Procès des attentats de janvier 2015, jour 4 – Deuxième semaine d'audience à la cour d'assises spécialement composée, à Paris. Chaque jour, sur France Inter, nous vous rapportons les comptes-rendus d'audience. Ce lundi matin, silence absolu face aux images très dures de la scène de crime à Charlie Hebdo.
Le président de la cour d'assises spécialement composée, Régis de Jorna, avait annoncé qu'il finirait ce matin l'étude de personnalité de deux des quatorze accusés absents, les frères Belhoucine. Mais c'est finalement un enquêteur de la SAT, section d'enquête antiterroriste, qui est appelé à la barre. Costume sombre. L'enquêteur prévient d'emblée que ce dossier des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, qui lui a été confié un quart d'heure après la première attaque contre Charlie Hebdo, a été difficile. La cour ajoute qu'on va visionner des vidéos et des images choquantes de scènes de crime. Et promet d'en informer, juste avant ce visionnage, les parties civiles présentes dans la salle. Sur un banc, des survivants, des proches de victimes disparues se serrent les coudes. Et l'enquêteur commence à montrer un premier dessin, qui permet de visualiser l'emplacement de chacun lors de la conférence de rédaction assaillie par des terroristes à l'arme de guerre ce 7 janvier 2015. Puis le dessin laisse la place à une première image qui surprend tout le monde.
C'est la salle de rédaction de Charlie Hebdo, juste après le massacre. Images tournées par les enquêteurs arrivés rapidement sur place, presque en même temps que les secours. Sur ce premier plan, on ne voit pas de victime mais une première flaque de sang près d'un bureau. La salle d'audience est saisie. Les survivants de Charlie Hebdo et les proches des victimes se lèvent, en larmes. Ils sortent, soutenus par des psychologues en gilets bleus. Sanglots hors de la salle.
L’image s’affiche en grand : Charb, dans une mare de sang
À la barre, l'enquêteur continue à montrer l'horreur de cette scène de crime. Les corps des dix victimes, tuées à l'intérieur de cette salle de rédaction, ce matin du 7 janvier 2015 entre 11 heures 33 et 11 heures 35. L'enquêteur détaille le nom des corps : le correcteur Mustapha Ourrad, le policier Franck Brinsolaro, et les dessinateurs Georges Wolinski, Cabu, Philippe Honoré, Tignous. L'enquêteur égrène le nom qui correspond à chaque image. Il détaille comment chacun a été tué, par quel impact. Ce commissaire, d'une voix pas très audible, décrit le nombre de tirs. "21 douilles ont été retrouvées" et "douze étuis à l'extérieur" explique-t-il, et il évoque les tirs "ciblés", "pas en rafales". Il décrit le nombre d'impacts sur le corps de Charb, le dessinateur visé par une fatwa décrétée par Al Qaïda dans son magazine Inspire en 2009. Le corps de Stéphane Charbonnier est "celui qui présente le plus d'impacts, sept", dit le policier aux juges.
Sur le mur juste derrière la cour d'assises, l'image s'affiche en grand. Charb, dans une mare de sang, allongé sur le ventre. Il portait ce jour-là un pantalon gris et un pull marin bleu à rayures rouges. À quelques mètres, les corps de Cabu et son invité Michel Renaud, les corps de Bernard Maris, Georges Wolinski, Tignous, Elsa Cayat. Le sang autour des corps. Certains corps sont très proches, comme enlacés, ainsi que l'avaient décrit des survivants. Les images sont d'une très grande violence, particulièrement pour les proches des victimes et les survivants, sortis en sanglotant. Mais pour chacun, avocats, public, journalistes, les images sont dures, éprouvantes.
Puis la cour d'assises visionne des vidéos. L'enquêteur explique que la scène de crime ce 7 janvier 2015 avait commencé "au niveau de la loge où intervenait Frédéric Boisseau", l'agent d'entretien, première victime des frères Kouachi. L'enquêteur parle ensuite de "la prise d'otage dont a été victime madame Rey", la dessinatrice Coco, forcée par les terroristes de taper le code d'entrée. Et on voit alors l'image qui apparaît, extraite de la vidéosurveillance du journal.
