Les « magouilles » de la Cour de cassation
- Dans cette même conversation, Thierry Herzog précise les services que vous aurait rendus Gilbert. Il vous aurait notamment renseigné sur les « magouilles » au sein de la Cour de cassation. Le mot « magouilles » est son propre terme. La croyance en des « magouilles » au sein de la Cour de cassation vous a-t-elle incité à tenter d’influer, vous aussi, pour obtenir une décision qui vous soit favorable ?
« Mais non ! Je n’emploierai pas le terme de magouille mais plutôt de pressions, pour faire référence à ce que je vous ai déjà évoqué concernant les magistrats siégeant à la Cour de cassation et à la Cour de justice de la République. »
- Nous avons également intercepté une conversation entre Gilbert Azibert et Thierry Herzog, le 3 mars 2014, dans laquelle Me Herzog informe Gilbert Azibert que la démarche qu’il avait sollicitée avait bien été faite à Monaco. Comment expliquez-vous ces propos de Me Herzog ?
« Je me l’explique d’autant moins que j’ai souvenir d’avoir dit au téléphone à Thierry Herzog que je n’avais pas fait la démarche. Je lui avais expliqué que je ne le sentais pas. Je lui ai dit au téléphone, et je suis sûr que c’était avant le 3 mars. D’ailleurs, vous me confirmer posséder une écoute en date du 26 février attestant que j’ai bien dit à Thierry Herzog que je n’avais pas fait d’intervention pour Monsieur Azibert. »
- Dans ce cas, comment expliquez-vous que votre conseil tienne de tels propos à Gilbert Azibert ?
« Parce qu’il voulait être gentil avec son interlocuteur. Cela illustre parfaitement ma réponse d’il y a quelques heures : il y a un fossé qui sépare ce que disent les gens de ce qu’ils font. En tout cas, moi je suis formel, et vous en avez la preuve, j’informe Thierry Herzog que je n’ai pas fait l’intervention. »
- Dans cette même conversation du 3 mars entre Thierry Herzog et Gilbert Azibert, votre conseil indique avoir appris « certaines choses » l’ayant conduit à « raconter certaines choses au téléphone. » L’explication de votre coup de téléphone à votre avocat pour indiquer que vous n’aviez « pas senti » de faire l’intervention souhaitée par Gilbert Azibert ne résulte pas de ces choses qu’évoque Thierry Herzog ?
« Vous avez la preuve qu’il n’y a pas eu d’intervention de ma part à Monaco. Vous avez une écoute de moi disant à mon avocat que je n’ai pas fait d’interventions. Et vous avez vu que Monsieur Azibert n’a pas eu le poste. Et vous me demandez quoi ? Si j’ai fait semblant de dire à mon avocat que je n’avais pas fait la démarche ? »
« C’est une conversation à bâtons rompus »
- En quoi Gilbert Azibert a « bien bossé » au point que Thierry Herzog se sente obligé de vous en référer ?
« Thierry Herzog ne « m’en réfère » pas. C’est une conversation à bâtons rompus. Je me demande d’ailleurs en quoi « Gilbert Azibert a bien bossé » si j’en juge par le résultat de la Cour de cassation. Qu’est-ce que ça serait s’il avait mal bossé ! »
- Thierry Herzog précise encore ses propos en indiquant concernant Gilbert Azibert : « Et surtour, ce qu’il a fait, c’est le truc à l’intérieur quoi… » Quel truc fait par Gilbert Azibert a suffisamment d’importance pour que Thierry Herzog vous en rende compte ?
« Il ne m’en rend pas compte. C’est une conversation quotidienne, on dirait de bistrot si elle ne se tenait pas au téléphone, sans élément précis et qui est fondé sur l’optimisme impénitent de mon ami Thierry Herzog qui est enthousiaste et qui veut me faire plaisir. Mais tout ceci a été contredit à chaque étape de la procédure par les faits. »
- Dans la conversation en date du 30 janvier 2014, Thierry Herzog affirme que Gilbert Azibert avait eu accès à « l’avis qui ne sera jamais publié du rapporteur destiné à ses collègues. » Comment expliquez-vous que Gilbert Azibert ait pu avoir accès à ce document couvert par le secret du délibéré, auquel même [l’avocat général à la Cour de cassation] n’a pas eu accès ?
