Les ennuis de plus en plus encombrants d'Éric Dupond-Moretti

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Les ennuis de plus en plus encombrants d'Éric Dupond-Moretti

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Éric Dupond-Moretti le 6 octobre 2020 lors des questions au gouvernement
Éric Dupond-Moretti le 6 octobre 2020 lors des questions au gouvernement
© Maxppp - Thomas Padilla

Le ministre de la Justice est-il en situation de conflit d'intérêts, en lien avec son ancien métier d'avocat ? La question est relancée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui demande des "précisions" au garde des Sceaux, sur fond de fronde des magistrats.

La procédure est tout ce qu'il y a de plus classique : le garde des Sceaux a déposé ses deux déclarations auprès de la HATVP, celle concernant sa situation patrimoniale, et sa déclaration d'intérêts. Le ministre doit y déclarer ses activités professionnelles présentes et passées, mais aussi tout mandat ou activité bénévole. La phase de contrôle et de dialogue commence alors entre la Haute autorité et la personne contrôlée. Rien de plus normal, donc. Sauf que ce questionnement relance une polémique déjà vive autour des possibles conflits d'intérêts du ministre. Son entourage confirme que la Haute autorité lui a posé deux questions.

D'abord, quelles mesures a-t-il prévu pour éviter tout conflit d'intérêts en rapport avec son ancienne activité d'avocat ? Sur ce point, c'est assez simple : la Chancellerie a mis en place un mécanisme pour bloquer toute remontée d'informations sur les dossiers suivis par l'ancien cabinet d'Éric Dupond-Moretti. Il a, pour faciliter cette démarche, transmis à son ministère la liste de tous ces dossiers.

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Une enquête contre des magistrats ayant épluché ses factures téléphoniques

Deuxième interrogation de la HATVP : comment éviter tout risque de conflits d'intérêts dans l'affaire du PNF ? En cause, l'enquête administrative demandée par Éric Dupond-Moretti contre trois magistrats du Parquet national financier, qui avaient fait éplucher les factures téléphoniques de plusieurs avocats. Le PNF cherchait la "taupe" qui aurait pu prévenir l'avocat Thierry Herzog que sa ligne secrète avec Nicolas Sarkozy était écoutée. L'enquête était restée au stade préliminaire, cachée aux avocats de la défense, pendant 6 ans, avant d'être clôturée sans poursuites.

Parmi ces avocats "épluchés", Éric Dupond-Moretti. Il avait exprimé sa fureur contre ces "méthodes de barbouze", et porté plainte fin juin. Devenu ministre le 6 juillet, il avait aussitôt retiré sa plainte, avant d'ordonner, donc, en septembre, une enquête administrative contre trois magistrats du PNF, nommément désignés. Depuis, les motions de défiance envers le garde des Sceaux se succèdent, de tribunaux en tribunaux. Dernière en date, mercredi, la cour d'appel de Paris a adopté une motion dénonçant "un conflit d'intérêts majeur". Les magistrats - dont le Premier président Jean-Michel Hayat et la Procureure générale Catherine Champrenault - estiment qu'il s'agit "d'une tentative de déstabilisation de l'institution judiciaire, en jetant le discrédit sur le PNF, à la veille de la tenue d'un procès particulièrement sensible", et que le ministre "piétine le principe démocratique de la séparation des pouvoirs au profit d'intérêts strictement privés". Le procès en question ? Celui de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert , poursuivis pour corruption et trafic d'influence (l'affaire dire "Bismuth"), qui s'ouvre le 23 novembre prochain à Paris.  

Une position de plus en plus fragilisée

La question de possibles conflits d'intérêts devient embarrassante pour le ministre : impossible, cette fois, de la balayer d'un revers de manche, il va bien falloir répondre à la Haute autorité. Et comme si cela ne suffisait pas, l'association Anticor, confirmant une information de 20 Minutes, annonce qu'elle vient de déposer une plainte contre Éric Dupond-Moretti, pour "prise illégale d'intérêts", auprès de la Cour de Justice de la République, seule habilitée à juger les ministres en exercice. Dans le viseur de l'association de lutte contre la corruption, l'enquête administrative décidée contre les magistrats du PNF, mais aussi l'affichage dans Paris-Match des liens d'amitié du ministre avec l'avocat Thierry Herzog : "le problème ce n'est pas l'amitié, c'est le fait de l'afficher, de la mettre en scène dans la presse à deux mois du procès, où l'accusation contre Thierry Herzog sera portée par les magistrats du PNF, lesquels sont sous l'autorité hiérarchique du ministre" précise Jérôme Karsenti, l'avocat d'Anticor. 

Hasard du calendrier, enfin, on apprend que l'enquête judiciaire ouverte sur l'affaire des factures téléphoniques des avocats a été classée sans suite. Après le retrait de la plainte d'Éric Dupond-Moretti, l'enquête avait en effet continué, pour savoir si les magistrats du PNF avaient porté atteinte à la vie privée des avocats. "Absence d'infraction", a finalement constaté le parquet de Nanterre. Ce qui fragilise un peu plus la position jusqu'au-boutiste du garde des Sceaux.