L’expérience était jusque là menée dans quelques régions, elle est désormais étendue au territoire national. L’objectif est d’accompagner les pédophiles vers un parcours de soins adapté et d'éviter le passage à l’acte. Le numéro est gratuit et confidentiel.
Le dispositif avait été lancé en novembre 2019, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, dans quelques régions (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Centre-Val-de-Loire, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Aquitaine, puis étendu à l’Ile-de-France et le Grand-Est au moment du confinement). Le 0 806 23 10 63 permet désormais d’être orienté partout sur le territoire et d’être guidé vers des professionnels de santé formés.
Un premier pas vers un suivi médical
Ce sont les Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), rattachés aux hôpitaux publics et où travaillent 200 personnes, qui gèrent les appels à ce numéro d’écoute. "Il y a des personnes pour qui il est plus simple d’engager la conversation et d’expliquer ce qui les a poussé à appeler. D’autres pour qui ça peut prendre quelques minutes, parfois dans le silence", explique Alessandra Conti, psychologue au CRIAVS d’Île-de-France.
"Parler de cette attirance sexuelle pour les enfants est très difficile. Par téléphone, cela désinihibe un peu, c’est plus simple que se rendre physiquement dans un Centre médico-psychologique pour demander de l’aide".
"Avoir une oreille qui puisse entendre cette parole sans jugement, et savoir qu’il peut y avoir des espaces où cette souffrance pourrait s’apaiser, est un soulagement pour eux" - Alessandra Conti, psychologue.
Dans les CRIAVS, où l’expérience a été menée ces derniers mois, les médecins constatent que l’appel intervient souvent après un long cheminent. "Le plus compliqué, c’est de composer ce numéro d’écoute" détaille Walter Albardier, psychiatre et responsable du CRIAVS d’Île-de-France. "Et c’est souvent au bout du téléphone une rencontre très pesante, lourde et forte. On a des gens qui, pour certains, sont enfermés dans leur problématique depuis des années et qui en parlent pour la première fois, complètement désemparés et isolés".
Franchir le pas est d’autant plus difficile que "les termes sont souvent utilisés à mauvais escient" poursuit Anne-Hélène Moncany : "La pédophilie désigne un trouble psychiatrique qui se définit par une attirance sexuelle chronique pour les enfants, mais le passage à l’acte n’est absolument pas nécessaire au diagnostic. Une personne qui agresse sexuellement un enfant est qualifiée de pédocriminelle, mais elle n’est pas forcément pédophile. Ça rend ce sujet complexe. Et pour les personnes pédophiles, cette confusion rend plus difficile la demande d’aide".
Prendre en charge pour éviter le passage à l’acte
L’appelant est dirigé vers le CRIAVS de sa région. Un professionnel de santé (psychologue, psychiatre, sexologue) l’écoute pour évaluer sa situation et trouver, près de chez lui, un parcours de soins adapté, ce qui est loin d’être anecdotique selon Walter Albardier : "La pédophilie est tabou dans notre société, et de nombreux professionnels de santé ne sont pas formés à recevoir cette parole. Certaines des personnes qui nous appellent avaient d’ailleurs déjà essayé de trouver de l’aide, et avaient abandonné car elles s’étaient heurtées à un mur, à des professionnels qui les ont repoussés."
Le numéro d’écoute pour les pédophiles n’est d’ailleurs pas un numéro d’urgence, mais un numéro qui permet de s’orienter vers un suivi, qu’il soit psychologique, médicamenteux ou les deux. "Paradoxalement en France, analyse Anne-Hélène Moncany, psychiatre et présidente de la Fédération française des CRIAVS, les personnes qui ont déjà commis des agressions sexuelles sur mineurs sont rentrées dans un dispositif judiciaire et donc dans un circuit de soin ; le vrai manque concerne les personnes qui ne sont pas passées à l’acte".
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Car ce dispositif n’a pas vocation à lutter contre la récidive mais bien contre le premier passage à l’acte. "On est dans une société où il faut désigner les gens suite à un acte. Là, la question c’est d’aller tendre la main pour éviter qu’il n’y ait des actes", poursuit Walter Albardier. "Alors bien sûr ça nous met face à des discours qui sont très compliqués à entendre. Tout le monde ne peut pas écouter les fantasmes pédophiliques de quelqu’un d’autre. Mais pour nous, professionnels formés, il s’agit d’éléments techniques. Et l’enjeu est que cette parole se libère pour que la personne puisse être prise en charge. Fermer les yeux, ne pas écouter, ne pas entendre, c’est se mettre nous tous et nos enfants en danger."
Quels résultats ?
Depuis le début de l’expérimentation en novembre 2019, 253 personnes - dont une femme - ont appelé le numéro d’écoute pour les pédophiles. Certains ont consommé ou consomment des images pédopornographiques, mais il ne s’agit pas de la majorité des appelants.
"Il est essentiel de s’occuper des victimes, et il faut faire de la prévention auprès des victimes potentielles ; mais si on veut être efficace, il faut aussi faire de la prévention auprès des auteurs potentiels". Anne-Hélène Moncany, présidente de la Fédération française des CRIAVS
Impossible de savoir si le dispositif a permis d’éviter des passages à l’acte, et combien. "Mais en Allemagne où le numéro existe depuis quinze ans", argumente Anne-Hélène Moncany, "plus de 10 000 personnes ont appelé, et la moitié se sont inscrites dans une thérapie. On se doute qu’il y a eu des passages à l’acte évités. Et même s’il n’y en a eu qu’un seul, c’est déjà une victoire".
En France, le 0 806 23 10 63 reste pour l’instant méconnu. Une campagne de communication devrait être menée. L’extension du numéro à tout le pays se fait à budget constant.