LIVRE - Faut-il lire "Le Royaume désuni" de Jonathan Coe ?

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LIVRE - Faut-il lire "Le Royaume désuni" de Jonathan Coe ?

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Jonathan Coe le 20 novembre 2022
Jonathan Coe le 20 novembre 2022
© Getty - Maria Moratti

"Un roman trop long dont on voit les ficelles", ou "une jolie bulle anglaise à lire sous un plaid" ? Les critiques littéraires Elisabeth Philippe, Patricia Martin, Jérôme Garcin, Frédéric Beigbeder, et Arnaud Viviant ont décortiqué le dernier livre du plus britannique des auteurs.

La présentation du livre par Jérôme Garcin : "Une fresque à laquelle il manque une chute"

Le Royaume désuni est le nouveau roman du Britannique, et anti-Brexit, Jonathan Coe, l'auteur du "Testament à l'anglaise". Il est traduit chez Gallimard par Marguerite Capelle. Il faut dire la vérité : c'est un roman long de presque 500 pages. Il s'agit d'une fresque qui raconte, à travers le destin d'une famille, l'histoire sociale du Royaume-Uni de 1945 jusqu'au 75ᵉ anniversaire de la victoire sur le Japon en 2020.

Du mariage de Charles aux funérailles de Diana, de Margaret Thatcher qui aurait conduit au Brexit, selon Jonathan Coe, jusqu'à Boris Johnson qui l'a réalisé. Puis de la finale en 1966 de la Coupe du monde de football, Angleterre contre Allemagne, jusqu'à la pandémie du Covid-19. Cette famille, les Lamb, vit dans la banlieue de Birmingham, à Bournville cité fondée par les frères chocolatiers Cadbury à la fin du XIXᵉ siècle. C'est une fresque un peu étrange parce qu'elle est parue, juste avant la mort de la reine Elizabeth. Il manque comme une chute à ce roman qui raconte donc toute une partie de ce royaume devenu désuni".

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Frederic Beigbeder : "Un roman dont on voit trop les coutures"

L'ancien publicitaire et romancier n'a pas été convaincu : "La construction du Royaume désuni m'a rappelé celle d'un livre de Jean-Paul Dubois, Une vie française. Il était rythmé par les noms des présidents de la République de la Cinquième République. Ici, c'est la même idée. D'ailleurs, Jonathan Coe avait déjà utilisé façon de faire dans Le cœur de l'Angleterre : avec la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques. Je trouve qu'on voit un peu les coutures du grand professionnel qu'il est.

Donc on démarre avec effectivement avec le mariage du prince Charles, l'élection de Boris Johnson, ensuite le confinement... Ça m'a rappelé les tableaux utilisés pour apprendre l'Histoire. J'avais l'impression de réviser. Après Billy Wilder et moi, qu'on a tellement aimé ici, on est déçu par ce livre préfabriqué sur l'Angleterre. C'est pourtant du même auteur. On dirait que Jonathan Coe s'est obligé à écrire ce livre. Je crois qu'il a voulu parler de sa mère, écrire sur la ville où elle est née et où est située cette usine Cadbury. Peut-être a-t-il recyclé des articles, mais cela se voit. La scène au début livre avec une dame qui remplit sa voiture de papier toilette m'a beaucoup plu."

Patricia Martin : "J'ai adoré"

La journaliste est enthousiaste : "Et puis cette scène quand l'héroïne arrive à l'hôtel et qu'elle veut appeler sa grand-mère par Skype et que celle-ci n'est pas cadrée : c'est à hurler de rire. Quand même être un sacré roman. Moi, j'ai adoré. Je ne l'ai pas trouvé trop long. J'ai été happée ! J'étais dans une bulle. J'y ai cru. L'architecture du livre est est extraordinaire. C'est à la fois féroce et tendre à d'autres moments, j'ai adoré."

Elisabeth Philippe : "Le royaume de l'ennui"

À réécouter : Tournage, Jonathan Coe
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53 min

Elisabeth Philippe n'est pas d'accord :"Justement, cette architecture avec ce va-et-vient entre le destin de la famille royale et celui de la famille Lamb, étire les chapitres. C'est très long ! Parfois aussi long que la traîne de Diana le jour de son mariage : 7,60m ! Et pourtant, j'adore Diana and Co. Ce Royaume désuni, c'est un peu le royaume de l'ennui pour moi.

Reste que les personnages sont vraiment attachants. Le personnage de Marie, la grand-mère, dont il retrace toute la vie est très sportive, elle adore conduire vite… Jonathan Coe échappe aux clichés justement ses personnages féminins. Son fils Peter est très touchant.

On retrouve toutes les mythologies de la Grande-Bretagne : le chocolat Cadbury, les Beatles, l'Austin Mini, les James Bond. À chaque chapitre, ils vont voir un nouveau film de James Bond. La Guerre mondiale est un élément extrêmement important pour les Britanniques. Le livre ressemble, en plus tendre, à un album de photos de Martin Parr, ce photographe qui met en scène les clichés anglais.

J'ai bien aimé lorsqu'il parle de Boris Johnson. Mais il ne peut pas s'empêcher de parler d'un autre Johnson, son auteur de prédilection : Bryan Stanley Johnson. Celui qui a écrit Les Malchanceux, ce livre dont les chapitres sont en feuillets détachés. Même si parfois, c'est un peu long, Le Royaume désuni reste un livre très confortable à lire sous un plaid avec son mug à l'effigie du roi Charles."

Arnaud : "Des personnages qui n'existent pas une seule seconde"

Pas du tout convaincu, le journaliste explique : "Tu as dit Jérôme qu'il manque une chute à ce roman avec la mort de la reine Elizabeth. Mais non seulement, il manque une chute, mais il manque aussi un milieu et un début. Personnellement, au début, j'ai pris peur parce qu'il y a un arbre généalogique. Mais ce n'a pas été un problème puisque je me suis désintéressé immédiatement de ces personnages qui n'existent pas une seule seconde.

On peut lire chaque chapitre indépendamment comme des nouvelles. D'un point de vue technique, il a réussi à faire un roman avec des nouvelles dont certaines avaient déjà été publiées, dont celles sur la mort de sa mère et celles sur l'usine Cadbury. Il le raconte dans les notes à la fin du volume.

J'ai trouvé qu'il ne va pas jusqu'au bout de ses idées sur la monarchie, sur l'Europe. Toutes les histoires de normes du chocolat à Bruxelles…. Il n'en tire aucune conclusion. Il est romancier, mais il voudrait être essayiste de la réalité sociale anglaise, mais il ne va pas au fond de son raisonnement."

ECOUTER | Le Masque et la plume avec la critique du Royaume désuni de Jonathan Coe