« Je ne me l’explique pas. Ma conviction étant que jamais Gilbert Azibert ne l’a eu entre les mains. Je pense que Thierry Herzog confond le rapport du rapporteur et l’avis du rapporteur. Le rapport du rapporteur, on en a eu connaissance le 27, mais l’avis du rapporteur, jamais Thierry Herzog n’en a parlé. Je pense qu’il confond le rapport et l’avis. »
« Des bruits de couloirs qui ne correspondaient à aucune réalité »
- Voici les propos que Thierry Herzog vous adresse, le 30 janvier 2014 :
Thierry Herzog : « Bon alors, j’ai eu Gilbert, ce matin… »
Nicolas Sarkozy : « Humm, humm. »
Thierry Herzog : « Il me dit que d’après lui, oui. Parce qu’il a eu accès à l’avis qui ne sera jamais publié du rapporteur destiné à ses collègues, euh… et que cet avis conclue que pour toi à la cassation, et à la… au retrait de toutes les mentions relatives à tes agendas. »
Ces propos ne laissent que peu de place au doute, reprend l’enquêteur. Pourquoi Gilbert Azibert communique à Thierry Herzog l’opinion confidentielle du conseiller rapporteur ?
« Posez la question à Gilbert Azibert ou à Thierry Herzog, répond Nicolas Sarkozy, mais moi je n’en sais rien. J’observe que ça ne correspond pas à la réalité puisqu’à ma connaissance, la Cour de cassation a dit « non. » Et c’est rarissime quand la Cour de cassation désavoue son rapporteur. Donc je ne crois pas que Gilbert Azibert ait eu connaissance de cet avis. Et sauf à me démontrer que cet avis positif existait, à ma connaissance la chambre criminelle a dit « non », c’est donc que le rapporteur n’avait pas un avis favorable. »
- Toujours dans cette conversation, après que Patrice Spinosi ait transmis le réquisitoire de [l’avocat général à la Cour de cassation] à Thierry Herzog, ce dernier l’aurait interrogé sur les chances d’aboutir du pourvoi. Thierry Herzog vous précise : « Alors, je lui ai dit, sans savoir ce que je sais, je lui dis, quand c’est comme ça, c’est qu’on a des chances sérieuses, d’après toi ? » Que savait Thierry Herzog à ce moment-là et qu’il ne fallait pas confier à Patrice Spinosi, si ce n’est des informations internes à la Cour de cassation, obtenues par le biais de Gilbert Azibert ?
« Il n’y a aucune information qui ait été obtenue puisque toutes les informations de Thierry concluaient à une réponse favorable de la Cour de cassation. C’est le contraire qui s’est passé. Je résume. Gilbert Azibert dit à plusieurs reprises à Thierry Herzog que la Cour de cassation va statuer dans le sens du pourvoi que j’ai déposé. Or, la Cour de cassation statue dans le sens inverse. Quelle conclusion faut-il en tirer si ce n’est que les informations communiquées par Gilbert Azibert n’étaient pas des informations mais des bruits de couloirs, étayés sur aucun fait. Soit on communiquait à mon avocat les bonnes informations, et dans ce cas-là, j’aurai du gagner devant la Cour de cassation. Soit les informations données à mon avocat n’étaient pas des informations fiables, donc ne provenaient pas de personnes ayant un devoir de secret, parce qu’au final, nous avons perdu devant la Cour de cassation. Donc tout au long de cette procédure, j’ai été alimenté par mon avocat d’informations qui se sont avérées fausses. J’en tire la conclusion qu’elles n’étaient pas des informations au sens où vous l’entendez, mais des bruits de couloir qui ne correspondaient à aucune réalité. »
« Je n’ai jamais pensé que Gilbert Azibert influençait qui que ce soit. »
- Vous évoquez avec Thierry Herzog un ami, qui a une femme un peu compliquée, qui a eu accès aux conclusions de l’avocat général. Ces simples précisions suffisent à Thierry Herzog pour comprendre à qui vous faites référence. De qui s’agit-il ?
« Je ne vois pas. »
- Vous indiquez que cet ami vous aurait confié que pour « le conseiller rapporteur, ça se présentait bien aussi. » Qu’est-ce que cela signifie ?
« Je n’en sais rien. »
- Toujours concernant cet ami, Thierry Herzog indique qu’il est passé le voir à son cabinet le jeudi, probablement le jeudi 30 janvier. À l’occasion de cette visite, Thierry Herzog aurait choisi de ne pas lui parler de l’autre « correspondant. » Qui est cet autre « correspondant » dont Thierry Herzog voulait dissimuler le rôle ?
« Je ne vois pas. »
- Cet ami aurait évoqué avec Thierry Herzog des bruits, évoquant du lobbying de certains… Pouvez-vous préciser ?
« Il s’agit de lobbying contre moi. Il y en a plein la presse. »
- Thierry Herzog vous indique que Gilbert Azibert a rendez-vous avec un des conseillers « pour bien lui expliquer ce qu’il faudrait. » Comment avez-vous compris cette formule ?
« Tout ceci ne correspond à aucune réalité, comme l’a montré la suite. »
- Pourquoi ne pas avoir tenté, via Thierry Herzog, de dissuader Gilbert Azibert d’influencer les conseillers chargés du dossier Bettencourt ?
