Le procès d’un policier de la CSI-93 annulé et renvoyé à l’instruction… à la demande de la victime

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Le procès d’un policier de la CSI-93 annulé et renvoyé à l’instruction… à la demande de la victime

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Ce membre de la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) de Seine-Saint-Denis devait être jugé pour l'arrestation violente d'un jeune homme de 20 ans à Saint-Ouen, le 9 aout 2019
Ce membre de la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) de Seine-Saint-Denis devait être jugé pour l'arrestation violente d'un jeune homme de 20 ans à Saint-Ouen, le 9 aout 2019
© AFP - Ludovic MARIN

Le tribunal correctionnel de Bobigny s'est déclaré jeudi incompétent pour juger un policier d'une unité de Seine-Saint-Denis au coeur d'un vaste scandale, estimant que les faits reprochés de faux en écriture publique relevaient d'une cour d'assises. Il appartient désormais au parquet de relancer les investigations.

Chronologiquement, cette affaire datant d’août 2019 est la deuxième à avoir éclaboussé la compagnie départementale de sécurisation et d’intervention en Seine-Saint-Denis (93). Mais médiatiquement, c’est la première des deux histoires à avoir été révélée et largement commentée sur la place publique : la diffusion d’une vidéo d’une intervention policière qui a dégénéré avait provoqué un véritable scandale. L’affaire pourrait se finir aux assises, mais pas avant 2024.  

La vidéo, filmée par le voisinage dans la cité Émile Cordon à Saint-Ouen (commune limitrophe de Paris, 93), montre un policier en civil s’en prendre à un jeune homme à coup de poings sur un parking. À l’époque déjà, dès le visionnage, on comprend vite qu’il s’agit de la possible interpellation d’un dealer qui tourne au combat de boxe, et ce à l’avantage du policier. Mais alors que le suspect est au sol, maîtrisé, menotté, le même policier et ses collègues en tenue, arrivés en renfort, lui mettent des coups de pieds, y compris dans la tête. Le parquet de Bobigny, déjà saisi d’une autre affaire de policiers pris en flagrant délit de bavure policière sur fond de ce qu’on appelle dans la profession un "habillage" - un policier a glissé un sachet de drogue au pied d’un patron coiffeur qui se rendait dans une épicerie avant de l’arrêter à coups de poings et de clé d’étranglement déclenche aussitôt une enquête préliminaire confiée à l’IGPN,  la police des polices. 

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Rapidement, en quelques semaines, la  version et le procès-verbal de l’agent sont  remis en cause.  Dans son procès-verbal, le policier explique avoir réalisé un flagrant délit d’achat de drogue, entre un client et un dealer, avant que la situation ne dégénère. Mais le client a disparu. La "victime", elle, livre un tout autre scénario qui se serait déroulé, hors caméra, sous un porche de la cité Cordon à Saint-Ouen : un client se présente pour acheter du "shit", le dealer se retourne pour couper un morceau de cannabis et alors qu’il s’apprête à remettre la marchandise, il reçoit un jet de gazeuse lacrymogène en plein visage.

Ripoux ou volonté de s’attaquer aux dealers ?

Au départ, le policier, Kevin C. est soupçonné d’avoir réalisé un "faux coup d’achat", sans autorisation ni brassard de police au bras (il l’avait, dit-il, dans sa poche). Plus d’un an après les faits et après enquête de l’inspection générale de la police nationale, il est poursuivi pour faux en écriture publique et pour violences illégitimes. Son avocat, Fréderic Gabet, estime que cette affaire n’a pourtant rien à voir avec le scandale actuel qui frappe la compagnie départementale de sécurisation et d’intervention du 93. Même si les images sont accablantes, l’avocat demande que l’on se restreigne à regarder les éléments de cette procédure, sans la contextualiser et surtout qu’on tienne compte de l’avis du médecin judiciaire qui n’a finalement octroyé "que deux jours d’ITT pour des blessures très légères". 

