Mathieu Sapin : "À côtoyer les puissants, on prend le risque d’être instrumentalisé, mais on peut en jouer"
Par Anne Douhaire-Kerdoncuff
Le dessinateur Mathieu Sapin publie "Comédie française", une BD humoristique habile sur la place des artistes face au pouvoir politique. Pour sa démonstration, il tisse un parallèle entre sa situation et celle du dramaturge et poète français du XVIIe siècle Jean Racine.
Le pouvoir est fascinant
Mathieu Sapin : "Comme j’ai une vie banale, j’ai été attiré par la politique, par le fait d’être sur le lieu des opérations, de voir l’histoire en train de se faire. Cela m’a plu d’être à une place privilégiée. C’est normal d’être intéressé par le pouvoir mais il ne faut pas être dupe.
Quand on vous a ouvert la porte des coulisses du monde politique, c'est difficile de résister à une fascination.
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Le pouvoir ne me laisse pas indifférent. D’autant qu’il y a toujours un rapport de séduction très fort. Emmanuel Macron est connu pour cela. Les gens qui l'ont côtoyé témoignent tous d’une personnalité très séduisante. Je voulais aussi montrer cette ambivalence sans tomber dans la courtisanerie."
Si Emmanuel Macron avait dit oui…
Mathieu sapin : "Ce livre fait une large part à l’improvisation. Il suit ma propre réflexion. Je n’avais pas envie de faire Le Château II. Si Emmanuel Macron avait dit oui, j’aurais aimé d'essayer de comprendre ce qu'il y a dans la tête de quelqu'un au pouvoir.
Lorsque j'avais suivi François Hollande, j’avais adopté un point de vue très extérieur. Le propos était : comment se passe la vie à l’Élysée ? Là, j’aurais aimé avoir un dialogue avec l’homme Emmanuel Macron. Le côté psychanalytique m'aurait intéressé."
Si BFM avait existé du temps de Fouquet
J’ai eu l’idée d'avoir recours aux pushs et aux chaînes d'info, transposés au XVIIe siècle, pour montrer comment, par équivalence, les choses étaient connues et vécues. Mais aussi parce que je voulais rester toujours du point de vue de Racine.
L’Histoire et Paris
Avoir un père archéologue peut expliquer mon attrait pour l’Histoire. J’aime le Moyen Âge, mais je ne connaissais pas très bien le XVIIe siècle. Je ne voulais pas raconter la vie de Louis XIV, mais plutôt la vie de quelqu'un qui a observé le Roi Soleil.
Et je trouvais intéressant que cela se passe au même endroit qu’aujourd’hui : à Paris. Ce n'est pas la même époque, mais les lieux emblématiques n’ont pas tellement changé. Le Louvre reste un palais dans lequel se trouve un musée. On peut passer devant Notre-Dame. Cela m’a aidé à faire le parallèle entre les deux époques.
Le théâtre politique est toujours un peu le même
On fustige beaucoup la vie politique de notre époque, mais il n’y a rien de neuf. À l'époque romaine, à l'époque médiévale ou au XVIIe siècle, les effets de Cour, les coups tordus avaient déjà lieu. Ils sont inhérents au pouvoir.
J'aime beaucoup dans le livre, le témoignage de Nathalie Kosciusko-Morizet (ancienne Ministre de François Fillon, ndlr) que j'ai pu rencontrer et qui explique que, pour elle, tous les hommes et les femmes politiques sont fous. Elle dit qu’ils souffrent tous de psychopathologies lourdes.
Pour moi, ce n'est pas complètement faux. Pour faire une carrière politique, il faut vraiment en avoir très envie parce que c'est un milieu très dur, très agressif. C’est la jungle !
La place des artistes
Je me suis rendu compte que les artistes étaient, à toutes les époques, un moyen de rayonner pour les puissants. Quand on parle de Virgile, de Racine, ou de Vélasquez… Les artistes, parmi les plus connus et reconnus, ont fait le jeu du pouvoir. C'était leur mission. Je me suis posé la question de savoir aujourd'hui ce qu'il en était, si les artistes étaient dragués, ou non, par les hommes et femmes de pouvoir.
Évidemment, il y a une possibilité d'instrumentalisation, ne serait-ce que parce que, faire entrer un artiste dans l’enceinte du pouvoir, est une manière de dire que l’on est transparent, que l’on n'a rien à cacher. Quand j'ai fait Le Château sur Hollande à l'Élysée, bien sûr, j'étais instrumentalisé. Mais je suis conscient aussi de cela. Le but est d’arriver à en jouer. Et maintenant, je suis assez habitué.
Homme politique : jamais !
Ce que je retiens de ces années à côtoyer les hommes politique c'est que, pour rien au monde, je ne voudrais être à leur place. Ils en prennent plein la figure toute la journée. Je suis fasciné par quelque chose dont je ne voudrais à aucun prix. Et, dans le même temps, il faut, pour que la démocratie fonctionne, qu’il y ait des politiques."
Comment dessiner "Comédie française" ?
Comédie française, voyages dans l’antichambre du pouvoir, de Mathieu Sapin est paru chez Dargaud, en octobre 2020.
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