Les entretiens (dé)confinés, avec Claire Nouvian : "Je ne pense pas du tout que le monde va changer"

Publicité

Les entretiens (dé)confinés, avec Claire Nouvian : "Je ne pense pas du tout que le monde va changer"

Par
Claire Nouvian, fondatrice de l'association Bloom et miliante écologiste
Claire Nouvian, fondatrice de l'association Bloom et miliante écologiste
© AFP - JOEL SAGET / AFP

Camille Crosnier continue de s’entretenir à distance avec des scientifiques, penseurs, ou militants pour nourrir notre réflexion et construire le fameux “monde d’après”. Aujourd’hui, l'activiste et fondatrice de l'assocation Bloom, Claire Nouvian.

Les entretiens (dé)confinés, avec Claire Nouvian : "Les libéraux au pouvoir, c'est une catastrophe."

16 min

Comment allez vous après ces presque deux mois de confinement ?

Très bien. On ne va pas se plaindre. On a une famille équilibrée, on ne se tape dessus, on s'aime. Personne n'est alcoolique, personne n'est violent. Donc non, on a la chance de ne pas avoir à subir de violences domestiques ou de violences psychologiques.

Si vous deviez choisir un mot pour qualifier cette période ?

Je crois que comme tout le monde j'angoisse énormément, parce que je pense qu'on a du mal à saisir chaque fait historique important. On se rend compte évidemment, avec recul, qu'on avait du mal à saisir la profondeur d'un événement, quel qu'il soit. Je pense que là, on a du mal à saisir la profondeur de la crise pour les populations qui sont déjà à la base vulnérables ou précaires, comme les mineurs isolés, les SDF, les femmes violentées, les enfants pris au piège de cette violence et évidemment, tous ceux qui sont en train de subir des dégâts économiques d'une importance qu'on a du mal à s'imaginer. Je ne sais pas comment on va pouvoir organiser la solidarité entre nous parce que j'ai peine à croire que un gouvernement qui, pour moi, est sans foi ni loi, va réussir à être à la hauteur de cette mission historique, de vraiment tendre la main et d'accompagner tout le monde vers un mieux être.

Publicité
54 min

Prendre exemple sur tous ceux qui se sont énormément mobilisés pour toutes les populations précaires et vulnérables pendant la crise qui ont été incroyables de générosité. Leur donner plus d'importance, leur donner des moyens si on n'a pas de temps et organiser la solidarité entre nous. En attendant évidemment qu'on change de gouvernement, j'espère. Mon espoir absolu, c'est que les Français auront reconnu que les libéraux au pouvoir, c'est vraiment une catastrophe, une catastrophe. On en prend la mesure en cas de crise comme celle qu'on vient de traverser, et qui ne fait que développer la deuxième crise qui va avec la crise économique et sociale.

Vous êtes une activiste pour l'environnement, pourtant votre analyse est plus politique.

On a aucun espoir avec ce gouvernement sur l'environnement. Je crois que j'ai baissé les bras avec Macron et sa bande sur l'environnement depuis les tout premiers jours de son mandat, parce qu'il n'en a absolument rien à faire et il est très fort en discours. On a tous compris qu'il était fort en discours, mais en actes, c'était l'inverse de ce qu'il disait. Et donc, sur l'environnement, ça a été comme tout le reste. Pendant le confinement, le 2 mai, le gouvernement a sorti un arrêté qui va encore avantager les grands industriels de la pêche par rapport aux petits pêcheurs artisans, c'est-à-dire les pêcheurs que nous, les Français, nous aimerions soutenir, dont on aimerait consommer les produits, etc.

Et comme d'habitude, ce sont les gros lobbies qui sont au pouvoir. Faut juste pas du tout se mentir par rapport à ça. Donc, mes angoisses environnementales ne sont pas exacerbées par le confinement ou l'après-covid. Le gouvernement Macron c'est la FNSEA, les lobbies de la pêche, les industries chimiques, etc. C'est Business as usual. Donc ça, ça va tourner comme d'habitude. Je pense qu'une grande partie des environnementalistes ont arrêté d'espérer avec ce gouvernement. Notre seul point d'horizon, notre vague espoir auquel on s'accroche comme un radeau, c'est 2022. C'est l'espoir que les Français auront compris, notamment à cause des dégâts sociaux et économiques, mais aussi environnementaux, que ce gouvernement et les gouvernements libéraux partout dans le monde ne valent rien.