La victime dit avoir été "tasée" sur le bas ventre et les testicules

Le policier en question n’appartient pas à l’unité au cœur de l’autre affaire qui secoue la sûreté parisienne. Membre de l’unité des motards de la CSI 93, il n’a aucun antécédent, aucune mise en cause en interne, défend son avocat, spécialiste des affaires mettant en cause des policiers en Seine Saint-Denis. Yassine Bouzrou, l’avocat de Thierry L., la victime, SDF qui a reconnu vendre de la drogue, est d’un tout autre avis. Cette affaire lui semble révélatrice de méthodes scandaleuses d’une partie des policiers de terrain en Seine Saint-Denis "En les jugeant en correctionnelle pour ce genre d’histoire, on laisse penser aux policiers de ce département que ce qu’ils font n’est pas grave finalement et surtout qu’ils sont protégés", explique maître Bouzrou. "Mon client a été victime d’actes de barbarie ; outre les coups de pieds dans la tête alors qu’il était sans défense au sol, il a reçu trois décharges électriques de Taser pendant son trajet vers le commissariat". Ce qu’atteste le rapport de l’IGPN sans toutefois préciser quelle partie du corps a été atteinte. C’était "deux tirs dans le bas du ventre et un sur les testicules", selon la victime, dans sa déposition. Et l’avocat de poursuivre sa charge contre les policiers intervenus en août 2019 à Saint-Ouen dans la cité Emile Cordon : "Ce n’est pas sur procès-verbal parce que mon client ne voulait pas dire que l’argent qu’il avait sur lui venait du trafic de drogue mais il s’est fait voler ce jour-là 180 euros.  […] et puis les policiers l’ont ensuite aspergé de matière fécale durant son trajet vers le commissariat". L’expertise que nous avons pu consulter et qui apparaît dans le rapport de l’IGPN confirme que de la matière fécale apparaît bien sur les vêtements de la victime âgée de 22 ans. Mais l’enquête ne dit pas qui est à l’origine de ces traces de matière fécale.  

Un procès aux assises, mais pas avant 2024

Pour les défenseurs de Thierry L, ce policier aux méthodes douteuses doit être renvoyé devant une cour d’assises ne serait-ce que pour le faux en écriture par un policier dépositaire de l’autorité publique, ce qui est un crime. S’étonnant par ailleurs, que le parquet n’ait pas renvoyé les autres agents présents ce jour-là.  Selon nos informations, la procureure de Bobigny Fabienne Klein-Donati et le vice procureur Loïc Pageot, en charge des dossiers "police" ont fait sciemment le choix d’amoindrir les charges contre le policier pour le juger plus vite en correctionnelle et indemniser la victime "comme cela se fait dans de nombreuses juridictions" a confirmé le vice procureur ce jeudi soir devant les magistrats de la 14e chambre du tribunal de grande instance de Bobigny.  Mais à partir du moment où la victime refuse cet arrangement, elle est en droit de refuser ce procès. 

Consulté, l’avocat du policier, par ailleurs bâtonnier de l’ordre des avocats du 93 a jugé que la demande de la défense était pertinente et même incontournable. Ce jeudi soir, le tribunal a préféré annuler la procédure et s’est déclaré incompétent. Le dossier va être confié à un juge d’instruction avec à la clé un possible procès aux assises, mais pas avant 2024, a déclaré le vice procureur au vu de l’agenda judiciaire totalement saturé en Seine Saint-Denis.

Au total, une quinzaine d’enquêtes préliminaires ont été ouvertes pour réexaminer des procès-verbaux douteux de policiers de la CSI. Mais la principale enquête sur commission rogatoire d’un juge d’instruction est toujours en cours. Durant plusieurs mois, les enquêteurs de l’IGPN ont surveillé et sonorisé sur leur lieu de travail et dans leurs voitures de service plusieurs agents de la CSI 93 soupçonnés de corruption et de racket. Leur rapport est attendu d’ici la fin de l’année. Le vice procureur de Bobigny a précisé ce soir que le policier mis en cause dans l’affaire qui n’a donc pas été jugé ce jeudi 5 novembre 2019 n’est pas concerné par les enquêtes en cours sur la CSI 93.