Léa Dordilly et Simon Clémenceau, ensemble c’est tout

Publicité

Léa Dordilly et Simon Clémenceau, ensemble c’est tout

Par
Avec Simon Clémenceau, Léa Dordilly défend l'un des accusés du procès du 13-Novembre
Avec Simon Clémenceau, Léa Dordilly défend l'un des accusés du procès du 13-Novembre
© AFP - Dordilly Clémenceau Avocats

Ces deux jeunes avocats se sont rencontrés il y a six ans. Depuis, ils ne se séparent jamais. Et défendent ensemble l’accusé Adel Haddadi qui encourt 20 ans de réclusion criminelle au procès des attentats du 13 novembre 2015.

Ils sont deux. Deux robes noires parmi la trentaine d’avocats de la défense du procès des attentats du 13 novembre 2015. Et si on les remarque, ce n’est pas tant par la multiplicité de leurs interventions à l’audience - ils sont plutôt du genre à cultiver une parole rare mais efficace. Non, ce qui frappe plutôt, c’est l’évidente complicité qui se dégage de leur duo. Car depuis leur rencontre, entre le deuxième et le troisième tour de la conférence du stage, ce concours d’éloquence à l’issue duquel les douze meilleurs candidats deviennent secrétaires de la conférence et assurent, une année durant, la permanence pénale dans les affaires criminelles et de terrorisme ; depuis ce jour-là, ils ne se sont jamais vraiment quittés. Depuis cette soirée passée “ assis sur le trottoir, sans parler à personne d’autre, à se raconter nos vies”.  Des vies, sinon similaires, aux valeurs identiques.

Parents instituteurs pour elle. Postiers pour lui. Et “une passion commune du service public”. “Mon père était très engagé politiquement”, raconte Simon Clémenceau. “On a tous les deux une vraie idée du service public de la justice”, rebondit Léa Dordilly. “Pour moi, travailler à la commission d’office, ça a du sens. Il y a quelque chose de noble là-dedans”. Et puis, reconnaît Léa Dordilly, “j’ai toujours été déléguée de classe à défendre le dernier de la classe” . Ajoutez à cela, une soeur aînée journaliste à France 2, membre de l’association de la presse judiciaire et une tante avant elle, “qui nous a raconté des histoires de faits divers toute notre enfance”. Et le chemin était presque tracé. Lorsqu’elle embrasse l’avocature, personne n’est vraiment surpris autour d’elle. “Même si, dix ans après, ma mère continue à avoir des angoisses quand je lui dis que je vais en prison. Même si, il y a certains clients que mes proches ne comprennent pas très bien que je les défende”.

Publicité

"Mettre de la légèreté dans des situations de détresse"

Simon Clémenceau, lui, préfère retenir la fierté de son père, de le voir embrasser ce métier. Il est décédé en 2018. Léa Dordilly était présente aux obsèques. Tout comme, il y a deux ans, Simon est devenu le parrain de sa fille “et ma mère lui tricote des vêtements”, sourit Simon Clémenceau. Ces deux-là ne se quittent pas, on vous l’a dit. “On est en contact, 24 heures sur 24. Il n’y a pas une journée où on n’échange pas”, résume Léa Dordilly. “C’est quelque chose que je n’avais jamais connu : un lien d’amitié qui se conjugue avec un accord professionnel. C’est rarissime”, poursuit Simon Clémenceau. Après un premier procès d’assises, un dossier de viol sur lequel ils ont “adoré travaillé ensemble”, Léa Dordilly veut qu’ils montent un cabinet d'avocat tous les deux : “Je l’ai harcelé pendant un an”. Jusqu’en avril 2018. Depuis, ils partagent un bon tiers de leurs dossiers, dont la quasi-totalité des dossiers d’assises. C’est elle qui est d’abord devenue l’avocate d’Adel Haddadi pour les attentats du 13 novembre 2015 et lui qui l’a rejoint dans la perspective du procès. Ça a été l’inverse pour l’un des accusés de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. Et quand la matière terroriste devient un peu trop lourde, la force de leur duo prend tout son sens : “On rit énormément. Quand on se retrouve à attendre sur le parking de la prison de Fleury-Merogis, quand on prend des bus pour traverser la France pour aller voir nos clients, raconte Léa Dordilly, ça nous permet de mettre de la légèreté dans des situations de détresse”.

Car ces deux-là sont devenus secrétaires de la conférence début 2016. Pendant cette année-là, la majorité des dossiers pour lesquels ils sont appelés comme avocats commis d’office étaient donc des dossiers terroristes. “C’est en matière terroriste que j’ai connu les plus grands drames de ma carrière”, poursuit Léa Dordilly. À l’image de cette scène qui l’a “laissée traumatisée” : celle d’une jeune fille de 16 ans, “radicalisée sur Telegram”, remise en liberté et au coeur d’un “séjour de rupture à la ferme”. “Le parquet antiterroriste a fait appel, elle a été réincarcérée devant moi, ils ont du me l’arracher des bras, en pleurs”, se souvient Me Dordilly. “Je n’arrive même pas intellectuellement à comprendre comment on en était arrivés là”.

"La fin d'un cycle"

Alors, oui, il y a eu “des moments de renoncement”, ainsi que le résume pudiquement Simon Clémenceau. “Des moments où j’avais l’impression de n’avoir plus aucune marge de manoeuvre”.  Une temps, il s’éloigne donc des dossiers terroristes. Puis y revient. Jusqu’à V13, le petit nom du procès des attentats du 13 novembre 2015, mastodonte de dix mois et “la fin d’un cycle” pour tous les deux. Après ? Ils reviendront à la justice ordinaire qu’ils affectionnent. “J’adore faire du “petit pénal”, des comparutions immédiates”, assure Simon Clémenceau qui ne peut que déplorer le contraste entre les moyens considérables dévolus à V13 quand “la justice qui fait mon quotidien habituellement, elle, est au bord de l’effondrement”. Après, ce sont aussi des projets. Pourquoi pas l’ouverture d’un cabinet secondaire à Marseille. “Mais on n’a pas d’ambitions démesurées” sourit Léa Dordilly qui est aussi maman d’une petite fille de deux ans et “ça remplit déjà une vie”.