Les garçons et Guillaume, à table
Son premier film, adaptation de son spectacle très autobiographique, a déjà raflé plusieurs prix dans différents festivals. Après un véritable périple aux quatre coins de la France, Guillaume Gallienne s'arrête une journée à France Inter pour raconter cette aventure.
' de 18h10 à 19h.
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Un film de Guillaume Gallienne
Avec Guillaume Gallienne, André Marcon, Françoise Fabian
Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.
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"Au cinéma, il faut s’inscrire dans un genre. Et bien justement, dansLes garçons et Guillaume à table ! , il n’est question que de genre. Le mien, sur lequel tout le monde s’est posé des questions, moi le premier. Questions transformées en scènes hautes en couleurs, que j’ai eu de plus en plus envie de filmer, à mesure que je les jouais. Un véritable coming out inversé où se dessine bien plus que la révélation d’une normalité.
Le projet esthétique du film éclaire la pièce d’un humour encore plus poignant. Par contraste, certains excès visuels viennent dramatiser avec force tout ce qui se joue dans la tête de Guillaume, laissant un regard, un geste, un mot, enfoncer le clou du rire. Parce qu’il faut bien le dire, dans cette histoire, rien ne se passe comme prévu. A l’écran, je voulais une comédie très rythmée, où les dialogues fusent, où les situations s’enchaînent et s’accélèrent, pour me replonger dans mon histoire, malgré ma peur, et en dérouler le fil sous vos yeux. Avec cette sincérité qui peut émouvoir. Je le sais, on me l’a dit, il est inutile de le cacher, ce sont des réactions très humaines. Chacun a, au fond de soi, cette forme d’empathie, cette capacité à s’identifier qui bouleverse le fonctionnement des glandes lacrymales. Une véritable déclaration d’amour aux femmes, et plus particulièrement à ma mère.

Quand j’étais enfant, ma mère disait : « Les garçons et Guillaume ». Ce «et» m’a fait croire que pour rester unique aux yeux de cette Maman sans tendresse mais extraordinaire, pour me distinguer de cette masse anonyme qu’étaient les garçons, il ne fallait surtout pas que j’en sois un. J’ai tout fait pour être une fille, donc, et quel meilleur modèle que ma mère ? C’est ainsi que j’ai commencé à jouer, dès que je me suis mis à l’imiter. Peu à peu, j’ai pris la même voix qu’elle, les mêmes gestes, les mêmes expressions. Je ne suis pas devenu efféminé, mais féminin, m’appropriant Maman. Puis tous les personnages féminins qui m’attiraient. C’était ma manière à moi de les aimer, de m’oublier, de me laisser fasciner.

Alors forcément, on a fini par me coller une étiquette, dans laquelle je me suis drapé voluptueusement pendant longtemps, prenant le risque d’en explorer toutes les nuances. Jusqu’à parvenir enfin à m’en affranchir, à m’en détacher suffisamment pour avoir le recul de me raconter. De me filmer. De filmer les femmes. De faire rire. Si, dans la pièce, j’incarnais tous les rôles, dans le film, je ne serai que Guillaume… et Maman. Normal, j’ai répété le personnage pendant quinze ans… et le peaufine encore à quarante ans. Preuve qu’on ne règle pas les problèmes, mais qu’on ne fait que les transformer.
Il aurait été frustrant que Les garçons et Guillaume à table ! ne vive que sous la forme d’une pièce, alors que je l’ai toujours imaginé comme un film. Il faut pouvoir regarder Maman de près pour comprendre ce qui l’anime. Pour la ressentir encore plus fortement. Et laisser le rire s’immiscer dans l’observation de détails qui étaient invisibles dans sa simple présence sur scène.
C’est très beau, au cinéma, cette capacité de pouvoir s’attarder soudain sur la fragilité d’un regard, l’irrésolu d’un geste, l’incongruité d’une expression. Ajouter, au rythme précis de la comédie, la richesse des émotions humaines par la grâce des mots, mais aussi des corps, de ce que l’on saisit d’eux. Grâce au cinéma, je vais pouvoir rendre à ma mère la douceur que je ne pouvais pas lui donner au théâtre. Courant de la tragédie à la comédie, de sa chambre à toutes sortes d’univers, Guillaume retrouve l’innocence décalée de personnages comme ceux avec lesquels Jack Lemmon s’est amusé chez Billy Wilder. Bien que Jack Lemmon n’ait jamais joué Sissi… Je cite ces maîtres parce que, dans le fond, j’imagine une belle comédie classique. Retrouver cette finesse de ton qui caractérise mon milieu de naissance, en utilisant avec enthousiasme les artifices du cinéma, pour jouer à exacerber ce qui aurait pu être exacerbant, mais forme en réalité le spectacle complice de mon épanouissement."
