Marguerite-Jeanne Carpentier, cette peintre méconnue dont des œuvres intègrent le Musée d'Orsay
Par Christine SiméoneLe Musée d'Orsay va faire entrer dans ses collections deux pastels de la peintre Marguerite-Jeanne Carpentier. Qui est cette artiste inconnue de nos jours, qui pourtant eut une reconnaissance par ses pairs et les acheteurs au début du XXe siècle ?
Comme Berthe Morisot, Mary Cassatt, Suzanne Valadon ou Camille Claudel, Marguerite-Jeanne Carpentier entre dans les collections nationales. Sophie Rieuf, la collectionneuse qui a passé sa vie à retrouver les œuvres de cette artiste, fait don de deux pastels de 1910 et 1914, et l'acceptation d'Orsay est pour elle l'aboutissement de longues années de recherche : "Je suis sur un nuage" confie-t-elle. Le Musée d'Orsay accueille normalement les artistes qui sont nés avant 1880. Ce n'est pas la cas de Marguerite-Jeanne Carpentier, née en 1886, mais la qualité de son œuvre et son style ont convaincu sans difficulté.
Carpentier a été une artiste parisienne particulièrement douée et prolifique au début du XXe siècle. Admise parmi les premières femmes à l'école des Beaux-Arts dès l'âge de 16 ans, elle y a suivi les cursus de peinture et de sculpture, ce qui est rare, et s'est avérée une artiste de caractère et passionnée. Peinture d'histoire, scènes intimistes, toiles inspirées de légendes ou de poèmes, sculptures imposantes, Carpentier n'a ménagé ni ses efforts ni ses effets. En 1950 elle obtient le Grand Prix pour l’ensemble de son œuvre sculpté, décerné par l'Académie des beaux-arts.
Artiste prolifique en dessins, lithographies, peintures, elle n'a pas eu peur de se confronter à de très grands formats, ni à de très grandes sculptures. Inspirée par la littérature, Baudelaire notamment, elle a expérimenté toutes sortes de techniques et s'est inspirée de tous les grands maîtres de la peinture. Elle a par ailleurs tenu un journal riche et très instructif sur son travail, son époque et sa condition de femme. On y découvre notamment ses relations avec les artistes du début du XXe siècle, période pour laquelle la création des artistes féminines est peu mise en valeur aujourd'hui.
Les femmes impressionnistes sont tout à fait reconnues pour leur importance dans l'histoire de l'art, mais pour celles qui ont travaillé au-delà, les années 50 ont fait figure d'oubliettes. Pourtant Marguerite-Jeanne Carpentier a du succès en son temps, elle a été membre du Salon national des beaux-arts, où elle exposait tous les ans, et elle vivait de sa peinture et de sa sculpture car banquiers et amateurs fortunés achetaient ses œuvres.
Dans la famille de Bonnard et Vuillard
Les experts hésitent à définir son style, pas tout à fait impressionniste, abstrait parfois mais seulement dans sa touche, mais tout à fait figuratif. Les deux pastels qui sont donnés par Sophie Rieuf à Orsay sont emblématiques de cette indépendance de style. "Ils datent des débuts de Carpentier, réalistes et romantiques dans leurs sujets, mais d'une technique qui s'émancipe du léché du XIXe siècle, d'une expression plus libre, sur des papiers non préparés et marouflés sur toile", explique Sophie Rieuf. On pense à Vuillard ou Bonnard en observant ses dessins, ce qui les place naturellement dans la famille des artistes représentés au musée d'Orsay. C'est le cas particulièrement avec l'un des dessins donnés à Orsay, le portrait de Marguerite Cahun, tante de la surréaliste Claude Cahun, dans l'appartement du boulevard Raspail à Paris.
Pour le pastel de l'"Enfant endormi", Sophie Rieuf rappelle qu'"il a été réalisé alors que la peintre avait un atelier à La Ruche, lieu artistique qui a abrité les meilleurs talents de l'époque, achevé en 1913 et exposé en 1914, au Salon national des Beaux-arts. Il a ensuite été la propriété d'un des élèves de Carpentier, le Dr Laurens". Lorsqu'elle l'a exposé, Marguerite-Jeanne Carpentier a écrit : "Je constate que je suis entièrement prise par l’adoration de la lumière sur les êtres et sur les choses."
Pendant qu'elle cherchait la lumière, Braque et Picasso trouvaient le cubisme en toute chose. Le début du XXe siècle correspond en effet à l'arrivée du cubisme, puis à la peinture moderne, chemin que Carpentier n'a pas emprunté. Elle a gardé ce style figuratif et romantique, a continué de peindre des figures mythologiques et des nus, à rebours des tendances qui allaient faire basculer le monde de l'art. Bref, Carpentier n'a plus été à l'avant-garde, mais a gardé des acheteurs fidèles. "Les professionnels, les historiens de l'art d'aujourd'hui, commencent à voir que quelque chose manque dans ce que l'on dit de ce début du XXe siècle. Il y a d'autres choses à voir qu'on a mal explorées" explique Marion Boyer, la fille de Sophie Rieuf.
À sa mort, son atelier parisien de la rue Descombes a été vidé, ses toiles ou dessins vendus aux enchères à Drouot comme des vieilleries charmantes. C'est grâce au travail de récupération, de conservation, de recherche, de Sophie Rieuf et son mari, et de leurs enfants désormais, que l'œuvre de Carpentier, reprend forme, dans leur maison de Massiac dans le Puy-de-Dôme, et qu'elle est reconnue par cette entrée dans les collections du Musée d'Orsay.