Le Havre : la mort d'un docker sur fond de trafics de drogue sème la peur sur le port

Publicité

Le Havre : la mort d'un docker sur fond de trafics de drogue sème la peur sur le port

Par
L'une des entrées du Port autonome du Havre.
L'une des entrées du Port autonome du Havre.
© Radio France - Emmanuel Leclere

Au Havre (Seine-Maritime), la ville du Premier ministre, la mort d'un docker retrouvé sur un parking de l'agglomération sème l'inquiétude. Sa mort serait liée au trafic de drogue. Ces trois dernières années, une vingtaine de dockers auraient été kidnappés et menacés.

Coke en stock sur les docks. Une semaine après la découverte du corps d’un docker, délégué CGT au port du Havre (Seine-Maritime), l'enquête s'oriente sur la piste d'un kidnapping, lié au trafic de drogue et qui aurait mal tourné. C’est la première fois qu’un docker est retrouvé mort après avoir été enlevé, séquestré et frappé. En revanche, ce n'est pas une nouveauté que des dockers et des agents du port soient menacés ou intimidés, en lien avec le trafic de cocaïne, qui a explosé ces dernières années. Ils seraient, ces trois dernières années, une vingtaine a avoir été enlevés, séquestrés et parfois roués de coups avant d’être relâchés. Il n’y a toutefois eu que très peu de dépôts de plaintes.

Les cartels utilisent les dockers, de gré ou de force 

Aujourd'hui, Le Havre est considéré par les spécialistes des cartels de la drogue sud-américains comme la première porte d’entrée en France en volume pour la cocaïne en provenance directe ou indirecte de Colombie ou du Mexique.

Publicité

Ces cartels ont besoin en permanence de complicités, de gré ou de force. Et encore plus, selon les enquêteurs spécialisés sur les stupéfiants, depuis le début du déconfinement : les vols commerciaux n’ayant pas repris, les frontières extérieures de l’Union européenne étant fermées, les ports européens sont devenus encore plus stratégiques qu’ils ne l’étaient avant la crise du Covid-19. Et les pressions sur les employés seraient en conséquence encore plus fortes… 

Allan Affagard, 40 ans, le docker retrouvé mort vendredi 12 juin, avait été mis en cause pour son rôle présumé dans le déchargement d’une cargaison, surveillée depuis de longues semaines par différents services de renseignement, douaniers et policiers. Trois hommes cagoulés auraient déposé son corps sur le parking d’une école sur la commune de Montivilliers, après l’avoir enlevé la veille au soir, séquestré et roué de coups.

Délégué syndical CGT sur le port havrais, il avait été mis en examen en 2018 et placé sous contrôle judiciaire, mais pas en détention provisoire. Il avait d'ailleurs toujours nié avoir été corrompu ou avoir demandé à ses collègues de fermer les yeux au bon moment. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est qu’il était allé porter plainte au début de l’année, pour des messages de menaces reçus sur son smartphone. Des textos du type "on sait où tu habites", envoyés via une messagerie cryptée, et lui réclamant der donner un coup de main lors d’une livraison. 

Le nombre d'affaires en lien avec le trafic de cocaïne a augmenté

On savait que les affaires de saisie de cocaïne se multipliaient ces dernières années sur le port du Havre : les prises, de plus en plus importantes, se comptent désormais en tonnes. Et sur les quelques 3000 employés, plusieurs dizaines de dockers ont été mis en cause, certains déjà condamnés.

Ce fut le cas par exemple l’année dernière, lors d’un procès retentissant à Lille, où huit dockers comparaissaient pour leur participation au déchargement d’une cargaison. Certains ont avoué leur rôle dans la logistique pour faire sortir discrètement la marchandise et reconnu combien ils avaient touché – des sommes allant de 20 000 euros à 100 000 euros en fonction du service rendu, une "fourchette basse" précise une source proche du dossier. 

Le métier de conducteur de cavaliers (les grues géantes qui déchargent les containers des bateaux) serait particulièrement recherché par les trafiquants. Et les corrompus, évidemment, mieux rémunérés. Ce sont ces dockers qui vont chercher les containers pour les placer aux bons endroits, dans des angles morts de caméras par exemple, raconte un bon connaisseur de ces déchargements illégaux. Mais dans la chaîne, on trouve aussi l'agent qui fera rentrer une voiture, celui qui fournira le bon badge, etc. 

La revue de presse du week-end
6 min

Terrorisés par la potentielle présence d’une équipe de tueurs sud-américains

Depuis une semaine, les responsables de la CGT des dockers déclinent toute interview. Samedi, un rassemblement était organisé en hommage à Allan Affagard et le syndicat appelait à la grève. 

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Dans un communiqué, l’unique organisation présente sur le port rappelle : "Notre camarade Allan n’a jamais été condamné pour le moindre fait concernant le trafic de drogue et pour quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. A l’inverse, il a toujours été au front pour combattre pour le port du Havre et pour les ouvriers dockers."

Certains parlent du choc provoqué par la mort d'Allan Affagard et c’est une peur sans précédent qui s’est répandue sur le port. Depuis plusieurs jours, ils sont terrifiés, dit un proche de l’un d’eux. Nombreux sont ceux qui pensent qu’une équipe de tueurs colombiens ou mexicains au service des cartels de la drogue est venue au Havre pour torturer et tuer l’un de leurs délégués syndicaux. 

"On l’a décrit [le docker retrouvé mort] avec un œil crevé, un chiffon imbibé d’alcool, une oreille arrachée", raconte l’avocat normand Guillaume Routel, qui défend plusieurs dockers mis en cause ces dernières années. "C’est normal qu’ils aient eu peur." Les premières fuites dans cette affaire faisaient bien penser à la signature des cartels sud-américains. Ce type de torture est en effet réservé à celles et ceux qui ne coopèrent pas ou qui sont considérés comme des "balances". 

Mais en réalité, Allan Affagard n’a pas été torturé, comme l’ont confirmé vendredi les magistrats lillois de la juridiction interrégionale spécialisée, en charge de cette affaire très sensible qui se déroule dans la ville où, par ailleurs, le Premier ministre Edouard Philippe est candidat aux élections municipales. Ce qui fait dire à Guillaume Routel qu’il faut rester "extrêmement prudents" sur ce qui a été présenté au départ comme un règlement de compte. 

Le communiqué de presse envoyé vendredi soir.
Le communiqué de presse envoyé vendredi soir.

"C’est devenu une industrie"

Le parquet à Lille n’a pas précisé à ce jour les causes exactes du décès du docker havrais, mais il y a bien eu enlèvement la veille au soir, suivi au moins d’une bagarre.  Ce scénario en rappelle bien d’autres aux magistrats et aux enquêteurs de police judiciaire qui suivent ces affaires. Selon les informations de France Inter, depuis trois ans, pas moins d’une vingtaine de dockers et de personnels du port du Havre ont été enlevés, séquestrés, et parfois roués de coups avant d’être relâchés

"C’est devenu une industrie", dit une source qui a eu accès à ces dossiers dont très peu au final ont fait l’objet d’un dépôt de plainte. Les proches ou des amis des victimes finissent par faire des signalements, mais pas les victimes. Plusieurs sources qui ont eu à traiter ce genre d'affaires expliquent que les violences et menaces surviennent  quand des employés refusent de faire sortir des cargaisons de cocaïne et ce parfois après avoir fermé les yeux et/ou touché un pot de vin une première fois ; ou bien parce qu’ils se font racketter après avoir touché des dizaines de milliers d’euros.