Les échecs : des premiers dés à Netflix, 64 cases à travers l'Histoire
Par Fanny Leroy
Le jeu d'échecs nous vient de loin et constitue une véritable culture. Plus qu’un divertissement, ce jeu millénaire, à la portée allégorique, inspire et rayonne dans la peinture, la littérature, le cinéma et les arts.
Histoire du jeu
Vieux comme le monde, la naissance des échecs, revendiquée par plusieurs civilisations - les Perses, les Grecs, les Chinois et les Romains - demeure assez mystérieuse. Ce jeu est très probablement né en Inde vers le VIe siècle dans sa forme la plus ancienne. On dit qu’un brahmane l’aurait inventé pour faire entrer quelques idées dans la tête des Grands. Le jeu dans sa forme originelle a connu de nombreuses modifications avant de voir ses règles et sa forme fixées.
Invité de Jean Lebrun dans La Marche de l’Histoire, Éric Birmingham raconte comment le jeu a évolué depuis sa forme archaïque jusqu’à sa forme moderne. "Les Perses ont opéré des bouleversements significatifs, notamment en supprimant les dés qui existaient initialement, pour gommer la notion de hasard. Le jeu est aussi passé de quatre à deux joueurs. Le nombre de pièces et leur fonction se sont beaucoup étoffés au fil du temps" (la reine, par exemple n’existait pas dans le monde musulman).
Dans son livre, L’Ancre de Miséricorde, Pierre Mac Orlan écrivait :
Il y a plus d’aventure sur un échiquier que sur toutes les mers du monde.

Un jeu de guerre qui voyage à la faveur des croisades
Le jeu d'échecs voyage de l’Inde vers la Perse, puis vers l’Espagne arabo-andalouse et l’Italie avant de s’installer plus au nord. Le monde arabo-musulman a connu de grands maîtres dont Al Suli, un joueur de la fin du IXe siècle, auteur de plusieurs manuels sur les échecs. Ce dernier avait également soulevé très tôt la dimension métaphysique de ce jeu :
Le jeu d’échecs rappelle au Shah qu’il joue sur le même terrain que les paysans !

"Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un jeu de guerre qui occupe les chevaliers lorsqu’ils ne sont pas sur le terrain. C’est un jeu qui a pu être violent par le passé, les pièces en marbre sont lourdes et de temps en temps, un joueur fracassait le crâne de son adversaire avec une figurine. C’est sans doute aussi avec l’évolution de l’artillerie que le jeu évolue, les pièces devenant à leur tour beaucoup plus puissantes" raconte le journaliste spécialiste du jeu, Éric Birmingham.
Les échecs : un sport ?
Le caractère statique du jeu peut dérouter. Cependant, comme l’explique Bachar Kouatly, président de la Fédération française, invité de L’Œil du Tigre, "jouer aux échecs suppose une introspection permanente et demande beaucoup d’efforts". Ce que corrobore Pauline Guichard, championne de France d'échecs en titre en 2018 : "À haut niveau, on travaille quotidiennement entre quatre à six heures minimum. Les tournois durent une semaine et sont épuisants physiquement. Cela suppose un entraînement, comme pour tout grand sportif".

Quelques grands champions
Le premier des champions français est un musicien du XVIIème. Prénommé Philidor, il avait pour coutume de jouer entre deux concerts à la cour du roi. Son buste est visible à l’Opéra Garnier. Visionnaire, Philidor a été l’un des premiers à considérer que "les pions sont l’âme du jeu d’échecs", une parole à large portée qui préfigure la Révolution française.
L’Union soviétique a connu de grands joueurs comme Alexandre Alekhine (1892-1946) qui donna son nom à une ouverture "la défense Alekhine" ou encore Mikhaïl Botvinnik (1911-1995) qui transmit son savoir aux célèbres Anatoli Karpov et Garry Kasparov. Si l’on compte de nombreux champions russes, c’est que les échecs sont massivement enseignés aux enfants au sein des Palais des Pionniers (centres de loisirs) au même titre que la musique et la gymnastique. Il faut citer aussi l'éminent joueur cubain José Raúl Capablanca (1888-1942) et la joueuse hongroise née en 1976, Judit Polgár.

Éric Birmingham précise :
À une époque, les joueurs d’échecs sont des super-stars. Le cas le plus fabuleux, c’est Alexandre Alekhine à qui il est arrivé de jouer simultanément contre 34 personnes à l’aveugle, une performance intellectuelle qui revient à traverser l’Atlantique à la rame !
Les qualités requises pour jouer
Parmi les qualités requises pour le jeu d’échecs, on peut citer la patience, l’anticipation, la mémoire, la concentration…
Bachar Kouatly :
Le cerveau humain n’a pas la capacité des algorithmes des ordinateurs. Cependant, il génère du plaisir et les échecs produisent un plaisir infini. C’est une discipline extraordinaire qu’il faudrait faire entrer à l’école.
Le pianiste et compositeur de jazz, René Urtreger, grand amateur d'échecs, fait volontiers l’analogie entre le jazz et les échecs : "Dans les deux cas, le jeu s’anticipe, puis il y a une part d’improvisation".
Un jeu à fort potentiel allégorique

