Le principal accusé, Ali Riza Polat, menace une enquêtrice antiterroriste : "Tu mens, tu vas le payer !"

Publicité

Le principal accusé, Ali Riza Polat, menace une enquêtrice antiterroriste : "Tu mens, tu vas le payer !"

Par
Ali Riza Polat, de son box, a menacé l’enquêtrice qui a déposé à la barre aujourd’hui
Ali Riza Polat, de son box, a menacé l’enquêtrice qui a déposé à la barre aujourd’hui
© Corbis - Matthieu Boucheron

Jour 34 au procès des attentats de janvier 2015 - La cour a notamment entendu aujourd’hui une enquêtrice antiterroriste qui a détaillé la garde à vue de trois des accusés, dont le principal, Ali Riza Polat, qu'elle considère comme "le bras droit" d'Amedy Coulibaly, le terroriste de Montrouge et de l'Hyper Cacher.

L'enquêtrice de la sous-direction antiterroriste qui est à la barre parle d'une voix claire, et raconte le puzzle qu'elle et nombre de ses collègues ont reconstitué, pièce par pièce, pour aboutir à ce procès, avec quatorze accusés : trois absents, présumés morts ou en fuite, onze accusés dans le box vitré, le dernier, en liberté, assis devant ses avocats sur un strapontin. En ce 34e jour d'audience, l'enquêtrice de la sous-direction antiterroriste ne parle que de trois de ces accusés : Ali Riza Polat, Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez. Et elle commence par le principal, le seul des onze présents à risquer la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d'assassinats terroristes : Ali Riza Polat.

Le président de la cour d'assises gronde l'accusé Ali Riza Polat  : "Ah, s'il vous plaît, vous commencez pas, hein !"

Dans le box de gauche, coincé dans un angle, Ali Riza Polat est l'accusé qui porte chaque jour des chemises et celui qui très souvent, depuis un mois et demi, a laissé exploser sa colère et lâché des insultes tous azimuts. Il regarde l'enquêtrice qui commence à raconter sa garde à vue, en mars 2015, deux mois après les attentats. C'est un co-accusé, Willy Prévost, qui a mis les enquêteurs sur sa piste, lors de sa propre garde à vue, en janvier 2015. Le 24 janvier 2015, les policiers se sont ainsi mis à filer Ali Riza Polat, et ont décidé de l'arrêter en mars 2015. L'enquêtrice précise à la cour d'assises spéciale que certaines auditions ont été "très difficiles". Ali Riza Polat commence à protester dans son box. Le président, d'un ton autoritaire : "Ah, s'il vous plaît, ah, vous commencez pas hein !" La policière poursuit.

Publicité

Ali Riza Polat avait six lignes téléphoniques. Sur l'une d'elle, il a été en contact avec Amedy Coulibaly, jusque vers 1h30 le 7 janvier 2015. Le lendemain, Coulibaly assassinait la policière de Montrouge, Clarissa Jean-Philippe, et le surlendemain, il menait sa prise d'otages sanglante dans l'Hyper Cacher, où les forces de l'ordre ont fini par l'abattre. Sur une autre ligne, Polat a contacté 200 fois, entre septembre 2014 et le 6 janvier 2015, Metin Karasular, garagiste belge aujourd'hui assis dans le box d'en face. L'enquêtrice explique que 4 des 6 lignes de Polat ont été utilisées pour appeler exclusivement Amedy Coulibaly et Willy Prévost. Elle les appelle les "quatre lignes conspiratives". Et précise que "quand Amedy Coulibaly change de puce, Ali Riza Polat "est au courant de celle d’après". Elle parle d'une ligne, d'une puce et d'un téléphone, remis par Amedy Coulibaly à Ali Riza Polat, le 5 janvier 2015 au soir sur un parking. Sur cette ligne, 30 SMS ont été échangés avec Amedy Coulibaly. Alors que dans le même temps, Chérif Kouachi, un des tueurs de Charlie Hebdo, utilisait une ligne quasi identique, issue de la même "flotte", à un numéro près, avec pour seul interlocuteur Amedy Coulibaly.

"Je cherchais une solution pour le rembourser, j'étais en position de faiblesse, je pouvais pas refuser"

Polat et Coulibaly se connaissaient depuis 2007. Ils habitaient tous les deux à Grigny, trafiquaient tous les deux, surtout des histoires d'escroqueries, mais pas que. Un jour de 2009, dans une affaire trafic de stupéfiants, Coulibaly avait fourni de la drogue à Polat, qui devait en retour 15 000 euros à Coulibaly. C'est en tout cas ce que Polat a déclaré en garde à vue. Invoquant cette dette, pour expliquer qu'à la sortie de prison de Coulibaly en 2014, ce dernier aurait réclamé son dû, et comme Polat n'avait pas les sous, il se serait mis à lui rendre des "services", comme l'accompagner où il le lui demandait. "Je cherchais une solution pour le rembourser, j’étais en position de faiblesse, il me cherchait, il me trouvait, je ne pouvais pas refuser". 

