Le rejet de "l'idéologie woke" au cœur du lancement du think tank de Jean-Michel Blanquer
Par Timour ÖztürkCe concept, né aux États-Unis dans les mouvements militants afro-américains, a occupé une large partie des interventions à la soirée de présentation du "Laboratoire de la République", un cercle de réflexion fondé par le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer.
À la maison de l'Amérique latine dans le 7e arrondissement de Paris, le ministre de l'Éducation nationale a rassemblé environ 200 personnes mercredi soir, dont des personnalités comme la députée Aurore Bergé, Élisabeth Badinter ou encore Philippe Val, pour la présentation de son "Laboratoire de la République", en gestation depuis deux ans. Quand Jean-Michel Blanquer prend le micro, il n'y a pas assez de chaises pour tout le monde, certains se pressent à la porte de la salle pour suivre le discours d'inauguration de ce cercle de réflexion axé sur "les valeurs fondamentales de la République".
Un think tank que Jean-Michel Blanquer verrait bien aux avant-postes de la lutte contre ce qu'il appelle les "pensées de la fragmentation". Il désigne sous cette appellation "les attaques symétriques de l'extrême gauche et de l'extrême droite", mais l'essentiel des interventions de la soirée est consacré à la dénonciation du "wokisme", un concept né dans les mouvements militants afro-américains aux États-Unis.
Difficile de se mettre d'accord sur une définition du "wokisme"
Mais qu'est-ce exactement que le "wokisme" ou la pensée "woke" ? Tiré du verbe anglais to wake, se réveiller, ce concept désigne originellement au sein du mouvement militant afro-américain aux États-Unis la conscience des oppressions que subissent certains individus ou certaines catégories sociales dans la société américaine. Mais avec sa diffusion, le terme provoque de vastes débats et se trouve être la cible de nombreuses critiques.
Jean-Michel Blanquer en propose une définition toute personnelle : "Le wokisme est un mot plus connu aujourd'hui en Angleterre ou aux États-Unis. Si l'on veut le définir, c'est finalement une pensée qui cherche d'abord et avant tout à définir les gens par leur identité supposée et qui met cela avant. Ce que nous, nous mettons en avant c'est-à-dire le fait que tous les hommes naissent libres et égaux en droits." Une idéologie que le ministre rejette : "On a besoin d'une société diverse où l'on se respecte et où l'on ne se définit pas par son degré de victimisation ou par son identité supposée, mais tout simplement comme citoyen. C'est la beauté du projet républicain français."
Présente à cette soirée de lancement du "Laboratoire de la République", la secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et de l'Engagement Sarah El Haïry décrit à sa manière "ces idées qui nous fragmentent". Pour elle l'idéologie woke dit "à toute une jeunesse qu'elle est condamnée d'avance avec des discours victimaires. Ils vont leur dire 'Parce que ton nom est celui-là, tu vas être discriminé, tu n'as pas ta place'. Ce sont des gens qui à l'extrême gauche séparent des réunions en fonction de la couleur de peau ou en fonction du sexe. C'est une vision indigéniste, certains discours décoloniaux absolument radicaux, et de l'autre côté l'extrême droite tient exactement le même discours identitaire."
Tandis que Ilana Cicurel, députée européenne et animatrice des échanges de la soirée estime que : "Le wokisme ça part de quelque chose qui à l'air au début sympathique, c'est se réveiller et se révolter contre des inégalités. Évidemment que ça c'est un combat majeur. Le problème de cette approche c'est que le wokisme a tendance à penser que pour défendre la cause des noirs il faut être noir, que pour défendre la cause des juifs il faut être juif. Sous couvert d'être un combat antiraciste ça enferme chacun dans son identité. La beauté de l'antiracisme c'est l'universalisme, au nom de notre humanité commune. C'est cela que le wokisme est en train de détruire. C'est pareil si vous dîtes 'seules les femmes peuvent être féministes' vous êtes en train de créer des fractures. Nous sommes dans une société terriblement fracturée pour des raisons sociales et territoriales, ne creusons pas ces inégalités en nous donnant l'air de vouloir les réduire. C'est une forme d'hypocrisie et c'est très dangereux."
En France pourtant peu de militants semblent se réclamer de la "culture woke" et selon l'IFOP seuls 14% des Français en avaient entendu parler en mars 2021. Frédéric Dabi le directeur général de l'IFOP était présent mercredi soir à la tribune pour apporter l'éclairage de récents chiffres issus d'une enquête de son institut auprès des jeunes. Un tiers d'entre eux pensent qu'il existe un "racisme d'État" s'alarme Frédéric Dabi et près de 40% des jeunes pensent que "les inégalités de genre sont systémiques". Si les jeunes ne se revendiquent pas "woke", _"comme Monsieur Jourdain ils font du wokisme sans le savoir"__,_ constate dans un sourire le sondeur, tout en précisant que ces opinions concernent surtout les moins de 35 ans.
Une volonté d'encadrer la jeunesse
Le "Laboratoire de la République" est avant tout adressé aux jeunes, dit le ministre, pour leurs "permettre d'avoir des cercles de débats qui soient très différents des cercles de radicalité qui existent aujourd'hui et qui peuvent être tentants pour une partie de la jeunesse." Jean-Michel Blanquer semble regretter un manque de structuration et de présence de la majorité présidentielle chez les étudiants notamment "face à l'activisme de l'extrême gauche comme de l'extrême droite sur le plan intellectuel comme sur le plan politique".
Le ministre estime que son camp a déjà "un temps de retard" sur le "wokisme" en particulier "à l'université" et semble prédire une montée inexorable de ce courant de pensée : "Il y a certaines idées si on ne s'en occupe pas elles s'occupent de nous et on doit donc identifier celles qui avancent. Même si le mot "woke" est encore méconnu en France, c'est considéré comme l'élément de clivage numéro 1 aux États-Unis et ça a conduit à des polarisations très fortes. L'élection de Trump était en partie une réaction au wokisme. Mieux vaut regarder le phénomène avant qu'il n'ait envahi tous les secteurs de la société."
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Une cercle de réflexion appelé à perdurer après 2022
Au micro, Jean-Michel Blanquer énumère les domaines dans lesquels il souhaite prioritairement combattre ces "pensées de la fragmentation". Il s'agit de l'université, du domaine médiatique et des réseaux sociaux, du secteur de la culture et enfin du monde politique. Un programme de bataille des idées où il convoque le théoricien communiste italien Antonio Gramsci et sa théorie des victoires culturelles à remporter avant de pouvoir gagner le pouvoir politique.
"Ne nous laissons pas marginaliser et décrire comme vieux et franchouillards", appelle de ses vœux le ministre. Jean-Michel Blanquer viserait-il en fait le long terme, au-delà du scrutin de 2022 ? "Mon objectif n'est pas spécifiquement de nourrir le débat lors de la présidentielle, mais de l'alimenter plus en profondeur et dans la durée", assume tranquillement le ministre de l'Éducation.
Une autre expression également controversée n'a - elle - pas été prononcée de la soirée : "Islamogauchisme". Jean-Michel Blanquer avait pourtant déclenché une polémique en l'utilisant il y a un an. Interrogé sur la question lors du lancement de son think tank, le ministre de l'Éducation a dit ignorer où en était l'enquête dans les universités commandée par la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Récherche Frédérique Vidal à ce sujet.