Le musicien Skygge : "L'intelligence artificielle, c'est un partenaire qui vous propose des surprises"
Par Julien Baldacchino
Après un premier album en 2018, le projet Skygge, qui mêle musique pop et intelligence artificielle, revient avec un nouveau spectacle, créé ce vendredi à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise). Le musicien Benoît Carré a travaillé entouré de ses ordinateurs pendant les confinements pour créer un album sur la mélancolie.
"J’ai écrit cet album pendant la pandémie, quand on était enfermés, que la ville était déserte : je me suis retrouvé avec mes machines pendant cette période". Quatre ans après "Hello World", un premier album collaboratif (sur lequel on entendait notamment Stromae ou The Pirouettes), Skygge revient avec "Melancholia", un deuxième disque, plus introspectif.
Skygge, cela signifie "ombre" en danois. Et l'ombre, c’est celle de Benoît Carré, auteur-compositeur connu notamment pour son "Voyage en Italie" dans le groupe Lilicub, et musicien en résidence depuis 2015 au sein d'un groupe de recherche musicale nommé CTRL Soundtrap. "Avec les chercheurs, nous inventons des outils qu'utiliseront peut-être les musiciens demain - en tout cas, ce sont des prototypes", explique-t-il.
Mélodies originales et sons hybrides
Les morceaux de Skygge sont en effet le fruit d’un travail sur des outils faisant appel à l’intelligence artificielle pour créer de la musique. Il n’y a pas une, mais plusieurs intelligences artificielles, en réalité : tel algorithme imagine des mélodies, tel autre est capable de produire des sons, des arrangements, etc. Loin d’une idée de remplacer la patte humaine, l’idée est "d’ouvrir de nouvelles portes" :
Ce que m’apporte la machine, c’est de l’inattendu. C’est quelque chose qui dépasse la zone de confort. C’est comme avoir une espèce de partenaire qu’on aurait bien paramétré, mais qui propose tout de même des surprises, des sons ou des harmonies originales.
En écoutant les morceaux déjà sortis de l’album "Melancholia", plus que les mélodies, ce sont ces sons nouveaux qui attirent l’oreille : on entend des voix humaines et qui pourtant ont quelque chose de mystérieux, des instruments que l’on pourrait penser hybridés. Et c’est le cas : "Par exemple, la chanson Océan noir est née de la rencontre entre une fugue de Schubert et une cuica, un instrument brésilien. Dans une expérimentation, j’ai fait se rencontrer ces deux sons différents, et ça a donné une sonorité, un son, une boucle d’environ vingt secondes", devenue la base du morceau, raconte le musicien.
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"Certains outils sont plus expérimentaux, ils proposent des choses plus étonnantes mais avec une moins bonne qualité de rendu sonore. On a l’impression d’entendre des sons venus du passé, tout en étant très actuels", ajoute Benoît Carré.
Un musicien curateur
Pour obtenir ce résultat, l'intelligence artificielle attend du musicien qu’il la nourrisse, et si possible, beaucoup. "Il faut donner beaucoup de soi-même aux machines, il faut s’impliquer : j’ai mis dans le logiciel beaucoup de sons glanés ici où là, des enregistrements réalisés au Japon, des voix d’opéra", afin d’entraîner la machine à créer de la musique en s’inspirant de l’existant. Le métier de musicien s’enrichit d'une nouvelle carte, celle du curateur, celui qui va, avant même de composer, passer beaucoup de temps à écouter et sélectionner des sons, des inspirations, et alimenter les algorithmes avec ce contenu.
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Le second élément de la recette, c’est de se laisser surprendre : "Il faut accepter de laisser s’échapper un peu le contrôle. La question de savoir si l’on corrige ou non les imperfections est importante. Je choisis de ne corriger que ce qui est vraiment faux, mais je laisse les imperfections, parce qu’elles font partie de ce que génèrent les machines, de leur marque de fabrique". Ça et là, on entend ainsi un rythme qui tombe là où on ne l'attendait pas, un son qui donne un air légèrement dissonant... mais tout cela reste accessible - plus que le premier album, dont les titres étaient plus expérimentaux : "Ce n'est pas mainstream, c'est une pop assez sophistiquée, mais elle ne se veut pas élitiste", explique l'artiste, qui, sur scène, prend la parole pour donner les clés de compréhension de cette coopération entre l’homme et la machine.

Nouveau rapport à l’intelligence artificielle
Sur scène, dans le spectacle créé à résidence à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise) et dont la première a lieu ce vendredi, Benoît Carré est accompagné par la machine, mais aussi - et surtout - par ses instruments "traditionnels" et par une équipe de créateurs et de créatrices qui travaillent notamment sur de grandes vidéos en images de synthèse, projetées pendant les chansons. "On navigue entre des moments très planants, en sons et en images, et d’autres plus drôles, où je montre comment je travaille", explique le musicien.
Dans l’intervalle de trois ans qui a séparé les deux albums, si la technologie a évolué ("Les vitesses de calcul ont explosé"), c'est surtout le rapport à ces intelligences artificielles qui a changé.
Je suis passé à un rapport plus exigeant.
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Benoît Carré, rappelant le thème de l’ombre qui guide le projet (inspiré d’un conte d’Andersen lui-même nommé "L’ombre"), compare son changement de rapport à l'IA à un changement de personnage : "Dans le premier album, j'étais du côté de l’ombre qui essaie de s’émanciper et qui devient semi-humaine. Aujourd’hui, je suis plus du côté du chercheur poète qui laisse s’échapper son ombre et qui entretient un rapport ambivalent avec elle"… au point d’enregistrer un duo avec lui-même : "Océan noir" est créditée comme un duo entre Skygge… et Benoît Carré.