Selon l'enquêtrice, Polat a joué un rôle d'intermédiaire dans l'achat et la revente de la Mini Cooper, officiellement pour Hayat Boumeddiene, la fiancée de Coulibaly, la seule femme accusée de ce procès, toujours en cavale. La voiture avait été achetée 27 000 euros, avec un crédit. Revendue moins de la moitié. Dans le garage de l'accusé Karasular, qui ressemblait davantage à "une casse", a précisé l'enquêtrice. Un quart de cette somme aurait été récupérée en Belgique, chez Karasular, lors d'un voyage en date du 3 janvier 2015. Polat et Coulibaly étaient du même voyage. Polat aurait gardé la somme et l'aurait remise à Coulibaly, trois jours plus tard. 

"Menteuse !"  crie Polat, de plus en plus énervé 

"C'est faux, t'es une menteuse !", s'énerve Polat dans son box. Sur les bancs des parties civiles, des avocats s'offusquent : "Oh !" Le président rappelle tout le monde à l'ordre : "S'il vous plaît !" Ce soir-là, de retour de Belgique, Polat et Coulibaly seraient allés à Épinay-sur-Seine, où habite Nezar Mickaël Pastor Alwatik, autre accusé, autre ami de Coulibaly. Son ADN a été retrouvé sur un gant du terroriste dans l'Hyper Cacher, et sur des deux armes de poing. Ce soir-là, Polat ne serait pas monté chez Pastor Alwatik. Son alibi, dit l'enquêtrice : "il mangeait des Curly dans la voiture". Polat, plus calme, dans son box : "Voilà, c’est la vérité !" 

Puis, elle poursuit son récit d'enquêtrice. Évoque encore une fois cette nuit du 6 au 7 janvier, dernier soir où Polat aurait vu Coulibaly. Et voilà Polat qui explose à nouveau, se secoue dans son box et lance : "C'est faux, tu mens, à cette heure-ci, j'étais en Belgique !" Et le président tape encore du poing sur sa table : "S'il vous plaît, ça va se terminer par une expulsion, alors si vous voulez la parole, tenez-vous tranquille !" Polat a du mal, se colle le front contre la barre en bois du box, se lève, remet la chemise dans son pantalon, comme souvent, se rassied, gigote derrière la vitre. 

Et l'enquêtrice commence à détailler ce qui a été retrouvé en perquisition, dans le pavillon de sa mère, à Viry-Châtillon : un passeport, collé sous une table, un iPad. Le passeport a révélé une tentative de fuite de Polat, après les attentats. Car entre le 12 et le 19 janvier 2015, Polat s'est envolé pour le Liban. Le 17 janvier 2015 : il s'est présenté au poste-frontière pour rentrer en Syrie. Il est refoulé, et revient en Europe, aéroport de Belgique, Bruxelles. Le 20 janvier 2015, le voilà qui réveille sa maman en pleine nuit, en Île-de-France. Il est paniqué, lui demande de l'accompagner à Roissy-Charles-de-Gaulle. Elle prend le volant, retire pour son fils 800 euros. À 5 heures 14, la vidéosurveillance de l'aéroport de Roissy montre Polat errant. À 8 heures 10, il tente de décoller pour la Thaïlande. Se fait retoquer car il a une interdiction de sortie de territoire. Alors, il part tenter sa chance depuis la Belgique. Et décolle de Bruxelles pour Bangkok le 21 janvier. Et revient en France dès le 25 janvier. "C’est assez surprenant pour nous de voir ça", commente l'enquêtrice. Et elle livre les justifications de Polat lors de sa huitième audition de garde à vue : "J’avais peur pour moi, peur qu’on vienne me chercher, car j’étais un ami de Amedy Coulibaly". Peur au point d'aller en Syrie ? La Syrie où s'étaient enfuis juste avant les attentats Hayat Boumeddiene, fiancée de Coulibaly, accompagnée des frères Belhoucine.  Polat lui, avait ainsi expliqué son choix de la Syrie, dans une déclaration extravagante : il prétendait avoir vu à la télé que Paris avait coupé les ponts avec Damas, et se serait donc trouvé plus à l'abri, en Syrie.

Le président à l'accusé menaçant : "Vous allez être expulsé !" 

