"Ma fille est fan" : comment l'émission Drag Race a conquis un vaste public, au-delà de la communauté LGBT

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"Ma fille est fan" : comment l'émission Drag Race a conquis un vaste public, au-delà de la communauté LGBT

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L'émission est diffusée sur France Tv Slash.
L'émission est diffusée sur France Tv Slash.
- France Tv Slash

Depuis le début de sa diffusion, l'émission "Drag Race France" connaît un véritable succès. Le concours de la meilleure drag queen, copié sur la célèbre version américaine, témoigne de la présence de plus en plus importante de la culture drag, au-delà des milieux queer et LGBT.

"On a fait une heure de route depuis l'Oise, on ne pouvait pas louper ça." Assises à une table du Café Beaubourg, à Paris, Marthe et ses amies sont venues assister à une soirée un peu spéciale. Ce soir, elles vont regarder le sixième épisode de "Drag Race France", une émission de concours de drag queens, sur grand écran. Tous les jeudis, depuis le 21 juillet, le Café Beaubourg organise en effet des "viewing parties" de l'émission : des soirées où les clients se réunissent pour regarder le show sur les nombreux écrans plats installés pour l'occasion dans tout le bar, d'ordinaire réservés aux soirs de match de foot. Mais l'émission bénéficie d'un succès inattendu depuis sa sortie en France, au point que l'on parle parfois d'un phénomène "Drag Race".

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Marthe et ses amies ont prévu le coup : elles sont arrivées une heure et demie avant le début de l'épisode, qui commence en direct à 20h sur France Tv Slash. Et elles ont eu raison, car la file d'attente pour rentrer dans le Café Beaubourg est de plus en plus longue. Beaucoup de jeunes sont venus entre amis, certains se sont même maquillés selon les codes du drag, pour l'occasion. D'autres ont la quarantaine et sont en habits de bureau. Le succès de "Drag Race France" ne connaît pas de limite d'âge, et touche au-delà du milieu queer et de la communauté LGBT.

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Une émission héritière d'un succès international

Autour de la table aussi, les profils sont variés. Séverine, la quarantaine, a été séduite par l'aspect artistique de l'émission. "C'est vraiment un art de s'habiller et de se maquiller comme ça. Elles savent tout faire : chanter, danser, créer leurs costumes. Ce sont des artistes complètes", conclut-elle, à propos des candidates de l'émission. À côté, Marthe a vu les 14 saisons de la version américaine, et a même converti sa mère : "Elle ne jure que par ça maintenant". Peu avant le début de la diffusion, elles sont rejointes par deux amies, qui ont dû attendre une demi-heure avant d'entrer. L'une d'elles, Sandrine, va regarder le show pour la première fois. "C'est ma fille qui est fan", confie-t-elle alors que des applaudissements retentissent dans tout le bar. L'épisode va commencer.

Alors que l'émission a commencé, des clients font encore la queue pour rentrer dans le Café Beaubourg.
Alors que l'émission a commencé, des clients font encore la queue pour rentrer dans le Café Beaubourg.
© Radio France - Sophie Pouzeratte

Tout au long de l'épisode, les candidates s'affrontent lors de diverses épreuves : imitation, performance sur un podium, création de costumes plus extravagants les uns que les autres, maquillages excentriques. Autant de codes que l'émission française reprend de sa grande soeur américaine, devenue un classique de la pop culture aux États-Unis : "RuPaul's Drag Race" du nom de la célèbre drag queen now-yorkaise RuPaul, qui produit et anime le show. Lancée pour la première fois en 2009, l'émission fait un carton, au point d'exporter sa franchise à l'international : France, Espagne, Canada, etc. Un succès révélateur de la place prise par le mouvement drag depuis plusieurs années.

De la contre-culture à la pop culture

Pourtant, la culture drag était loin d'être aussi populaire il y a encore quelques décennies. "Historiquement, c’est d’abord une sous-culture, arrivée dans le mime au début du XXème siècle. Elle est ensuite très vite associée à la communauté LGBT, surtout au sortir de la guerre", explique Arnaud Alessandrin, sociologue. Le drag devient ensuite une contre-culture dans les année 1990, en s'affirmant sur des bases militantes de lutte contre l'homophobie, les normes de genre, et les politiques publiques qui ont refusé de s'investir dans la lutte contre le sida. Elle est rarement représentée dans les médias grand public, à part quelques films comme "Paris is Burning" (1990), ou encore le désormais mythique "Priscilla folle du désert" (1994).

Le film "Priscilla folle du désert" est sorti en 1994.
Le film "Priscilla folle du désert" est sorti en 1994.
© AFP - Archives du 7ème art

Il faut attendre la fin des années 2010 pour voir apparaître un renouveau de la scène drag à l'international. "Netflix et RuPaul y sont pour beaucoup aux États-Unis", analyse Arnaud Alessandrin. "RuPaul était connu depuis longtemps, et la dimension burlesque du show, la notion de divertissement, plaisent à un plus grand public que la communauté LGBT". Pour le chercheur, l'émergence des théories de genre à la fin des années 90 participe à la popularisation du drag en France et à l'étranger : "Il y a une nouvelle génération de jeunes adultes qui a appris la non binarité, la transidentité, les théories queer. On reconnaît davantage la place des communautés et leur diversité".

Sous les paillettes, la lutte

Cette place, la communauté queer l'attendait depuis longtemps, comme Andrea Liqueer, drag queen bordelaise : "Il n'y a quasiment pas d'espace queer dans la société, alors c'est une chance que l'on puisse voir à la télévision des personnes qui nous représentent, et qui véhiculent de beaux messages".

Les candidates de "Drag Race France" saisissent l'opportunité de dénoncer la sérophobie ou la grossophie durant leurs performances, ou encore de pointer du doigt la précarité du milieu drag en France. "On n'est pas considérées comme des artistes, c'est très compliqué d'arriver à vivre de ses performances", regrette ainsi la Big Bertha, en pleine session maquillage durant l'épisode. "J'espère que Drag Race va faire changer les choses". Des propos aussitôt chaudement applaudis par toute la clientèle du Café Beaubourg, alors que l'émotion se lit sur les visages.