Liban : "Comment peut-on demander la solution de nos problèmes à ceux qui les ont justement causés ?"
Par Valérie CrovaLa visite d'Emmanuel Macron jeudi à Beyrouth a été plutôt bien accueillie par les Libanais, mais pas par tous. Il a notamment appelé les dirigeants à mettre en oeuvre de profonds changements. Les réponses de Pierre Issa, secrétaire général du Bloc National, un Parti social libéral, citoyen et non confessionnel.
FRANCE INTER : Comment analysez-vous la visite du Président Macron à Beyrouth qui a appelé à la refondation d’un ordre politique au Liban ?
PIERRE ISSA, secrétaire général du Bloc National : "À mon sens, pour nous, il y a eu à boire et à manger. La proposition du président Macron de créer un gouvernement d'union nationale est, si j'ose dire, une méconnaissance de la réalité de l'histoire récente du pays. Les successifs gouvernements d'union nationale, cette aberration qu'on appelle le gouvernement d'union nationale, nous ont menés entre autres à la situation catastrophique et dramatique où nous sommes. Nous aurions voulu l'organisation d'une rencontre avec les vrais groupes de l'opposition, à savoir les partis politiques indépendants, les groupes qui ont émergé avec la révolution et qui sont la réelle opposition. L'opposition actuelle n'est en aucun cas les quelques partis politiques qui ne sont pas dans l'actuel gouvernement. Je ne comprends pas comment on peut demander la solution à nos problèmes à ceux qui ont justement causé des problèmes."
Vous appelez de vos vœux un nouveau front de l’opposition, front qui passerait par une alliance de partis citoyens. C'est ce que réclament les Libanais depuis octobre dernier quand ils sont descendus dans la rue. Est-ce que le moment est venu aujourd'hui ?
"Nous y travaillons depuis quelques mois. Vous savez, l’une des richesses du Liban, c'est la diversité de son tissu socio-culturel. Cette différence est une grande richesse, mais c'est moins facile d'organiser un groupe d'opposition avec cette diversité que s’il y avait une homogénéité dans le tissu socio-culturel. Nous ne sommes pas un bloc monolithique. Nous collaborons avec un très grand éventail de partis : 'Citoyens et citoyennes dans un état', l’'Observatoire national contre la corruption', 'Beyrouth Madinati' et bien d'autres. L'alternative est en marche. Pour le moment, l'essentiel, c'est d'avoir une proposition politique, un nouveau modèle de gouvernance. Ce régime, basé sur un contrat social entre communautés confessionnelles est à bout de souffle. Il a abouti à une 'kleptocratie' qui nous a menés là où nous sommes. On doit absolument en sortir par un nouveau régime de gouvernance."
Et vous auriez souhaité que le président Macron rencontre certains responsables de ces partis ?
"Oui et de façon un peu plus évidente, pas dans la foulée d'une rencontre avec un groupe de la société civile. Je comprends que les officiels français veuillent et doivent rencontrer des officiels libanais. Mais il n’y a pas qu’eux…"
Pensez-vous qu’une alliance entre tous ces partis soit possible ?
"Probablement, et en tout cas, un front politique d'opposition qui porterait un projet. Pour le moment, nous sommes des voix qui crient dans le désert. La vie démocratique est complètement grippée au Liban. Ce pays, si vous prenez un peu d'altitude, c'est une oasis dans un grand désert. Mais c'est aussi une oasis de démocratie, de liberté d'expression, de droits de l'Homme. Et cette oasis est en train de se désertifier par le fait de ces partis communautaires au pouvoir, de ces seigneurs de la guerre qui sont en train de nous faire glisser vers un État policier."
La reconstruction d'un État libanais qui est aujourd'hui en totale déliquescence, cette reconstruction peut-elle se faire à court terme ?
"Elle est impérative et tout à fait possible. Nous n'avons pas d'alternative. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est ramener la vie démocratique normale dans notre pays par un gouvernement de transition, un gouvernement indépendant de tous ces partis communautaires qui ait des pouvoirs élargis, qui s'occupe de gérer la crise sanitaire, sociale, économique. Deuxièmement, il faut organiser des élections libres avec surtout une limitation et une maîtrise des dépenses électorales. Les dépenses électorales sont à la base de toutes les autres corruptions qui ont fait la faillite du pays."