Louxor, j'adore....

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Louxor, j'adore....

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Alors que le peuple égyptien se soulève place Tahir, les villageois des campagnes du sud suivent la révolution sur leurs écrans de télévision. Du renversement de Moubarak à l’élection et la chute de Morsi, le film suit ces bouleversements du point de vu de Farraj, un paysan de la vallée de Louxor. Au fil du quotidien agricole, entre espoirs et déceptions, le changement se fait attendre.

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C’est avec ce superbe documentaire inspiré, « Je suis le peuple » d’Anna Roussillon , que s’ouvre aujourd’hui la sélection de l’ACID, soit la petite bête chercheuse du Festival qui monte, qui monte… Mad Max » puis la révolution égyptienne ce matin, dans deux heures les Sonderkommando d’Auschwitz et ce soir, tard, un film roumain. Ainsi va Cannes. Et c’est en soi un bonheur.

Je suis le peuple affiche du documentaire
Je suis le peuple affiche du documentaire
© Haut les mains Productions

« Je suis le peuple », c’est aussi une chanson d’Oum Kalthoum qui dit notamment :

« J’ignore l’impossible, je ne préfère rien à l’éternité, mon pays est ouvert comme le ciel, il embrasse l’ami et efface l’intrus. » Belle introduction pour entrer dans l’univers du documentaire réalisé par Anne Roussillon. Cette dernière a d’abord eu l’intelligence du lieu et du moment. Etre à Louxor chez des paysans quand Le Caire est en révolte, c’est comme à être à Marseille chez des pêcheurs du Vieux Port en 1789. Il y a d’abord ici une façon d’être à la bonne place, au bon endroit. Non pas sur le lieu même, mais non loin, dans cette zone périphérique qui rend les choses et les situations proches et pourtant distantes, réelles et presque virtuelles, tangibles et télévisuelles. La Révolution dans son sang et non dans son cœur, histoire de faire le tri. Ferraj, le protagoniste, devenu ami de la réalisatrice depuis 2009, deux ans avant la Révolution, est le parfait médiateur. A la fois acteur et spectateur, il devient rapidement le chœur d’un film qui entend bien ne rien cacher des allers et retours d’un sentiment national confronté au vent de la liberté.

Ici, c’est l’Egypte et que nul ne l’oublie. Les paysans semblent être les dépositaires de cette Histoire unique en son genre, d’une civilisation à nulle autre pareille. Chacun le sait, chacun le sent. Y compris le commentateur télévisé d’une parade militaire de l’armée égyptienne : « la première dans l’Histoire ». Brusquement Pharaon et son peuple apparaissent. Pas question alors de croire qu’on peut aller plus vite que la musique. Que les donneurs de leçons démocrates se calment un peu. Qu’on laisse un peu de temps au temps. Et surtout qu’on ne vienne pas dire pour qui il faut voter. L’extrême liberté de ton et de parole dont font preuve Farraj, les siens et ses amis sidère le spectateur.

Anna Roussillon signe ici une magnifique film politique et citoyen, une belle page sur une humanité complexe. Loin des clichés, loin des leurres, « Je suis le peuple » donne confiance, rassure et galvanise. C’est au-delà des images et des mots, un poème en prose sur la liberté en marche, la grande liberté.