William Faulkner écrivait dans Le Gambit du Cavalier :
Un jeu où se reflètent et où s’avèrent toutes les passions de l’homme, sa folie et son espoir, a toujours été autre chose qu’un simple jeu.
La riche représentation de ce jeu dans la peinture, la littérature et le cinéma témoigne de la puissance allégorique de ce jeu. Bien plus qu’un simple divertissement, les échecs suscitent de nombreuses interprétations symboliques qui vont du domaine militaire à la politique, en passant par la religion ou les relations amoureuses.
Le joueur d’échecs de Maelzel de Edgar Allan Poe, La défense Loujine de Vladimir Nabokov, Le joueur d’échec, de Stefan Zweig, La tour prend garde de Fernando Arrabal, Fous d’échecs de Rezvani, Un combat de Patrick Süskind sont quelques-unes des œuvres littéraires qui s’inspirent des échecs.
Qu'il s’agisse de fictions ou de documentaires, de nombreux films mettent en scène ce jeu cérébral et silencieux. Sans être exhaustif, on peut citer Le joueur d’échecs (1960) adapté de la nouvelle de Zweig, La diagonale du fou (1984) de Richard Dembo avec Michel Piccoli et Liv Ullmann.
La défense Loujine (d’après Nabokov avec John Turturro et Emily Watson) ou le documentaire 64 cases pour un génie (2011) qui tente de percer le secret de Bobby Fischer qui stupéfia le monde des échecs en devenant le grand Maître le plus jeune de l’histoire à… 14 ans !
Une série qui met les échecs à l’honneur
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Adaptée du roman de Walter Tevis The Queen’s Gambit, Le jeu de la dame est une mini-série de 7 épisodes créée par Scott Frank et Allan Scott. On suit l’itinéraire d’une orpheline (incarnée par Anya Taylor-Joy) qui se passionne pour les échecs et réussit à imposer son talent dans un monde dominé par les hommes. Un programme qui fait l’unanimité parmi les critiques de Une heure en série de Xavier Leherpeur :
Une remarquable série portée par une comédienne qui confine au génie, le carton du moment. Xavier Leherpeur
Ava Cahen (Frenchmania, Le Cercle) :
Le don de l’héroïne pour les échecs est traité comme un super pouvoir, c’est une série qui figure et loue l’intelligence, c’est magnifique !
"Le jeu de la dame est un grand mélo à la mise en scène ultra léchée. On voit les pièces apparaître telles des ombres au plafond, les stratégies s’amorcer en trois dimensions. La série donne accès à des zones impalpables de l’esprit.. On est à la fois dans la grande et belle forme hollywoodienne et le traitement est ultra moderne. Rien ici n’est affaire de morale, c’est un dé-tricotage des angoisses et des traumas de cette jeune fille surdouée. La série, à l’instar de son héroïne, échappe à tout formatage. Ce qu’on nous montre ici, c’est la solitude d’une jeune femme que son don popularise autant qu’il la marginalise. C’est un grand récit d’apprentissage et d’acceptation de soi, une série vibrante, un sans-faute absolu".
Benoît Lagane (France Inter, Télématin) :
"Le réalisateur va plus loin qu’une reconstitution, il nous fait vivre l’époque, ce qui est assez rare dans les séries. Les échecs, je n’y connais rien, or même si l’on n’y comprend rien, on est avec l’héroïne. Cela joue sur tous les clichés des échecs (sans en être un) cela nous parle des petits génies, de géopolitique, enfin d’une personne qui va gagner sa place dans le monde. C’est admirable !"
Marjolaine Boutet (Phosphore) :
La seule femme connue, c’est Judit Polgar, une joueuse hongroise grande maîtresse des échecs à 15 ans. On parle peu d’elle, pourtant, elle a battu Karpov, Kasparov et Magnus Carlsen. Cette série pourrait donner envie à des filles de se plonger dans ce monde.
"Toutes les parties filmées sont très réalistes, les noms d’ouvertures, les récits sur les échecs, tout est réel. C’est un film sur un sport dominé par les hommes".
Guillemette Odicino et Julien Bisson défendent eux aussi avec ardeur cette série dans Grand bien vous fasse.
Guillemette Odicino :
Les scénaristes se sont alloués les conseils avisés de Kasparov. Chaque partie d’échecs est filmée comme un film d’action de James Bond.
"C’est l’histoire d’une femme hantée par ses démons qui commence par jouer des parties imaginaires avant de se construire une carrière de joueuse professionnelle. Il y a un suspens incroyable, l’actrice crève l’écran, les costumes et les décors feraient pâlir de jalousie les décorateurs de Mad Men. Et puis, c’est un récit d’émancipation féminine, ce qui ne gâte rien".
Pour le journaliste Julien Bisson (revue America) :
C'était un véritable défi de filmer un jeu caractérisé par la distance et le silence… Pourtant, la série est formidable. On se prend de passion pour ces pièces qui bougent et ce personnage féminin est incroyable. L’héroïne ne met jamais en avant sa féminité dans son ascension et c'est très bien.
Un bonus
Un bonus poétique avec ce court métrage des Studios Pixar autour des échecs :
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Aller plus loin
- 🎧 - La chronique d'Agnès Hurstel du lundi 23 novembre 2020
- 🎧 - Une heure en série du samedi 21 novembre 2020
- 🎧 - Grand bien vous fasse du vendredi 20 novembre 2020
- 🎧 - La Marche de l’Histoire : L’histoire des échecs
- 🎧 - L’Œil du Tigre Les échecs, un sport
- 🎧 - Extraits du Joueur d'échecs de Zweig lu par Guillaume Gallienne et Zabou Breitman.