituants de notre ADN, sur eux, les virus, il y en avait à connaître, il y en avait à raconter !
Or, on ne parlait que de la maladie, si peu des êtres, des virus…
Alors, je vais vous en parler ! Les virus, qui ne sont pas constitués de cellules, qui ne produisent aucune énergie, devraient être considérés comme des fragments de matière inerte. Inertes tant qu’ils sont éloignés de leur hôte, ils deviennent frénétiquement vivants sitôt qu’ils l’ont pénétré. La ressemblance est frappante avec d’autres invisibles, les djinns, je veux dire les esprits. Le djinn, 'croyance populaire', personnage mythique, sans corps, sans autonomie, s’anime lui aussi d’une vie frénétique lorsqu’il investit un être humain, qu’il rend d’abord malade puis qu’il contraint à lui rendre un culte au cours duquel d’autres humains 'tomberont', c’est-à-dire seront saisis par des djinns à qu'ils devront à leur tour rendre des cultes, et ainsi de suite… Sitôt que l’humain est possédé par un djinn, le djinn bouge par son corps, parle par sa voix.
Ed Rybicki, professeur de microbiologie à l’Université du Cap, utilise un langage presqu’identique au mien pour parler du virus. Il écrit :
Je considère que les virus sont vivants, car lorsqu'ils sont dans une cellule, ils deviennent la cellule.
Peut-être les peuples qui connaissent les djinns sont-ils mieux à même de gérer leur relation avec des autres radicalement autres, comme ils le font avec les djinns ? Peut-être pourrions-nous apprendre d’eux ?"
Aller plus loin
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