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« Je n’ai jamais pensé que Gilbert Azibert influençait qui que ce soit. J’ai toujours pensé que Thierry était bien gentil d’accorder un crédit important à ce qui lui était raconté. »
« Thierry Herzog est trop honnête pour me proposer quelque chose d’illégal. »
- Dans cette conversation, vous demandez à Thierry Herzog de confirmer un point concernant la conversation qu’il vient d’avoir quelques minutes auparavant avec Gilbert Azibert : « Mais il confirme que le rapporteur est pour nous ? » Que signifient ces propos ?
« Ils signifient d’abord que je n’ai aucune certitude quant à l’avis du rapporteur. Si j’avais eu cet avis, pourquoi poserai-je cette question ? Cela confirme aussi que je n’attache pas de crédit aux informations que me rapporte Thierry. J’essaye de comprendre et de connaître la réalité des pressions exercées sur la Cour à ce moment-là par ceux qui ne veulent pas que mon pourvoi prospère. Je suis informé qu’il y a des pressions. Je veux savoir quelle est l’ambiance à ce moment-là. »
- « Rechercher l’ambiance », cela inclue-t-il d’obtenir l’avis personnel du conseiller rapporteur ?
« L’avis, à l’évidence, non. »
- Lorsque vous demandez si le rapporteur est « pour vous », cela ne signifie-t-il pas que vous cherchez à obtenir l’opinion de ce magistrat ?
« Cela signifie surtout que je n’ai pas d’information, donc que je n’ai pas eu accès à un avis, donc il n’y a pas eu de violation du secret professionnel. Mais si je cherchais à les connaître, c’est que je ne les avais pas. Je n’ai jamais eu accès à l’avis du rapporteur. Ni avant, ni pendant, ni après. Par simple déduction, et avec un peu d’expérience, je sais que dans toutes les Cours, l’avis du rapporteur a tendance à être suivi, ce qui est normal puisque de tous les magistrats qui ont à statuer sur une affaire, le rapporteur est celui qui connaît le mieux le dossier. Thierry Herzog me passe l’information tout au long de la procédure que le rapporteur serait pour l’accueil de mon pourvoi. À l’arrivée, la Cour est contre. Je n’en tire pas la conclusion que l’avis du rapporteur allait dans le même sens, mais il y a quand même quelque chose qui ne va pas. Si j’en crois ces informations qui n’en sont pas, l’avocat général est pour le pourvoi, le rapporteur serait pour le pourvoi. À l’arrivée, le pourvoi est rejeté. Il y a peut-être quelque chose qui ne va pas. »
- Thierry Herzog peut-il avoir pris votre demande pour une instruction l’invitant à obtenir communication de cet avis ?
« Depuis trente ans que Thierry Herzog est mon avocat, jamais je ne lui ai demandé de faire quelque chose d’illégal. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer pour le seul motif d’obtenir satisfaction à un pourvoi auquel je n’attachais pas une grande importance. D’ailleurs, Thierry Herzog est trop honnête pour me proposer quelque chose d’illégal. »
« Quand je dis : "Prends contact avec nos amis", c’est avec les journalistes qui suivent ça avec attention… »
- Vous informez Thierry Herzog des informations vous étant remontées selon lesquelles les magistrats enquêtant sur la Libye envisageraient une perquisition chez vous. Vous demandez alors à votre conseil de prendre contact avec « nos amis » pour qu’ils soient « attentifs. » Qui sont ces amis qui doivent être attentifs aux projets de perquisition que vous vous attendez à subir ?
« Je ne me souviens plus de mes propos. Pouvez-vous me lire la conversation ? » (Nicolas Sarkozy prend connaissance de l’écoute téléphonique du 1er février 2014)
- Nous renouvelons la question : qui sont ces amis ?
« J’observe tout au long de la conversation que je ne crois pas du tout à la réalité de cette perquisition. Je dis : « ça m’étonne », « ça me semble très bizarre ». Quand je dis : « Prends contact avec nos amis », c’est avec les journalistes qui suivent ça avec attention, avec lesquels Thierry Herzog est en contact et qui ont montré qu’ils étaient très informés des initiatives de certains magistrats. »
- Qui sont ces journalistes ?
« Ça, je ne peux pas le dire. »
- Vous précisez que pour effectuer une perquisition, « ils sont obligés de passer par lui ». Il semble qu’il ne s’agisse pas de journalistes. Cette phrase ne renvoie-t-elle pas à quelqu’un d’autre ?
« À qui ? »
- Vous êtes avocat. Le Bâtonnier doit être nécessairement informé. Vos amis peuvent-ils faire partie de l’ordre des avocats ?
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« Mes locaux de la rue de Miromesnil ne sont pas couverts par mon statut d’avocat. D’ailleurs, si j’avais des informateurs, j’aurais été avisé de la perquisition que vous avez réalisée chez Thierry Herzog. »