Marseille : courir pour sortir de la rue

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Marseille : courir pour sortir de la rue

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L'équipe de la Bagagerie à l'arrivée du trail du Verdon avec les maillots du Benoit Z Team.
L'équipe de la Bagagerie à l'arrivée du trail du Verdon avec les maillots du Benoit Z Team.
- Alexandre Sanz

20 000 coureurs prendront dimanche le départ de la 40e Marseille-Cassis et parmi eux une équipe de sans domicile fixe coachée pendant deux mois par de vrais pros : Benoit Z, ancien détenteur du record d’Europe de marathon et Joseph Mahmoud médaillé olympique en 1984 dans le 3 000 mètres steeple.

C’est à Alexandre Sanz, qui gère la Bagagerie, un local qui permet à quarante d’entre eux de bénéficier de casiers sécurisés pour entreposer leurs affaires mais aussi d’accéder à des ordinateurs, que l’on doit le projet - sur le papier totalement fou - de faire courir des hommes dont le quotidien est rythmé par une hygiène de vie déplorable. Une initiative "inspirée par le parcours de Jean-François Lajeunesse, sans-abri, alcoolique et obèse durant une vingtaine d’années à Nantes et qui s'en est sorti en renouant avec sa passion d'enfance, le running". 

Jeune, sportif et très impliqué, Alexandre Sanz a commencé par donner l’exemple avant de se tourner vers une équipe professionnelle pour encadrer la quinzaine de SDF, au départ motivée par le challenge. 

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SDF et des membres de l'association de la Bagagerie
SDF et des membres de l'association de la Bagagerie
- Alexandre Sanz

Deux anciens champions ont répondu à son appel. Benoit Z, ancien détenteur du record d’Europe de marathon, a ouvert la porte de son équipe, le Benoit Z Team, dont il s’occupe tout au long de l’année. "Sur le premier entraînement, ils sont arrivés dans des états compliqués - c’est un euphémisme. Je me suis dit 'ce n’est pas possible, on ne va jamais y arriver'. Mais l'une des surprises que j’ai eues avec ces coureurs, c’est qu’ils sont dans un état d’esprit revanchard et qu’ils veulent montrer qu’ils sont capables". 

Joseph Mahmoud, médaillé olympique en 1984 dans le 3 000 mètres steeple et aujourd’hui, adjoint au maire à Gémenos, ne voulait pas "arriver une nouvelle fois dans une association caritative en [se] demandant où on allait et pour quel objectif à long terme, explique-t-il. Ce qui m’a convaincu c’est le but immédiat à atteindre. Une préparation physique et mentale pour participer à cette course déjà exigeante pour des coureurs entraînés. Théoriquement infaisable pour des hommes qui manquent de tout et dont les préoccupations quotidiennes relèvent de la survie". 

Grâce à ces deux anciens champions, le projet a pu avancer. Il a fallu trouver du matériel : t-shirt, baskets. Et du temps.  

Le sport passerelle vers la réinsertion

Le groupe a compté jusqu'à 15 personnes, mais au final quatre seulement sont allées jusqu’au bout de la démarche. "C’'est difficile pour eux d'avoir une vision à moyen ou long terme. La notion d'avenir n'est pas la même. Ils vivent au jour le jour" reconnait Alexandre Sanz. Mais poursuit-il "le sport est porteur de valeurs positives. Il oblige à prendre soin de son corps, ça réduit les addictions à l’alcool, aux drogues ou même à la clope. Surtout il permet de retisser le lien social car on fait partie d’un groupe : la communauté des runneurs où ce qui compte ce n’est pas qui on est, mais ce que l’on est capable de faire sur une course". 

Sébastien et Jean-Marc font partie des plus assidus. À la rue depuis plus de dix ans, ils reconnaissent que ce qu’ils vivent depuis un an leur a permis de retrouver confiance en eux. Sébastien, particulièrement affûté physiquement, a ainsi trouvé du travail cet été dans un camping après un trail dans le Verdon, avant d’être pris en stage d’insertion professionnelle par l’UCPA. "Quand on dort dehors, avec le vent, la flotte, la peur permanente de l’agression qui fait qu’on dort peu, oui on est motivé quand on nous donne cette chance". Jean-Marc qui "zone depuis 10 ans" s’est rappelé qu’avant il avait un métier : coffreur dans le BTP, et désormais il aspire à retrouver un emploi. "Ça m’a redonné confiance et ça m’a remotivé. Je vais avancer et faire des choses constructives"…

Alexandre Sanz qui gère la Bagagerie et l'un des sans domicile fixe
Alexandre Sanz qui gère la Bagagerie et l'un des sans domicile fixe
© Radio France - Olivier Martocq

Une campagne de financement participatif

La Bagagerie est gérée depuis 2012 par l’association ESP’errance. Un acronyme finement trouvé pour résumer "Étude, sensibilisation et prévention de l'errance". Durant deux heures le matin et deux heures le soir, les SDF ont accès à ce local qui est bien plus qu’une consigne. Le café coule à flot. Alexandre Sanz qui le gère, apporte son concours pour tout ce qui relève de l’administratif, et au-delà tisse des liens, ce qui est essentiel pour ne pas perdre le contact avec cette population très fragilisée. 

Devant les demandes qui se multiplient, et la liste d’attente de SDF qui s’allonge, ESP’errance cherche pour la première fois des fonds complémentaires via un financement participatif solidaire sur la plateforme de crowdfunding " Les Petites Pierres". Objectif : financer le loyer et l’entretien annuel du local pour dégager des moyens nouveaux. Montant à atteindre : 16 828 euros. Pour l'instant, et malgré la publicité faite autour de son équipe engagée dans le Marseille Cassis, la somme récoltée s’élève à un peu plus de 2 800 euros.