Il y a quelques mois, vous disiez "l'Etat nous piège dans le passé".

Il est piégé lui même. Il faut bien comprendre que mentalement, on a un gouvernement qui est inapte. Mentalement, intellectuellement, idéologiquement, ils ne sont pas formés à ça. Ils ne croient pas à la solidarité, à l'environnement, à la construction de l'avenir, à la répartition des richesses. Et en plus, leurs bailleurs de fonds, ça a été prouvé par des études, notamment les calculs qu'ont fait des économistes comme Julia Cagé, leurs bailleurs de fonds sont des libéraux, sont des financiers, sont des industriels, sont des grandes fortunes qui ont absolument intérêt à ce que rien ne change et au contraire, à ce qu'on casse les Lois Travail, à ce qu'on précarise encore plus des populations pour qu'on puisse faire comme aux Etats-Unis. Et on voit bien où en est le pays aujourd'hui avec la crise. Que tout ça soit flexible, que les travailleurs soient des espèces de données d'ajustement, de variable d'ajustement dans un profit d'enrichissement des gens qui sont déjà les plus riches. Macron en a fait la preuve maintenant on est arrivé, je pense au bout de cette logique. J'espère vraiment simplement que les gens ont pris la leçon et c'est une leçon historique.

Si vous aviez un mot pour qualifier le monde d'après ?

Un mot, c'est solidarité. C'est prendre exemple sur l'immense générosité des Français qui se sont mobilisés pour tous ceux qui en avaient besoin pendant la crise, qui ont forcé le respect et l'admiration et les émotions. Après le mot d'après c'est se souvenir, faire l'analyse de tout ça.

Ce qui a été fait par Cyril Dion et bien d'autres avec l'assemblée citoyenne, c'est tout à fait le genre de décisions et d'initiative qu'on doit soutenir, produire, etc. Mais si on ne réforme pas le monde, le modèle de financement de la vie politique, on n'y arrivera pas. En fait, ça a été montré par Julia Cagé. Les démocraties occidentales sont piégées dans un système de financement qui fait que les libéraux gagne les élections parce qu'ils ont plus d'argent. Un point, c'est tout. Une fois que les libéraux au pouvoir, ils mènent des politiques libérales qui sont injustes, violentes à l'égard de la plupart des gens et qui font monter le ressentiment dans la population. Et c'est ce même ressentiment qui nourrit l'extrémisme, le populisme.

Comment on répartit ces subventions alors ?

Dans la proposition très concrète de Julia Cagé, elle a proposé qu'on mette en place des bons de démocratie et bon pour la démocratie et que les partis politiques soient financés par le biais de notre feuille d'impôt et non plus par des dons individuels qui permettent à chaque personne très fortunée de donner 7500 euros par an par personne à une formation politique, ce qui fait que la gauche n'aura jamais l'argent. La gauche au sens PS, bien sûr.

Est-ce que cette période pourrait être une rupture qui fait que le monde va changer ?

Je ne pense pas du tout que le monde va changer c'est pour ça que mon analyse d'avant confinement, et avant-covid n'a pas changé d'un iota. Je pense que la vie va reprendre son cours petit à petit. Peut-être qu'on aura un deuxième confinement que la crise va encore s'accentuer, mais à un moment donné, le virus va disparaître et la vie va reprendre. Et comme toujours on aura une forme d'amnésie collective de ce que ça aura été. Les intérêts qui sont aujourd'hui dominants, qui ont les rênes économiques et politiques, vont continuer à avoir les mêmes intérêts ou au contraire, ils vont avoir envie de se refaire une santé économique et donc de précariser encore plus, de fluidifier le marché du travail etc.

Je pense que ce serait illusoire de penser que la crise change notre grille d'analyse. Si on a une grille d'analyse systémique de ce qui péchait dans la société française ou ailleurs mais dans notre modèle européen, en gros, l'analyse n'a absolument pas changé. Elle est plutôt renforcée et on lui donne raison. Nous, notre grille de critique "gauche-écolo" est renforcée par la crise qui a montré qu'on avait besoin des services publics et a montré que c'était une stupidité absolue d'avoir fermé les services d'urgences, les maternités, d'avoir précariser les soignants et le service hospitalier, etc. Donc, rien n'a changé, rien n'a changé. C'est simplement renforcé.

