"Les Ukrainiens sont comme des frères" : l'opinion publique russe ne veut pas d'une guerre

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"Les Ukrainiens sont comme des frères" : l'opinion publique russe ne veut pas d'une guerre

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Un hélicoptère Kamov Ka-52M, une version améliorée de l'hélicoptère de reconnaissance et d'attaque Ka-52 Alligator, observé lors de la réception de produits militaires sur un aérodrome militaire dans la région de Rostov, en Russie
Un hélicoptère Kamov Ka-52M, une version améliorée de l'hélicoptère de reconnaissance et d'attaque Ka-52 Alligator, observé lors de la réception de produits militaires sur un aérodrome militaire dans la région de Rostov, en Russie
© AFP - Sergey Pivovarov / Sputnik / Sputnik via AFP

La majorité des Russes ne veut pas croire à la guerre avec l'Ukraine et ne veut pas d'un conflit. Si les études d'opinion donnent peu de soutien populaire aux options militaires du Kremlin, elles montrent aussi que les Russes désignent les Etats-Unis comme responsables de la crise.

Maria ne veut pas croire à la possibilité d'un conflit avec l'Ukraine. Cette retraitée moscovite qui se promène sous la neige dans le Parc Gorky, malgré ses "plus de 70 ans" et son insuffisance respiratoire ne ressent, comme de nombreux russes, aucune animosité envers ce pays : "N_ous n’avons que des bons sentiments envers les Ukrainiens_, affirme-t-elle. Ils sont comme des frères. Et je pense qu’en aucun cas nous ne leur déclarerons la guerre". 

D'après une récente étude du Centre Levada de Moscou, 53% des Russes jugent "improbable" ou "exclue" l'hypothèse d'une guerre avec leur voisin en raison des tensions dans le Donbass. Mais pour le sociologue Lev Goudkov, "il ne s'agit pas tant d'une évaluation de la probabilité d'une guerre que d'un refus de partir en guerre." Pour ce spécialiste de l'opinion publique russe, directeur de recherche au Centre Levada, "il n'y avait pas d'attitudes négatives anti-ukrainiennes avant que Poutine n'arrive au pouvoir ou dans les premières années de sa présidence. Nous avons commencé à enregistrer des vagues d'animosité associées à la propagande du Kremlin en réaction aux événements de Maïdan". Fin 2014, 59% des Russes avaient une opinion négative vis à vis de l'Ukraine. Ils ne sont plus que 43% aujourd'hui. Selon lui, l'opinion publique se serait entre-temps lassée de la politique agressive du pouvoir russe.

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Nous préférons être amis avec l'Ukraine, même si je pense que leur gouvernement fait n'importe quoi

"La dégradation du niveau de vie et les coupes dans la politique sociale, ont conduit à une certaine réduction de l'animosité vis à vis de l'Ukraine, poursuit Lev Goudkov. Sur ce point, l'affaiblissement du soutien à Poutine est particulièrement visible depuis 2018, après l'échec de la réforme des retraites et la lassitude de la population à l'égard de cette démagogie militariste de confrontation." Un sentiment exprimé par de nombreux Russes croisés hier dans Moscou, affirmant que "ces questions de politique étrangère [les] fatiguent et ne [les] intéressent plus." Boris, un étudiant d'une vingtaine d'années nous explique : "Nous ne savons pas ce qui va se passer, mais nous préférons être amis avec l'Ukraine, même si je pense que leur gouvernement fait n'importe quoi.

Le sociologue Lev Goudkov dans son bureau du Centre Levada à Moscou
Le sociologue Lev Goudkov dans son bureau du Centre Levada à Moscou
© Radio France - Sylvain Tronchet

Environ 28% des Russes ont de la famille, ont étudié ou sont nés en Ukraine. Cet attachement revient souvent dans les discours des Moscovites rencontrés. "J’ai beaucoup de membres de ma famille en Ukraine, raconte Nikita, un étudiant de 22 ans. On se parle souvent et sans problème. Evidemment à cause de la propagande de nos gouvernements nous pouvons avoir des divergences, mais on évite d’en parler, et ça se passe bien…" Nina, 63 ans, est née d'une mère ukrainienne. "C'est dommage que de telles choses arrivent là-bas, déplore-t-elle. Je suis désolée pour les enfants et les personnes âgées. Je ne peux que compatir. Je regarde les nouvelles à la télévision. Il y a toujours des fusillades là-bas, il se passe des choses terribles, mais nous ne voulons pas la guerre."

Le rôle de la propagande gouvernementale à la télévision

"Il faut tenir compte du contrôle quasi total de l'espace d'information par le Kremlin. L'opinion publique est très dépendante de la propagande, notamment des médias officiels, explique Lev Goudkov. Internet a certainement une grande influence à cet égard, mais il ne concurrence pas la télévision, qui est un puissant outil de propagande. L'attitude de l'opinion à l'égard des événements actuels dépend donc dans une large mesure de la manière dont telle ou telle information est délivrée et du fonctionnement de cette machine de propagande." La télévision, entièrement contrôlée par le pouvoir, reste le principal canal d'information de la majorité des Russes. 

Des passants dans les rues de Moscou le 18 décembre
Des passants dans les rues de Moscou le 18 décembre
© AFP - SEFA KARACAN / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Si les Russes semblent diverger du discours officiel du Kremlin vis à vis de l'Ukraine, ils le rejoignent sur un point : les responsables de la montée de tension de ces dernières semaines sont les Américains pour la grande majorité d'entre eux. "Seulement 4% des personnes interrogées estiment que la Russie en est à l'origine" précise Lev Goudkov. Boris le confirme quand il nous affirme qu'un "pays que je ne nommerai pas vient se mêler de ce qui ne le regarde pas, hors de ses frontières."

De nombreux Russes adhèrent aux thèses du Kremlin qui affirme que la révolution de Maidan était pilotée par la CIA. "Je pense qu’il n’est pas exclu que les Américains soient derrière ça, pense quant à lui Igor, la cinquantaine. Ils tirent les ficelles là bas, parce que sinon l’Ukraine a toujours été un peuple ami."

Je pense que la réaction de la population vis-à-vis de cette guerre sera fortement négative

Reste à savoir comment l'opinion réagira si Vladimir Poutine décide d'une opération militaire sur l'Ukraine. L'opinion a pu montrer dans le passé qu'elle pouvait être volatile et sensible aux discours officiels. Lev Goudkov ne croit pas cependant que le Kremlin puisse en tirer des bénéfices politiques. "Je ne pense pas qu’il puisse y avoir encore une mobilisation guerrière et militariste, ces sentiments sont épuisés, estime le sociologue. Ce qui s’est passé en 2014 après l’annexion de la Crimée ne peut pas se reproduire aujourd’hui. C’est pourquoi je pense que la réaction de la population vis-à-vis de cette guerre sera fortement négative."