Les enjeux financiers cachés du procès des attentats du 13 novembre 2015

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Les enjeux financiers cachés du procès des attentats du 13 novembre 2015

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La question de la rémunération des avocats via l'aide juridictionnelle se pose de manière plus aiguë dans un procès comme celui des attentats du 13 novembre 2015
La question de la rémunération des avocats via l'aide juridictionnelle se pose de manière plus aiguë dans un procès comme celui des attentats du 13 novembre 2015
© AFP - Jean-Philippe KSIAZEK

Cela se chiffre en millions d’euros : le montant de l’aide juridictionnelle versée pour le procès des attentats du 13 novembre 2015 atteint des chiffres exceptionnels… non sans créer de gros déséquilibres.

C’est un des enjeux – et pas des moindres – du procès des attentats du 13 novembre 2015 : la question de la rémunération des avocats. Une question qui se résume en deux lettres : AJ … comme aide juridictionnelle. L’aide juridictionnelle, c’est ce dispositif qui permet aux plus modestes de voir leur avocat rémunéré par l’État. Mais dans les affaires terroristes, elle est de droit pour toutes les parties civiles, sans aucune condition de revenus. Dans un dossier comme celui des attentats du 13 novembre, les 1 660 personnes actuellement constituées parties civiles n’ont donc pas à rémunérer leur avocat. C’est l’État qui s’en charge. Et cela fait beaucoup d’argent : plusieurs millions d’euros en l’occurrence. 

Certes, un calcul dégressif est prévu dans la loi pour les avocats qui représentent plusieurs dizaines voire centaines de victimes. Ainsi, un avocat va toucher 100% de l'aide juridictionnelle pour la première partie civile qu'il représente, 70% pour la deuxième, 60% pour son troisième client, 50% pour le quatrième et ensuite 40% à partir de la cinquième partie civile et pour chaque victime supplémentaire. En défense, en revanche, l’aide juridictionnelle est calculée par accusé. Lorsque celui-ci a plusieurs avocats – c’est systématiquement le cas dans un dossier tel que celui du 13 novembre 2015 – ceux-ci se partagent la somme allouée.  

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À cette problématique vient s’en ajouter une autre : celle de la durée des journées d’audience. Pour éviter les va et vient des détenus et les pertes de temps liées à leur transfèrement depuis leurs lieux de détention jusqu’à la salle d’audience, il a été acté que l’audience débuterait chaque jour à 12 heures 30 … et donc que les avocats percevraient une demi-journée d’aide juridictionnelle. 

Déséquilibre

Si l’on sort la calculatrice, cela donne donc : pour chaque demi-journée d’audience, une aide juridictionnelle qui se chiffre à 272 euros hors taxe. Pour un accusé, cela dépend du nombre d’avocats qu’il a choisi. S’ils sont deux, c’est la plupart du temps le cas, ils perçoivent donc 136 euros HT chacun. Pour un avocat de parties civiles, cela dépend du nombre de victimes qu’il représente. Pour dix victimes – c’est le cas de nombreux cabinets dans ce dossier – la journée d’audience est à 1 088 euros HT, 4 353 euros pour un cabinet qui représente 40 parties civiles etc. “On est mieux payés en parties civiles alors qu’en réalité, en défense, cela demande beaucoup plus de travail", confirme Me Safya Akorri, qui a défendu un des accusés du procès des attentats de janvier 2015 et est avocate de parties civiles pour celui du 13 novembre 2015. “C’est extrêmement compliqué d’être avocat de défense à l’aide juridictionnelle dans un long procès criminel”. 

Dans le cas de ce procès prévu pour compter au moins 131 jours d’audience, ces mêmes calculs donnent une rémunération totale de 37 060 euros pour un ou plusieurs avocats d’un même accusé et un peu plus de 140 000 euros pour dix parties civiles représentées, plus de 630 000 euros pour 40 victimes. Plus d'1,5 million d'euros pour cent victimes. Et ce ne sont pas là des conjectures. Selon nos informations, au moins un cabinet représente plus de cent victimes. 

Chasse aux clients

Alors récemment, un projet de décret de la Chancellerie visant à empêcher tout cumul de l’aide juridictionnelle a suscité un vif émoi parmi les avocats du dossier du 13 novembre 2015. Le projet de texte qui doit entrer en application au 1er juillet prochain prévoit ainsi, en l’état, que “lorsque plusieurs bénéficiaires de l'aide juridictionnelle présentent, dans une même instance ou dans plusieurs instances, des conclusions identiques en demande ou en défense conduisant le juge à trancher les mêmes questions, l'avocat les représentant au titre de l'aide juridictionnelle réalise à leur égard une seule et même mission."

Mais le ministère de la Justice s’est voulu rassurant : “ce texte n’a pas vocation à être applicable aux parties civiles du procès des attentats du 13 novembre 2015", a assuré la porte-parole du Garde des Sceaux, "et aucune disposition de ce texte n‘impactera le mode de rémunération des avocats qui interviennent à l’aide juridictionnelle dans ce procès”. Néanmoins, certaines inquiétudes persistent. “Qu’on puisse réfléchir à ça à tête reposée, y compris en tirant les enseignements de ces grands procès, on y est tout à fait favorable, on l’a même proposé", explique Me Frédéric Bibal, qui assiste une cinquantaine de victimes directes de ces attentats, "mais ce ne serait pas acceptable, alors qu’on est en pleine préparation d’un procès qui va s’ouvrir dans trois mois qu’il y ait une remise en question de la manière dont les avocats sont rétribués. Et c’est une crainte qu’on a.“

Car certains avocats se sont aussi organisés en fonction du montant de cette rémunération : en s’associant avec un jeune confrère, en embauchant une juriste à plein temps, en se relayant à plusieurs pour assurer une présence constante à l’audience. “Je pense que personne ne cherche à s’enrichir sur ce procès” assure Me Jean Reinhart, qui représente notamment l’association de victimes 13Onze15. “C’est une montagne ce dossier", ajoute-t-il, "ce sont des quantités de douleur qui sont déversées sur vous.” Certains avocats n’hésitent cependant pas à jouer des coudes pour tenter d’entrer dans le dossier. Plusieurs victimes qui ne se sont pas constituées parties civiles à ce stade ont ainsi eu la surprise d’être contactées par des avocats. “Un bon nombre de victimes ont été démarchées par des avocats par courrier, par téléphone ou par les réseaux sociaux” déplore Arthur Dénouveaux, président de l’association de victimes Life for Paris. “Ces intrusions par des canaux de démarchage directs sont toujours anxiogènes et mal vécues.” À trois mois de l’ouverture de l’audience, les enjeux de ce procès se jouent aussi sur le plan financier.