Les caméras thermiques militaires révolutionnent l'observation et la connaissance du loup

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Les caméras thermiques militaires révolutionnent l'observation et la connaissance du loup

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Le projet CanOvis permet une observation fine du loup.
Le projet CanOvis permet une observation fine du loup.
- Fondation Jean-Marc Landry

Pour mieux protéger les troupeaux, un éthologue a entrepris de mieux identifier et comprendre le comportement des loups. Avec des caméras thermiques mises au point par Thalès, il a observé des milliers d'heures l'animal. Ce qu'il met en évidence révolutionne la connaissance du loup et de ses comportements.

En finir avec les débats passionnels et remettre les faits au coeur de la réflexion : c'est l'objectif de Jean-Marc Landry, éthologue jurassien qui étudie depuis des années les loups et leurs comportements. Il utilise des jumelles très sophistiquées, mise au point par Thalès à des fins militaires et montre ainsi que le loup a des comportements plus variés et plus subtils que ce que la légende fait croire

Depuis quatre ans, avec son équipe, il a pu apporter des informations essentielles aux éleveurs ou aux bergers pour préserver leurs troupeaux. Car selon lui, l'essentiel de ce que l'on raconte sur le comportement nocturne du loup relève de l'imagination. "Personne n'était allé voir", explique le scientifique. Pour apporter des observations de qualité, le matériel classique ne suffit pas. 

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"Avec des caméras thermiques non refroidies, vous avez une limite de 300 m. À cette distance, vous ne pouvez pas distinguer un loup, d'un chevreuil ou d'un renard. Et nous, on commence à travailler à partir de 300m pour ne pas déranger les troupeaux, afin de ne pas constituer un biais pour l'observation", détaille Jean-Marc Landry_._ En 2017, il s'est tourné vers l'un des spécialistes mondiaux reconnus de la technologies des caméras thermiques refroidies (15 000 vendues dans 70 pays).  

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4 min

Des champs de bataille aux prairies

Ces jumelles thermiques appelées "Sophie", outre qu'elles grossissent 12 fois, "permettent de voir dans le noir total, sans même l'éclairage de la lune ou des étoiles", précise le spécialiste du programme Camera Export chez Thalès, Jean-Marc Geyer. "Le concept c'est de mesurer des écarts de température entre différents objets", explique t-il. 

Pour une image la plus distincte possible, la caméra doit être en permanence refroidie afin que la source lumineuse (ici les infrarouges) ne soit pas perturbée par la chaleur de la caméra elle-même. Outil développé pour les militaires en opération, cet appareil a évidemment les mêmes performances quand il s'agit d'usages civils comme l'étude de la faune sauvage dans son milieu. 

Ainsi, les jumelles thermiques sont capables de différencier la température entre l'œil du loup, son museau et sa patte selon Jean-Marc Geyer. Doté d'un zoom puissant, le modèle ZS (Zoom surveillance) permet de voir jusqu'à plusieurs kilomètres de distance tout en enregistrant la scène visualisée. 

Une cohabitation pas toujours sanglante

Depuis 2013, Jean-Marc Landry, Gérard Millischer, pisteur de loup et Jean-Luc Borelli, membre de l'IPRA, l'institut pour la promotion et la recherche sur les animaux de protection, totalisent plus de 4.000 heures d'observation nocturne. Ces observations qui requiert de longues nuit à l'affut , parfois aidé de stagiaires ou de bénévoles, ont littéralement révolutionné la connaissance du loup. La première chose qu'on a mis en évidence explique le scientifique, c'est que "les loups vivent avec le système pastoral, les brebis ou les bovins". "Ils ne sont pas à part du milieu. Ils partagent le même territoire que les troupeaux. La deuxième chose observée, c'est que les loups côtoient souvent les troupeaux sans s'y intéresser. On les voit passer à côté d'eux, parfois les traverser et ça se passe très bien", ajoute-t-il. 

Une étude publiée en 2020 détaille six années d'observation dont cette "grande découverte", explique Jean-Marc Landry. "Je pensais sincèrement qu'un loup qui s'approche d'un troupeau dans un alpage, c'est pour attaquer. Or, ils vivent avec les troupeaux et malheureusement, parfois, il y a des attaques", concède t-il. 

Autre découverte : contrairement à ce qu'on entend souvent, les louveteaux ne participent pas aux chasses en août et septembre. "Ils sont encore tout petits et restent au site de rendez-vous à attendre les adultes partis à la chasse." Grâce aux images, l'éthologue peut apporter des preuves objectives qui contredisent les croyances sur cette espèce mystifiée. Pour former des bergers ou discuter avec des éleveurs, ces images sont aussi capitales afin de dépassionner les discussions.

Aider à former éleveurs et bergers

L'an passé, l'équipe a pu filmer une attaque de loup à 6 kilomètres de distance, avec ces jumelles thermiques. Plus le milieu est ouvert, plus le champ est large. Mais le brouillard est un obstacle à la surveillance que l'infrarouge ne permet pas de lever. 

Sur la base des avancées scientifiques recueillies, Jean-Marc Landry estime possible d'objectiver le sujet et d'éloigner les croyances : "Cela permet de montrer aux bergers comment travaillent leurs chiens et souvent leur efficacité. Quand on fait de la formation c'est important. On peut aussi prendre des décisions pour diminuer les attaques. Souvent, on voit le résultat d'une attaque au petit matin et les autorités retiennent que les chiens échouent", raconte t-il. 

Nos images montrent toutes les fois dans la nuit où le chien parvient à repousser les attaques du loup et où il y a des failles dans le système.

Un autre intérêt de ces nouvelles données est la gestion de l'abattage des loups. En France où un quota de tirs est autorisé chaque année pour tuer le prédateur (environ une centaine par an), comment savoir quel loup tuer ? Si le prédateur abattu n'est pas celui qui attaque les troupeaux, l'effet sera nul.

Améliorer encore l'observation

Chez Thalès, la recherche continue et la prochaine génération de caméra arrive. Grossissement de 15 fois, couplage avec la position GPS de l'objet ou l'être visé dans les jumelles thermiques, possibilité de mesurer la distance par laser sont des fonctionnalités nouvelles. 

Enthousiaste, Jean-Marc Landry ne voit qu'un défaut au système : son coût qui en limite l'accès. La "Sophie ZS" vaut "le prix d'une très belle voiture", évoque Jean-Marc Geyer de chez Thalès. La fondation de suivi des loups bénéficie aujourd'hui d'un partenariat avec l'industriel pour une caméra dernier modèle et s'est acheté deux exemplaires de la génération précédente (les trois avec autorisation obligatoire délivrée par la Direction générale de l'armement). Pour l'éthologue, il y a bien un avant et un après caméra thermique refroidie, tant les avancées dans la connaissance qu'elles ont permis lui semblent avoir révolutionné le domaine.