Les experts qui ont validé la longévité de Jeanne Calment répondent aux chercheurs russes point par point

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Les experts qui ont validé la longévité de Jeanne Calment répondent aux chercheurs russes point par point

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Jeanne Calment est décédée le 4 août 1997 à l'âge de 122 ans
Jeanne Calment est décédée le 4 août 1997 à l'âge de 122 ans
© AFP - GEORGES GOBET

Dans des articles publiés sur internet, des chercheurs russes cherchent à démontrer que Jeanne Calment n'est pas morte à l'âge de 122 ans. Documents à l'appui, pour France Inter, les scientifiques qui ont validé la longévité de Jeanne Calment leur répondent point par point.

Jeanne Calment est officiellement décédée à l'âge de 122 ans et 164 jours le 4 août 1997, battant ainsi un record mondial de longévité tous sexes confondus. Mais des experts russes remettent en cause cette version officielle. D'après leur thèse, Jeanne Calment serait morte en 1934 et c'est sa fille, Yvonne, qui aurait alors pris l'identité de sa mère. La vieille dame que tout le monde a vu dans la presse à la fin de sa vie aurait donc eu “seulement” 99 ans au moment de s’éteindre. 

Les chercheurs russes développent leur argumentaire dans plusieurs articles diffusés sur internet. Le mathématicien Nikolay Zak développe sa thèse dans un PDF de 26 pages qu'il met à jour régulièrement en fonction des trouvailles des uns et des autres. Yuri Deigin, un chef d’entreprise russe passionné de généalogie, s'est appuyé sur certains de ces arguments pour écrire un premier article intitulé "J’accuse ! Pourquoi le record de longévité de Jeanne Calment pourrait être faux" et un deuxième article publié dans la foulée. 

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Nous avons soumis les arguments des ces passionnés russes aux deux gérontologues français qui avaient validé la longévité de Jeanne Calment. Avant même qu’elle meure, ces deux chercheurs spécialistes de la longévité humaine, qui ont rencontré des centaines de centenaires à eux deux, avaient été mandatés pour enquêter sur le passé de la vieille dame. Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Inserm et Michel Allard, médecin spécialiste des centenaires, ont enquêté pendant deux ans. Ils l’ont interrogée pendant des heures et, avec l'aide d'une généalogiste, ils ont cherché sa trace dans les archives civiles, scolaires, religieuses, militaires de la ville d'Arles où Jeanne Calment a toujours vécu. 

Nous avons longuement interrogé les deux chercheurs. L’un, Jean-Marie Robine, au téléphone, l’autre, Michel Allard, à son domicile parisien où il se replonge depuis quelques jours dans les nombreux documents qu'il a réuni sur Jeanne Calment. Dans ces documents, il y a des éléments très intéressants et parfois contradictoires. La photo des deux femmes exhumées par les deux chercheurs pour laquelle ils avaient écrit en légende : “Jeanne et Yvonne, sa fille. Qui est qui ?”. Ou cette retranscription d’un entretien avec Jeanne Calment au cours duquel elle affiche sa “tristesse” en évoquant la mort de sa fille en 1934...

Pour France Inter, les deux gérontologues répondent point par point à l’étude des chercheurs russes. Documents à l’appui, ils battent en brèche certains des arguments russes. Pour d'autres, ils n'ont pas de réponses. Mais ils restent convaincus que la méthodologie qu’ils ont employée était la bonne et que c’est bien Jeanne Calment qui est morte le 4 août 1997 à l’âge de 122 ans.

Le docteur Michel Allard qui avait validé l'âge de Jeanne Calment, replonge dans les documents de l'époque, à la recherche de nouveaux détails
Le docteur Michel Allard qui avait validé l'âge de Jeanne Calment, replonge dans les documents de l'époque, à la recherche de nouveaux détails
© Radio France - Stéphane Jourdain

Le titre de l'enquête des chercheurs Russes

Ce que dit l’enquête des chercheurs russes : "J’accuse ! Pourquoi le record de longévité de Jeanne Calment pourrait être faux."
Ce que répond Jean-Marie Robine : “Cette polémique est ridicule, l'équipe russe va tirer un bénéfice considérable d’un travail qui n'a pas été publié dans une revue scientifique et qui n’est donc pas passé par le tamis de la sélection scientifique habituelle. J'ai donné à lire ce papier à des collègues qui me disent tous la même chose: c'est un travail considérable, mais ce n’est pas du tout scientifique”.
Ce que répond Michel Allard : “J’accuse ? D’accord, mais J’accuse qui ?”