C'est pour ça que je ne veux pas me retrouver piégée dans un discours qui serait valable pour deux semaines. Si on veut changer la société, il faut qu'on change les causes fondamentales de ces dysfonctionnements. Et les causes fondamentales, c'est qu'on a au pouvoir des gens qui sont en train de détricoter tout ce qui a été créé par le Conseil national de la résistance et qui a été construit après-guerre pour justement rendre la société solidaire et fraternelle. On est en train de mettre le dernier coup de pioche dans cette forteresse de solidarité qu'on avait quand même plus ou moins réussi à créer en France et qui résiste encore un peu aux assauts du monde réel, mais plus pour très longtemps.  L'urgence est systémique. On peut faire des milliards de choses en tant qu'individu. Les gens sont tellement formidables qu'ils n'attendent pas que le pouvoir fasse quoi que ce soit pour eux, pour être solidaires, pour entamer une transition agricole sur leur territoire alors qu'ils sont absolument pas aidés et que le gouvernement ne paye pas les aides à la transition biologique. Ils ont du retard énorme sur les paiements externes. Tout est fait pour empêcher une transformation profonde de la société française ou européenne, mais c'est le même sujet partout. C'est pour ça que mon analyse ne peut être que si j'ai pas une baguette magique pour vous dire voilà, voilà la mesure qu'il faut prendre. D'un point de vue purement pêche, par exemple, on a des pages et des pages de préconisations très précises sur la façon de réorganiser la répartition des quotas de pêche, la prise de décision politique entre les pêcheurs artisans, les pêcheurs industriels, etc. Mais, ce serait être vraiment regarder les choses par le petit bout de la lorgnette, puisque le problème est systémique.

Les modèles économiques sont tellement installés. Ils sont tellement profondément organisés en faveur d'un modèle qui détruit l'environnement et qui fragilise les humains que de toute façon, si on ne remet pas en cause ces grandes machines, notamment la pompe à subventions qui vient de l'Union européenne, il est évident qu'on n'y arrivera pas. On n'arrivera pas à sauver le climat, même si nous, en tant que citoyens, on s'y met, on arrête les vols, peut-être qu'en effet, ça va être une des choses bénéfiques, en tout cas, à court terme de la crise covid, c'est qu'on va arrêter de voyager à tout bout de champ et peut être toujours de très bonnes raisons, etc. Il va y avoir peut être quelques effets bénéfiques, mais globalement, on va pas réussir à sauver le climat si les machines étatiques ne s'y mettent pas très sérieusement et qu'elles entrainent du coup avec elles l'ensemble du secteur économique.

Vous dites "Ce qui me motive, c'est de changer le réel". Vous y croyez encore ?

C'est ce qu'on fait au quotidien. Quand on aide une personne, on accueille un migrant, on accueille un mineur isolé, on prend soin des gens autour de nous et si on a les moyens, on transforme notre modèle agricole, on aide les pêcheurs artisans, on achète des produits de la pêche artisanale et on achète de façon générale, en cohérence avec nos connaissances et nos exigences environnementales et sociales, on change le réel. En tant qu'activiste, évidemment, on appuie un peu plus sur la pédale puisque c'est notre profession de foi fait dans la vie d'accélérer les transitions.

Mais d'un point de vue de la grille systémique de blocage, on fait le constat d'un échec cuisant. On a rien, mais alors quand je vous dis rien, mais rien obtenu du gouvernement Macron, rien n'est pire que d'être face à des lobbies. Parce que les lobbies, avant, ils faisaient le siège du pouvoir, ils faisaient à l'extérieur du pouvoir. On se battait contre les lobbies. Ils avaient une influence qui était bien trop importante. Là, ils sont dans le gouvernement, en a même plus les moyens de jouer une forme de billard à trois bandes. Non, on ne peut pas. On est face à une machine qui écrase et c'est pour ça que à court terme, avec ce gouvernement, on a aucun espoir pour l'environnement et pour plus de justice sociale dans tous les métiers de l'environnement.