Saïd et Chérif Kouachi surgissent, cagoulés, avec leurs armes de guerre, et on les voit pousser Coco dans l'entrée du journal, derrière la porte blindée. Ils apparaissent tous les trois dans l'entrée, une petite entrée, avec des bureaux, chargés de piles de papier. Assis derrière l'un de ces bureaux, Simon Fieschi, le jeune webmaster. On le voit tomber de sa chaise, le corps perforé par une douille de kalachnikov. On n'entend pas ces tirs sur cette première vidéo, muette. On voit aussi qu'un des frères Kouachi, le plus âgé et le plus gringalet, reste essentiellement dans l'entrée. Le cadet, Chérif Kouachi, celui qui a sans doute visé et tué l'essentiel des victimes, n'apparaît plus à l'image. Pendant une minute et quarante-neuf secondes, le temps qu'a duré le massacre. Dix morts en une minute et quarante-neuf secondes, seulement. Massacre qui n'a pas été filmé. Puis l'image de vidéosurveillance revient sur Chérif Kouachi, son gilet pare-balle, et on le voit ressortir par la porte d'entrée. Fin de la première vidéo. La salle d'audience est glacée d'avoir vu ces tueurs en noir bouger à l'écran.
La déflagration résonne dans la salle d’audience
Une deuxième vidéo est lancée par l'enquêteur. Cette fois, on ne voit que Chérif Kouachi dans la salle de rédaction, à la fin de la tuerie. On le voit se pencher au-dessus d'un muret. Cachée derrière ce muret, il y a l'écrivaine et chroniqueuse à Charlie Hebdo Sigolène Vinson. On n'entend toujours rien ici, mais elle a raconté à France Inter comment Chérif Kouachi lui avait dit qu'il l'épargnait parce qu'il prétendait qu’"on ne tue pas les femmes", et avait demandé à Sigolène Vinson de lire le Coran. On a l'impression que Chérif Kouachi hurle sur Sigolène Vinson, hors de lui. Puis il tourne les talons. Sur l'image de la vidéo, on devine les gens cachés sous une grande table ovale et grise, contre le muret blanc. Sigolène Vinson avait raconté au micro de France Inter qu'il y avait, caché dans son dos, le maquettiste Jean-Luc. Juste après le départ des terroristes, on la voit se lever, affolée, et se diriger vers une fenêtre. Elle avait tenté de sauter, avant de se raviser et d'appeler les secours. Elle avait été la première à appeler les secours et à dire : "Venez vite, ils sont tous morts !"
Enfin la cour d'assises visionne les vidéos prises par des témoins, à l'extérieur, dans la fuite des frères Kouachi. On les voit revendiquer leur tuerie, sans crainte, dans la rue. Puis grimper dans leur Citroën C3, faire face à une voiture siglée police nationale qui est obligée de reculer à toute allure dans l'allée Verte. Un des policiers, chef de bord, avait tenté de répliquer, en vain.
On a vengé le prophète Mohamed"
Puis une dernière vidéo, qui avait beaucoup tourné sur les réseaux sociaux, montre les Kouachi face au policier Ahmed Merabet, boulevard Richard-Lenoir. Il est 11 heures 39 ce 7 janvier 2015. Les terroristes tirent sur le policier, et cette fois, il y a du son sur la vidéo. La déflagration résonne dans la salle d'audience. Effrayante. On entend Chérif Kouachi crier : "T'as voulu nous tuer ?" Et Ahmed Merabet implorer "Non, c'est bon, chef", on entend le policier gémir, à cause de ses blessures. Et on voit le terroriste l'abattre d'une dernière balle. Les Kouachi remontent dans leur C3, ajustent leurs armes de guerre, et crient : "On a vengé le prophète Mohamed !" La salle d'audience est sonnée, choquée, tétanisée.
Au programme demain
Mardi, au cinquième jour du procès, l'audience sera encore particulièrement éprouvante pour les rescapés de l'attentat à Charlie Hebdo et les familles des victimes. Car les parties civiles seront appelées à la barre, pour témoigner, de ce qu'elles ont vu et subi ce 7 janvier 2015. La cour entendra d'abord les témoins qui ont été sollicités par les frères Kouachi, au moment où ceux-ci cherchaient l'adresse de Charlie Hebdo, qu'ils ont eu du mal à trouver. Puis seront appelées à la barre, les parties civiles pour parler de Frédéric Boisseau, la première victime des terroristes ce jour-là.
L'après-midi, plusieurs survivants se succéderont à la barre. Corinne Rey dite Coco, qui a été forcée de composer le code secret sous la menace des terroristes**, puis Sigolène Vinson,** que Chérif Kouachi a épargnée en lui disant, "on ne tue pas les femmes", et "tu liras le Coran". Le journaliste Laurent Léger, survivant pudique, qui assiste à chaque audience depuis le début du procès viendra raconter, aussi, l'horreur du 7 janvier 2015. On entendra aussi Gérard Gaillard, un Clermontois, qui avait été invité par Cabu à participer à cette conférence de rédaction qui a été assaillie par les frères Kouachi. L'attentat à Charlie Hebdo est le seul évoqué par la cour d'assises spéciale cette semaine. Les autres attentats seront abordés plus tard.