L'introduction

Ce que dit l’enquête des chercheurs russes : “Chez les gérontologues, personne n’a de doutes. Il faut dire que les documents officiels qui se rapportent à Jeanne Calment sont sans équivoque. Mais même des documents irréprochables peuvent alimenter une fraude, car ils peuvent très bien avoir été utilisés par d’autres. Par exemple par sa fille”.
Ce que répond Jean-Marie Robine : “On dispose d'énormément de documents portant sur ce que Jeanne Calment a fait tout au long de sa vie. Son cas est considéré comme le summum en matière d’investigation pour prouver l'âge de quelqu'un. Quand elle a eu 117 ans, on a mis en place un dispositif pour valider scientifiquement son âge. Cela nous a pris deux ans de travail. Nous avons rassemblé un matériel considérable et cela a donné lieu à des publications scientifiques. Une généalogiste que nous avions recruté a recherché tous les documents d'état civil, scolaires, paroissiaux se rapportant à elle. Jeanne a toujours vécu à Arles et a été scolarisée jusqu'à l’âge de 16 ans.
Ce que répond Michel Allard : “Contrairement à Jean-Marie Robine, j’admets la contestation ; les hypothèses, même un peu farfelues, il faut les considérer. D’ailleurs, nous mêmes, nous avions imaginé la thèse de la substitution selon laquelle Yvonne aurait pu prendre la place de Jeanne Calment. On avait été alerté par des scientifiques, par des démographes notamment, à cause des photos où la mère paraît plus jeune que la fille . C’est une hypothèse qu’on avait envisagée avant même que Jeanne Calment meure, mais je ne me souviens pas qu’on lui ait posé la question”.

Dans un livre qu’ils lui ont consacré "Les 120 ans de Jeanne Calment", Michel Allard et Jean-Marie Robine peinent eux aussi à distinguer Jeanne Calment de sa fille Yvonne
Dans un livre qu’ils lui ont consacré "Les 120 ans de Jeanne Calment", Michel Allard et Jean-Marie Robine peinent eux aussi à distinguer Jeanne Calment de sa fille Yvonne

L'hypothèse des russes

Ce que dit l’enquête des chercheurs russes : Jeanne avait une fille, Yvonne Marie Nicolle Calment, née en 1898, quand sa mère avait 23 ans. Officiellement cette dernière est morte d’une pleurésie en 1934 à l’âge de 36 ans. Mais l’hypothèse des chercheurs russes c’est que c’est en fait Jeanne Calment qui est morte en 1934. Yvonne aurait alors emprunté l’identité de sa mère pour frauder le fisc.
Ce que répond Jean-Marie Robine : “Imaginons une seconde que c'était Yvonne Calment et pas Jeanne. Elle aurait fait ce tour de passe-passe alors que toute sa famille est encore en vie et qu’elle a une vie sociale nourrie (elle va à des corrida, elle fait des sorties en ville etc.) et le tout en vivant au-dessus de son magasin où travaillaient 11 personnes. Imaginez un instant que la fille aurait alors vécu comme l’épouse de son père. Et que son fils l'appellerait dorénavant “grand-mère”. Tout ça pour une fraude à l'héritage dont personne ne nous a jamais parlé ?”

Un seul témoin de la mort d’Yvonne

Ce que dit l’enquête des chercheurs russes : Le certificat de décès d’Yvonne Calment, morte en 1934, n’a été établi que sur la base d’un seul témoin, qui était une vieille dame qui n’était ni médecin ni infirmière. 

Ce que répond Michel Allard : “Ça m’étonne qu’il n’y ait pas eu un certificat médical. Ça se faisait déjà couramment. Ensuite, il faut quand même considérer qu’il y a les gens qui l’ont mise en bière, des officiers de l’état civil, tout ces gens auraient été trompés ou pervertis ?

L'apparence des deux femmes

Ce que dit l’enquête russe : Les Russes se demandent : “sur les photos, est-ce que c’est Jeanne ou Yvonne ?”. D’un coté, selon les chercheurs russes, “si Yvonne est vraiment morte en 1934 à l’âge de 36 ans, ce n’est pas possible qu’elle paraisse si vieille” et d’un autre, selon eux, Jeanne semble plus jeune que Yvonne sur la seule photo où elles apparaissent ensemble.

Ce que répond Michel Allard : “Nous mêmes dans notre livre, on n’a pas caché qu’il y a un doute sur la photo. Qui est Jeanne, qui est Yvonne ? On s’est posé la question. Mon expérience des centenaires m’a montré que ce sont des gens qui paraissent souvent plus jeunes que leur âge. Quand j’ai rencontré Jeanne Calment pour la première fois, elle avait 114 ans et elle ne paraissait pas si âgée que ça. Ça ne m’avait pas étonné pour cette raison. Dans les familles de centenaires, vous trouverez des personnes qui vieillissent très lentement, qui paraissent plus jeunes et d’autres qui ont un vieillissement naturel. Jeanne était dans le premier cas, sa fille était peut-être dans le deuxième.

