Logement : fonctionnaire avec un nom français, la clé pour décrocher les clés
Par Julien Baldacchino
Une étude du CNRS a tenté de vérifier l'hypothèse selon laquelle les personnes au patronyme d'origine maghrébine ont plus de mal à trouver des logements.
Faut-il avoir un nom à consonnance francophone plutôt que magrhébine pour obtenir la visite d'un appartement ? Cette hypothèse, sur laquelle de nombreuses associations de lutte contre les discriminations ont déjà alerté, a été vérifiée scientifiquement par une étude du CNRS dont les résultats a été rendu jeudi.
Quatre profils différents
Le Centre national de la recherche scientifique a envoyé des messages en réponse à 504 annonces immobilières pour des logements à Paris, entre avril et mai 2016, avec à chaque fois quatre profils différents : un fonctionnaire au nom français, un autre au nom maghrébin, un non-fonctionnaire au nom français et un autre non-fonctionnaire au nom maghrébin.
Le résultat est sans appel : sur les 504 logements testés, 216 ont répondu à l'annonce qui porte un nom d'origine française avec un profil de fonctionnaire, soit 42,9%. Seuls 18,7% des profils non-fonctionnaires au nom à consonance français se sont vus envoyer une réponse. Le profil de fonctionnaire au nom d'origine maghrébine a obtenu 78 réponses (soit 15,5%), celui avec le même nom mais non-fonctionnaire 65 réponses (12,9%).
La stabilité de l'emploi n'a pas d'influence quand le nom n'inspire pas confiance
Les chercheurs qui ont participé à cette étude constatent que l'écart observé selon l'origine supposée du demandeur se situe dans le même ordre de grandeur que celui observé dans le marché du travail. En revanche, ils remarquent aussi que le signal de stabilité, c'est-à-dire le fait d'être fonctionnaire, augmente le taux de réponse très fortement, mais seulement pour les candidats français.
Lorsqu'on regarde les résultats plus en détail, une autre différence notable apparaît selon que l'agence a été publiée par une agence ou un particulier. Du côté des particuliers, la stabilité de l'emploi n'a aucune influence sur le taux de réponse si le demandeur a un nom à consonance maghrébine. Sur les 244 annonces postées par des particuliers, seules 16 ont donné lieu à une réponse pour un demandeur au nom maghrébin, fonctionnaire ou pas.
Des guides pratiques pour les propriétaires et les agences
"Ces résultats soulignent une discrimination forte et ce n'est pas lié à la capacité de payer des candidats, mais à une aversion pour leurs origines", selon le directeur de la fédération de recherche Travail, Emploi et Politiques Publiques du CNRS, Yannick L'Horty. Le Défenseur des droits est régulièrement saisi de ce type de discriminations, mais "ces saisines ne sont que la partie émergée de l'iceberg, les recours étant très faibles par rapport à l'ampleur de ces discriminations", déplore Sarah Bénichou qui dirige l'unité Accès aux droits et discriminations dans l'institution. La ministre du logement Emmanuelle Cosse a salué cette étude lors de sa présentation ce jeudi :
"Nous avons besoin d'études qui permettent de renseigner ce phénomène pour faire de la pédagogie (...) et adapter les politiques publiques"
Pour faire face à ces discriminations, le Défenseur des droits a mis à disposition des guides à destination des propriétaires et des professionnels de l'immobilier. L'association Maison des Potes a demandé en outre que les résultats de ces testings soient transmis au procureur de la république, car la discrimination raciale est punissable de 45.000 euros d'amende et trois ans de prison pour un particulier, et de 255.000 euros quand elle concerne une agence immobilière.