Un discours peu crédible, considérant ce qui a été découvert dans l'IPad : images de combattants de Daech, montant des salaires de soldats de l'État islamique, extrait de Dabiq, le magazine d'Al Qaïda, un chat et une kalachnikov, des images de la revendication d'Amedy Coulibaly, et aussi et photo du policier Ahmed Merabet à terre, après son assassinat par les frères Kouachi. Et l'enquêtrice se met à évoquer le rapport entre Polat et à la religion. Elle dit qu'il vient d'une famille Kurde non pratiquante, mais qu'en 2012 il a commencé à s'intéresser à l'islam, et alors acheté un livre expliquant "comment faire la prière pour les enfants". Et en 2014, il aurait prié de manière très assidue, dans des mosquées de l'Essonne. L'enquêtrice explique que Polat aurait cette année-là, traité sa mère et sa sœur de "mécréantes". Polat hurle contre elle, depuis le box. Il menace la policière : "Tu vas le payer !" Émotion dans la salle. Mais l'audience se poursuit. Des avocats de parties civiles protestent et demandent au président d'inscrire noir sur blanc que cette grave menace a été proférée. Et l'avocat général se lève, et tonne : "Il y a des limites à pas dépasser Monsieur Polat !", et il promet de le poursuivre pour menace sur personne dépositaire de l'autorité publique, ce qui le conduira en plus devant un tribunal correctionnel. Polat continue à s'énerver : "Elle peut mentir sur moi mais pas sur ma famille. Arrêtez de mentir ! Mon beau-frère il va venir. Tout ce que vous voulez mais pas ma belle-famille. Je vais tous les balancer !" Le président gronde : "S'il vous plaît, sinon vous allez être expulsé !" Et d'un coup, Polat se calme : "Non, non, c’est bon, pardon". À la barre, la policière se tait. L'avocate de Polat, Me Coutant-Peyre demande à excuser son client : "Je me bats pour qu’il garde son calme". Le calme revient. La policière à la barre continue à égrener les charges contre Ali Riza Polat. Elle dit qu'il était en fait le "bras droit" d'Amedy Coulibaly. Coulibaly à qui il aurait rendu une sorte d'hommage les 28 et 29 janvier 2015, en se rendant devant l'Hyper Cacher, le 28, et allant acheter le 29 à Bastille, boulevard Richard-Lenoir, une pomme d'amour, là où le terroriste de Montrouge et de l'Hyper Cacher allait les déguster. Il en raffolait. 

Des "dattes" pourries, un nom de code pour les armes ?

Miguel Martinez, à gauche, et Abdelaziz Abbad à droite
Miguel Martinez, à gauche, et Abdelaziz Abbad à droite
© Radio France - Matthieu Boucheron

Puis l'enquêtrice détaille d'autres pièces de son puzzle, étalé sur plusieurs mois, entre l'été 2014 et janvier 2015. Une somme de 1 434 euros aurait été donnée par Polat au garagiste Karasular, le 10 juillet 2014. Karasular qui avait écrit de sa main une liste d'armes. Sur cette liste : "1 300 9 mm / 1 400 Tokarev / chargeur / mitraillettes..." La sous-direction antiterroriste avait fait illico le rapprochement avec les 1 434 euros donnés à Karasular pour ces armes. De premières armes ont été trouvées dès l'été, emmenées dans un sac jusque chez Polat, mais elles n'ont pas plu à Coulibaly qui les a trouvées trop "pourries, rouillées". Coulibaly en a réclamé d'autres. Celles de l'été auraient été jetées dans la Meuse, précise l'enquêtrice à la barre. Et elle parle de deux autres listes sur lesquelles on peut lire lance-roquette, rappelant au passage qu'un lance-roquette a été trouvé entre les mains des Kouachi. L'enquêtrice explique qu'à l'automne, d'autres armes ont donc été recherchées, une à une. Entre autres, deux armes longues que Karasular aurait trouvées sur le toit de son garage un beau matin, par le plus grand des hasards ! Et il les aurait vendues à deux autres co-accusés, des Ardennais : Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez

Ces armes auraient été apportées dans un sac, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre, par un autre accusé : Michel Catino. Mais c'est surtout Abbad et Martinez dont il est question aujourd'hui. Abbad dont l'enquêtrice brosse ce portrait : "Musulman non radicalisé, avant tout trafiquant de stup, poursuivi pour complicité d'assassinat, susceptible avoir fait tuer un homme avec un Uzi". Il a été arrêté en 2017, dans cette affaire des attentats de janvier 2015. Il connaissait la femme de Saïd Kouachi, camarade de collège. On lui a montré une photo de Saïd Kouachi en garde à vue, et il avait dit avoir vu un homme ressemblant à Saïd Kouachi qui lui aurait dit : "on veut des kalachs, deux kalachs, si tu peux en avoir d'autres, pistolets et gilets pare-balle". Et Abbad serait parti chez Karasular à la recherche de ces armes, avec Miguel Martinez, converti à l'islam, sans signe de radicalisation. 

A propos de ces armes trouvées sur le toit de Karasular, avec ce fil tiré jusqu'aux frères Kouachi, les avocats d'Abdelaziz Abbad s'étonnent. Et posent des questions qui plongent l'enquêtrice dans des sables mouvants, à la barre. Me Margaux Durand-Poincloux démontre que ça ne pouvait pas être l'aîné des Kouachi qu'Abbad a reconnu, sur les photos des policiers. Et elle dit s'étonner du manque de vérifications par la police. Me David Apelbaum enfonce le clou et se demande si la police n'a pas tout fait pour trouver un "volet Kouachi dans ce dossier vide" ? Il souligne que les deux armes dont parle l'enquêtrice n'ont jamais été retrouvées dans l'arsenal des Kouachi. L'audience reprendra lundi, avec l'interrogatoire de Metin Karasular, le garagiste belge. 

Dans le prétoire
3 min