Dans leur étude, les chercheurs russes comparent la forme des oreilles de Jeanne Calment à différents stades de sa vie
Dans leur étude, les chercheurs russes comparent la forme des oreilles de Jeanne Calment à différents stades de sa vie

La forme des oreilles 

Ce que dit l’enquête russe : La forme des oreilles de Jeanne Calment quand elle était jeune et quand elle était censée être centenaire serait trop différente, si on en croit les photos de l’époque, selon leur étude. 

Ce que répond Michel Allard : “Nous sommes des spécialistes des centenaires. Il y a de telles déformations avec la longévité, et notamment quand la vieillesse s'accélère, que ça n’a pas grande valeur. Dans les dernières années de la vie de Jeanne Calment, j’ai vu tellement de transformations de sa physionomie que j’accorde peu de valeur à ce qu’on a pu comparer en terme de morphologie externe.

La couleur des yeux

Ce que dit l’enquête russe : Sur la carte d’identité de Jeanne Calment établie en 1930, il est écrit qu’elle a les yeux “noirs”. Or plusieurs photos montrent qu’elle a plutôt des yeux clairs. 

Ce que répond Michel Allard : “De mémoire, elle avait les yeux clairs. Dans le dossier d’observation Ipsen (un registre de centenaires publié en juin 1990 dans lequel apparaît le dossier de Jeanne Calment), le docteur personnel de Jeanne Calment dit qu’elle avait des yeux “gris clair”. Sur une photo, on la voit avec des yeux “vert olive foncé”. Est-ce que ses yeux ont changé de couleur avec l’âge ? On peut assister à une décoloration des yeux dans les dernières années, ce n’est pas impossible.

La taille de Jeanne Calment

Ce que dit l’enquête russe : Jeanne Calment faisait 152 cm quand elle avait une cinquantaine d’années, selon sa carte d’identité de 1930, et elle faisait 150 cm en fin de vie. Les chercheurs russes s’étonnent qu’elle perde si peu de taille alors que “à l’âge de 80 ans”, les femmes ont perdu “en moyenne 6 cm de taille”.

Ce que répond Michel Allard : Dans l’étude de la fondation IPSEN qu’a retrouvé Michel Allard, et que nous avons consulté avec lui, il est indiqué que Jeanne Calment “fait 143 cm à la toise” en 1990. Cela bat en brèche l’argumentaire des chercheurs russes sur ce point.

Dans un document retrouvé par le docteur Allard, il apparaît que Jeanne Calment faisait 143 cm à la fin de sa vie, ce qui bat en brèche un argument mis en avant par les chercheurs russes
Dans un document retrouvé par le docteur Allard, il apparaît que Jeanne Calment faisait 143 cm à la fin de sa vie, ce qui bat en brèche un argument mis en avant par les chercheurs russes
© Radio France - Stéphane Jourdain

Les photos brûlées

Ce que dit l’enquête russe : “Jeanne a demandé que toutes les photos avec sa famille soient détruites quand la mairie de Arles les lui a demandé pour son services des archives”, écrivent les Russes.

Ce que répond Michel Allard : “Ça je ne le savais pas. Ce que je sais en revanche c’est qu’elle a, ce qui arrive assez souvent chez les centenaires, cherché à faire le vide autour d’elle pour attendre la mort tranquillement. Elle a fait un peu le ménage autour d’elle. On a recherché des photos et on en a retrouvé quelques unes. Elle n’avait pas de descendants directs”.

Jeanne disait parfois “mon père” au lieu de “mon mari”

Ce que dit l’enquête russe : Il arrivait à Jeanne de dire “mon père” au lieu de “mon mari” y compris dans une interview. 

Ce que répond Michel Allard : “Effectivement ça lui arrivait de se tromper, de dire “mon père” au lieu de “mon mari”. Mais j’ai l’habitude de ce genre d’erreurs chez les centenaires.”

L'escroquerie au viager 

Ce que dit l’enquête russe : Les scientifiques russes évoquent le livre L’assurance et ses secrets, publié en 1997 par Jean-Pierre Daniel, dans lequel un contrôleur de sociétés d’assurances avait parlé de fraude concernant le viager signé par Jeanne Calment. 

Ce que répond Michel Allard : “Jeanne Calment a contracté un viager à l'âge de 90 ans. Elle aurait pu le contracter auprès d’un commerçant de la ville mais non, elle l’a contracté auprès de son notaire. Le rôle des notaires c’est quand même de conserver tous les documents, de remonter les générations. Si le notaire de Arles avait eu vent qu’il ne s’agissait pas d’une personne de 90 ans mais d’une personne de moins de 70 ans, il n’aurait pas souscrit un viager avec elle. Il faut être fou. S’il s’agissait d’une conspiration collective, municipale, dans une petite ville, ça ne tient pas...

