Lunettes d'audiodescription, peluche intelligente : une maison pour présenter toutes les facettes de l'IA
Par Julien BaldacchinoMardi, le département des Alpes-Maritimes a ouvert la première Maison de l'intelligence artificielle de France, à Sophia-Antipolis. Destinée à accueillir des entreprises, mais aussi des enfants, elle présente la diversité des développements en termes d'intelligence artificielle.
C'est la première de son genre en France : implantée au cœur du technopôle de Sophia-Antipolis, la Maison de l'intelligence artificielle a été inaugurée mardi 10 mars, avec la traditionnelle brochette d'officiels qui accompagnent ces lancements en grande pompe. Autour du président du conseil départemental, principal instigateur de l'initiative, les élus du département, parlementaires, mais aussi des universitaires, et en guest star un ancien dirigeant d'Apple, Marco Landi, qui a supervisé le projet.
Sous le soleil azuréen, la Maison de l'intelligence artificielle s'est installée dans des locaux prêtés par le CNRS. Pas de data center surdimensionné, pas de débauche d'ordinateurs et d'écrans complexes… mais des écrans, et surtout, des entrepreneurs et entrepreneuses, invités dans ce lieu à présenter leur vision de l'intelligence artificielle. Car cette maison de l'intelligence artificielle n'est pas un incubateur, mais un lieu de réflexion et d'information sur ce que représentent ces programmes, ces algorithmes conçus pour assister les femmes et les hommes au quotidien. "Nous rentrons dans une société où il faut apprendre au public à s'adapter", explique le président du département Charles-Ange Ginésy. "Je suis convaincu que demain ce lieu fourmillera d'idées, qu'il faut se saisir de cette formidable capacité que nous donne cet outil à gérer et vaincre les maux de notre société pour dire à tous les hommes, quels qu'ils soient, qu'ils sont servis par l'intelligence artificielle, et pas asservis par elle".
Co-working et showroom
À quoi ressemble cette Maison de l'intelligence artificielle ? L'espace se partage en trois sections : un espace de coworking (Le Lab) destiné à accueillir des ateliers et surtout des coopérations entre plusieurs startups du secteur, qui pourront venir y poser leurs valises (et leurs ordinateurs) le temps de travailler ensemble. S'y ajoutent une salle de formation et, clou du spectacle, un immense "showroom", pièce maîtresse du lieu, conçu comme un espace pour découvrir des entreprises locales ou régionales qui réfléchissent dans le domaine.
Si la plupart des démonstrations se font sur des écrans, la visite est aussi l'occasion de découvrir des applications plus palpables de l'intelligence artificielle. Dans l'espace dédié à la santé, l'œil est attiré par un dispositif faisant intervenir lunettes, caméras et écouteurs. "C'est un outil de vision artificielle pour les personnes malvoyantes ou aveugles", explique François Badaud, co-fondateur de l'entreprise B2bot, "basé sur des algorithmes qui permettent de détecter des objets, de les identifier et de les positionner dans l'espace. Et avec ces informations, on construit une phrase qu'on restitue à la personne en déplacement".
Autrement dit, de l'audiodescription en direct. À l'écran, on voit que la caméra détecte et identifie chaque élément visible : personne à trois mètres, téléphone portable à soixante centimètres, etc. Pour François Badaud, "être ici, c'est une façon de faire connaître notre solution, c'est important, d'autant plus que nous sommes une startup située à Sophia-Antipolis". L'entrepreneur a déjà commencé à réfléchir à comment présenter son innovation aux enfants : les collégiens seront l'un des principaux publics de la maison de l'intelligence artificielle.
Doses d'intelligence artificielle
Pendant que l'on parle avec les uns et les autres, de petits bruits attirent l'attention : ils viennent d'une peluche blanche, un petit phoque aux grands yeux noirs. "Paro a été inventé au Japon pour pallier le manque d'animaux dans les établissements de soins", explique Carla Rossini d'Inno3med, l'entreprise qui le distribue en France. Comme d'autres peluches, Paro fait appel chez les patients aux fonctions d'empathie, mais l'intelligence artificielle intégrée à cet objet-ci lui permet "d'apprendre de son environnement, de retenir le prénom qui lui est donné, de s'adapter à la position, aux comportements, et de reconnaître chaque patient en fonction de son comportement avec lui". Si l'on ignore tout cela, Paro animée n'est qu'une peluche parmi d'autres… et c'est cela qui fait son principal atout : l'IA ne se voit pas.
Ce mélange d'intelligence artificielle et de savoir-faire humain se retrouve dans l'outil conçu par une entreprise présente dans ce show-room, Kinaxia, qui a développé une carte de France permettant aux agents immobiliers de connaître, à chaque point du territoire, des indications sur la qualité de vie. Là encore, c'est une petite dose d'intelligence artificielle qui a été injectée : "Grâce à l'intelligence artificielle, on a pu simuler des données reconstruites à partir de là où il n'y en a pas. Sur les prix de l'immobilier par exemple, on a les échelles de prix sur certaines villes mais pas sur toutes. En analysant le type d'environnement et les données pour les zones où on a les prix, on a pu comprendre quels quartiers étaient similaires et donc peuvent avoir plus ou moins le même prix", détaille Gabriel Vatin, data scientist pour ce projet nommé Cityscan.
"Mettre de l'éthique, de la déontologie"
Ce que donne à voir cette Maison de l'intelligence artificielle, c'est peut-être ça : un futur loin des clichés des écrans omniprésents, où l'IA se matérialise par touches, par bribes, dans des dispositifs plus globaux. Pour le président du département, cette institution est aussi là pour garder un œil attentif sur les évolutions des recherches sur l'intelligence artificielle : "Nous avons la responsabilité de mettre des codes, de l'éthique, de la déontologie dans la pratique de l'intelligence artificielle : elle a des avantages formidables autant qu'elle présente des risques considérables pour les données privées", souligne Charles-Ange Ginésy.
"Le papier permettait le droit à l'oubli. Aujourd'hui, il faut savoir le protéger encore."
À mi-chemin entre cette ode au progrès et la réflexion sur ses dangers, la Maison de l'intelligence artificielle veut accueillir, en plus des collégiens – à qui une appli de visite "augmentée" est dédiée – des chercheurs, des entrepreneurs, mais aussi le grand public : le département a également lancé un Observatoire des impacts technologiques, économiques et sociétaux de l'intelligence artificielle (OTESIA), dont les travaux seront associés à ce lieu.