Liban : "Il faut nettoyer les écuries d’Augias !", s'indigne un haut fonctionnaire
Par Christian ChesnotEx-directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani a démissionné avec fracas le 29 juin 2020, alors qu’il faisait partie de l’équipe libanaise de négociation avec le FMI. Portrait d’un haut fonctionnaire, écœuré par l’oligarchie politico-financière qui tient le pays depuis trente ans.
Pendant des années, il a cru que la machine de l’État pouvait être réformée en profondeur. Mais au cœur de l’administration libanaise pendant vingt ans, Alain Bifani, 52 ans, s’est retrouvé embarqué dans une descente aux enfers. "Je me suis pourtant battu pour que ça aille dans le bon sens. Nous avons obtenu quelques succès. Nous avons ainsi reconstitué des comptes financiers et mis en place un système fiscal qui fonctionne à peu près convenablement", raconte-t-il à France Inter. La goutte d’eau qui fera déborder le vase de son écœurement sera sa participation à l’équipe d’experts libanais qui négocie avec le Fonds monétaire international (FMI), un plan de redressement, rendu impératif après l’effondrement vertigineux de la livre libanaise, qui a perdu 80 % de sa valeur depuis janvier.
Faire payer la facture de la faillite à la population
"J’avais contribué à mettre en place un plan de redressement qui consistait à faire payer ceux qui avaient le plus profité du système, c’est-à-dire les délinquants financiers qui ont géré le pays depuis trente ans", se rappelle-t-il. "Je pensais que la moindre des choses était qu’ils soient les premiers à contribuer et non le malheureux déposant, le plus démuni, ou le citoyen lambda."
Alors que pour la première fois de son historie, le pays est en défaut de paiement, l’oligarchie politico-financière fait capoter les négociations avec le FMI. L’option retenue est celle de faire payer le prix de la faillite à la population.
Alain Bifani décide alors de quitter le navire qui prend l’eau de toute part, parce qu’il est plombé par la corruption et les magouilles. Il démissionne avec fracas le 29 juin 2020.
"La tragique explosion du 4 août est également le résultat de cette mauvaise gestion de l’État ou plutôt, de cette non-gestion. Avec cette idée qui me hérisse et qui consiste à dire que le Liban ne pourra jamais être géré mieux que cela. Ce n’est pas vrai." Cet ancien élève d’HEC estime qu’il n’est pas encore trop tard pour agir et redresser le pays. Simplement, il faut une volonté politique, qui n’est pas au rendez-vous.
6 milliards de dollars partis à l’étranger
"Comment expliquer", s’interroge-t-il, "que certains aient suffisamment d’influence dans le système pour faire sortir du pays environ six milliards de dollars au moment où tous leurs compatriotes se retrouvent dans l’incapacité de retirer leurs dollars des banques ?"
Il faut dire que les "boîtes noires" ne manquent pas au Liban : la Banque centrale et les banques privées, longtemps protégées par le secret bancaire, ont mis sur pied un système d’une rare opacité. Un audit des comptes doit être effectué en coopération avec la Banque de France.
Face à toutes les urgences qui assaillent le Liban, par où commencer ?
"Il faut d’abord faire comprendre qu’un nouveau système vertueux est en train de se mettre en place. Les gens doivent sentir que la justice ne s’arrête plus à un certain niveau mais qu’elle est capable de monter jusqu’au plus haut de la pyramide."
Évidemment, c’est un chantier pharaonique et de longue haleine. Les donateurs internationaux se disent prêts à aider le Liban à se redresser, encore faut-il une nouvelle gouvernance. Elle doit concerner des dossiers clés comme la banque centrale, la compagnie Électricité du Liban, le port de Beyrouth…
"Il existe malheureusement beaucoup d’autres urgences encore", conclut Alain Bifani. "Mais il faut nettoyer les écuries d’Augias."