Le mobile : ne pas payer de droit de succession

Ce que dit l’enquête russe : “Une des explications plausibles c’est qu’elle aurait cherché à ne pas payer les impôts sur les successions, qui sont montés à 38% en 1934”.
Ce que répond Jean-Marie Robine : “L'équipe russe est partie de l’idée que toute la famille Calment aurait décidé de frauder le fisc au moment du décès de madame Calment. Les juristes s’en étonnent et disent que la question de l'héritage ne se posait pas. Les Russes disent que les droits de mutation étaient très bas et seraient passés à 25 ou 30%. Mais si Jeanne Calment était morte, son mari était en vie. Et des familles beaucoup plus riches ne faisaient pas ça. On n'a jamais entendu parler de ce type de fraudes en France.”

Le détail de la bonne

Ce que dit l’enquête russe : “Jeanne disait que quand elle était enfant c’était la bonne, Marthe Fousson, qui l’amenait à l’école. Or, d’après un recensement de 1911, Marthe Fousson avait dix ans de moins que Jeanne“.
Ce que répond Jean-Marie Robine : “D'un coté, il y a une Marthe Fousson qui a été une bonne chez Mme Calment, alors que cette dernière était une jeune mariée. D'un autre, il y a une autre Marthe avec un nom qui ressemble à Fousson, Pernon je crois, et les auteurs russes confondent ces deux personnes. Ils ne savent pas que Marthe est un nom très commun à cette époque-là".

L’évolution de la signature

Ce que dit l’enquête russe : La signature de Jeanne Calment a fortement évolué avec le temps.
Ce que répond Michel Allard : “Y a “Jeanne Calment” au début et puis après le prénom “Jeanne” disparaît. Et alors, vous voulez voir l’évolution de ma signature sur quarante ans ?

Conclusion

Ce que dit l’enquête russe : “Bien-sur, toutes ces erreurs et divergences peuvent relever de la pure coïncidence. Mais prises collectivement, elles finissent par constituer des preuves qui permettent de mieux dessiner la biographie de cette femme intrigante. Avec un peu de chance, la communauté internationale généalogique va travailler sur cette idée plutôt que de la considérer comme un sacrilège”.

Ce que répond Jean-Marie Robine : “Je n'ai jamais eu aucun doute même si des collègues n’y croyaient pas car Jeanne Calment est un cas unique. Certains meurent de vieillesse à 115 ans mais Jeanne Calment c'est 7 ans après, donc c'est exceptionnel. Elle est hors normes, hors statistiques. Ce que nous avons publié dans la revue Science c'est que Jeanne Calment à concentré par hasard sur sa tête un pool génétique extraordinaire. Son père a vécu très longtemps, sa mère a vécu très longtemps, parce qu'ils avaient des gènes de robustesse et de longévité qui leur permettaient d'échapper aux maladies communes de l'époque. Mais ce n'est pas tout. Si on remonte au niveau des grands-parents c'est la même histoire, et pareil au niveau des arrières grands-parents. Par un concours de circonstances extraordinaire, des gens qui ne se connaissaient pas et qui se sont mariés entre eux, étaient les grands-parents, les arrières arrières grands-parents etc. de Jeanne Calment".

Ce que répond Michel Allard : “J’ai lu les documents et pour le moment je n’ai aucun doute. C’est une hypothèse, je ne la mets pas à la poubelle. En toute franchise, je me suis posé la question, car on avait fait l’hypothèse de cette substitution. Mais les auteurs russes n’apportent aucune preuve tangible. Ils montrent juste que c’est possible. Leur démonstration n’a pas changé ma conviction que la personne que j’ai rencontré est bien Jeanne Calment, née en 1875. Dans leur scénario, qu’est ce qui s’est passé au moment du décès d’Yvonne ? A quel moment il a fallu corrompre ou tromper l’officier d’état civil, les pompes funèbres, le curé ? Jeanne était très connue à Arles. Quelques années avant, ils ont fait le mariage le plus somptueux d’Arles. Ils avaient une vie mondaine, ils rencontraient des peintres, ils allaient à la montagne, ça parait difficile d’arrêter tout ça. Vous imaginez la vie familiale ? Ou alors ce serait du Agatha Christie... Aucun descendant ne déclare “oui c’est un secret de famille”. Il n’y a pas de preuves. Je n’ai pas été convaincu par grand chose, ni les photos du nez, ni de l’oreille. Notre méthodologie nous semble bonne, même avec du recul. Après, c’est sur que s’il y a eu des falsifications"…