Lettre : "Face à l’impact socialement très inégalitaire du Covid, protéger les plus fragiles est une priorité"
Par La rédaction numérique de France Inter
Effets du Covid, urgence sociale, pauvreté, les maires écologistes de Bordeaux, Rouen, Poitiers et la présidente du grand Poitiers écrivent au Premier ministre pour demander au gouvernement de tenir ses engagements et de les aider à venir en aide aux plus fragiles. Nous publions leur lettre.
Monsieur le premier Ministre,
Élus locaux, élues locales, nous sommes en première ligne pour faire face à la crise sociale qui, déjà présente, prend une ampleur dramatique avec la crise sanitaire.
Le baromètre Ipsos - Secours populaire de la pauvreté de septembre dernier nous donnait un premier aperçu de l’impact social de la crise COVID : parmi les foyers touchant moins de 1 200 euros net mensuels, 60% ont des difficultés à se procurer des fruits et légumes frais, 57% à avoir trois repas par jour de qualité, 53% à payer leur loyer, et 51% à payer les actes non ou mal remboursés par la Sécurité sociale. Le rapport sur la pauvreté du Secours Catholique nous le confirme : la France pourrait franchir la barre des dix millions de pauvres en 2020, et la situation s’aggrave considérablement pour les personnes les plus fragiles, les jeunes, les familles dépendant des emplois les plus précaires, les étrangers…
Derrière ces chiffres, dans nos villes, dans nos villages, c’est la vie de familles, d’enfants, de personnes isolées, que la situation rend chaque jour plus difficile, des difficultés que vient souvent aggraver le confinement. Face à l’impact socialement très inégalitaire de la COVID19, protéger les plus fragiles, mettre en œuvre une solidarité véritablement inconditionnelle, est une priorité, et une urgence.
Une instruction interministérielle (Ministères de l'Intérieur, des Solidarités et de la Santé, du Logement et de la Citoyenneté) datée du 3 novembre liste une série d'engagements pour la prise en charge et le soutien aux populations précaires face à l'épidémie de Covid-19. Parmi les dispositions qu’elle propose :
- Sur l’hébergement d’urgence, elle rappelle que la campagne hivernale a été déclenchée dès le 17 octobre et invite les préfet.e.s à ouvrir "autant de places que nécessaire", en priorité dans des établissements disposant de chambres individuelles permettant le respect des mesures barrière à mobiliser des locaux publics ou des ressources humaines publiques ; le nécessaire partenariat avec les collectivités territoriales est rappelé ;
- Sur l’accès au logement, elle demande d’accélérer l’attribution des logements pour des publics prioritaires ;
- Sur l’aide alimentaire et autres mesures de lutte contre la précarité, elle demande de mettre la coordination des dispositifs d'aide alimentaire au service d’une véritable « gestion de crise », l’aide alimentaire, l’accès aux produits d’hygiène, les produits alimentaires en premier lieu, mais aussi le maintien des dispositifs d’accès aux droits.
Premiers témoins des effets concrets de la crise, nous avons pris des mesures d’urgence pour protéger les populations dont nous avons la responsabilité. Mais nous ne pouvons agir seuls et nous demandons fermement à l’État et à ses services déconcentrés de tenir ces engagements, et de prendre leurs responsabilités pour aider les collectivités, les associations, à agir face à l’urgence sociale. Pour que personne ne dorme dehors, nous sommes prêts à agir aux côtés des services de l’État pour que plus aucune demande d’hébergement d’urgence ne reste sans solution. Pour cela, l’État doit pouvoir affirmer qu’en période de confinement, les concours de la force publique aux expulsions de squats sont reportés. Pour que personne n’ait faim, l’aide alimentaire doit être accompagnée et renforcée par des moyens financiers et logistiques, en priorité pour les produits frais en s’appuyant sur des producteurs locaux ; pour que les droits des plus fragiles ne reculent pas pendant cette période, les acteurs sociaux doivent bénéficier de moyens d’accompagnement renforcés notamment dans les quartiers prioritaires.
À l’échelle des territoires, nous coopérons au quotidien avec les services de l’État ; mais aujourd’hui, nous alertons sur l’obligation de résultats que nous avons vis-à-vis de nos concitoyens les plus fragiles. A crise inédite, moyens inédits : pour agir, Monsieur le Premier Ministre, nous avons besoin de moyens réellement à la hauteur des enjeux.
Au-delà de ces mesures conjoncturelles, cette crise met en lumière les limites de notre système de protection sociale, rendant encore plus importantes les inégalités sociales et territoriales. Élus et engagés résolument dans la transition de notre modèle de développement, nous vous redisons notre souhait de pouvoir expérimenter sur nos territoires dans la dynamique du projet de loi 3D (Décentralisation, différenciation, déconcentration) de nouveaux modèles de solidarité : mise en place d’un revenu minimum social garanti pour les jeunes, expérimentation d’un revenu universel, développement d’une sécurité sociale de l’alimentation, … Pour les mettre en œuvre, nous avons besoin d’un État et de ses services déconcentrés qui soient dans la coopération et le soutien à ces initiatives.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération.
