Lokiss, figure historique du graff : "Le graff doit rester l'art des vandales"
Par Christine Siméone
Dans "Ce qu'il reste de nuit" la journaliste Sophie Pujas dresse le portrait d'une des figures historiques du graffiti en France, Lokiss.
Lokiss, alias Vincent Elka, est un des premiers à s'être essayé au graffiti. Dans les années 80, inspiré par le développement du mouvement aux Etats-Unis, porté par le hip hop, il s'approprie quelques murs du quartier de La Chapelle et les trains de banlieue pour commencer à bomber. C'est tout un style de vie qu'il découvre, lui le fils de directrice d'école maternelle. Il s'habitue à voler son matériel, car cela fait partie du jeu, à défendre son territoire. Sophie Pujas , dans Ce qu'il reste de nuit, raconte de manière impressionniste le parcours à vitesse grand v de ce jeune homme radical. Le livre est publié chez Buchet Chastel , c'est un portrait plus qu'une biographie pour un artiste pluridisciplinaire qui a élargi sa palette aux arts visuels, numériques et à la sculpture. Aujourd'hui, il écrit et prépare une histoire du graffiti en France. Il n'a que 48 ans, mais il est la mémoire du mouvement.
" Le graff doit rester l'art des vandales"
Dans le parcours d'un artiste comme lui, il y a d'abord le passage de la lettre, le propre du graff tel que les new yorkais l'ont inventé, aux formes. Il passe de la bombe au rouleau. Et ainsi de suite, il n'aura de cesse d'essayer de nouveaux outils, de nouvelles formes, de nouveaux supports. Aujourd'hui il déteste que l'on confonde street art et graffiti. Il constate que les politiques s'emparent des street artistes pour décorer la ville. Or Lokiss reste attaché à la notion de "vandale", c'est à dire le graffiti qui se construit dans la transgression. "Le graff doit rester à mon sens l'art des vandales" , dit-il. L'artiste selon lui n'est ni là pour faire beau, ni là pour être gentil.
Sophie Pujas essaie de faire fuser les mots et les phrases avec la même énergie que la peinture sort des bombes. Ce n'est pas si simple, mais on la sent passionnée par son sujet, fascinée par la trajectoire un peu "mauvais garçon" de Lokiss.
Entretien avec un artiste radical, par Christine Siméone
Finalement vous n'avez jamais vraiment quitté la rue ?
Je l'ai un peu quitté, je suis un peu revenu. La plus grosse rupture a été en 1992 quand je suis allé vivre dans les Cévennes. Or le graffiti c'est un art urbain donc j'ai arrêté jusqu'en 1996 date à laquelle je suis revenu sur Paris. Pour moi c'est le béton, le ciment, la friche industrielle. Désormais je reviens dans la rue quand j'ai une grosse commande de mur, soit une fois ou deux par an.
Qu'est ce que ça veut dire de peindre pour une galerie quand on est artiste de rue ?
C'est une activité que je sépare, je ne suis pas un street artiste. Même quand je faisais des nouveaux médias, les galeristes étaient contents de dire que j'étais le graffeur, Lokiss, donc ok, c'est moi, je n'y reviens pas. Mais pour moi ce que je montre en galerie n'a rien à voir avec le graffiti. En 2005 j'ai commencé à faire des expos post graffiti, à Berlin, après j'ai fait de la vidéo puis du multimédia, du net art. Bref aujourd'hui je dit que je suis artiste. Je rêve de pouvoir faire la symbiose de tout un jour.
On écrit un livre sur vous alors que vous n'êtes pas mort, c'est normal ?
C'est assez drôle et je m'en amuse. J'ai encore plein de choses à faire, c'est moi qui ait proposé à Sophie Pujas de faire queqlue chose sur moi, en guise de boutade, plutôt que sur l'histoire du graff. Je lui ai dit, "même si tu écris quelque chose de négatif sur moi, c'est pas grave ". Souvent les gens me disent que c'est moi qui ai écrit le livre, or c'est son style à elle et pas le mien. Et certains confondent. Donc non je ne suis pas encore mort.
Lokiss expose en ce moment à la Galerie Celal, 45 rue Saint Honoré à Paris jusqu'au 23 avril 2016.