
Un nouveau bras de fer s'annonce entre Rome et Bruxelles: le budget italien n'entre toujours pas dans les clous ! La Commission européenne veut enclencher une nouvelle procédure de sanction. Matteo Salvini, auréolé de sa victoire aux européennes, a toutes les raisons de lui tenir tête. C'est "le Monde à l'envers".
L'épreuve de force avait duré plusieurs semaines, l'an dernier, entre les plus latins des européens et la plus orthodoxe des institutions. C'était la première fois que la Commission rejetait un budget national : trop éloigné des réalités, trop de dérapages pour financer des réformes sociales. On est repartis pour un tour !
Hier la Commission a en effet rouvert les hostilités en envoyant à Rome une lettre demandant des "clarifications" sur la détérioration des finances publiques. Le pays, dit-elle, n'a pas fait assez de progrès... Le gouvernement italien est tenu de répondre d'ici vendredi mais, quelle que soit sa réponse, la Commission devrait proposer mercredi prochain de lancer une procédure "pour déficit excessif".
Si la procédure va à son terme, une fois que les ministres des finances des 28 l'auront approuvée - a priori en juillet - l'Italie risque donc de se voir amputée de 2% de son PIB. Soit environ 3,5 milliards d'euros qui seront bloqués sur un compte sans intérêts
Des promesses plombées par la récession
L'an dernier Rome a finalement accepté de revoir son projet de budget pour 2019, en ramenant ses prévisions de déficit à 2.04% du PIB. Un pansement sur une jambe de bois : depuis, le pays est entré en récession (c'est le seul Etat de l'Union dont le PIB est en recul). Le gouvernement tablait sur une croissance d'1% cette année, elle sera (selon les prévisions les plus optimistes) de... 0.6%. Impossible évidemment dans ces conditions de tenir ses engagements, même si Matteo Salvini, en adepte de la méthode Coué, assure ce soir que l'économie "montre des signes de reprises"...
Ce n'est qu'une demi-surprise bien sûr, mais d'après les prévisions de la Commission européenne, le déficit italien sera en réalité de 2,5% cette année, 3,5% l'an prochain. Quant à la dette, elle atteint déjà un niveau record : plus de 133 % du PIB pour cette année, de quoi mettre en danger à la fois l'Italie, troisième économie de l'union européenne, mais aussi la zone euro dans son ensemble
Toute mon énergie sera utilisée pour changer ces vieilles règles
Mais Matteo Salvini persiste et signe. Du point de vue politique, c'est une évidence ! Le patron de la Liga, marquée à l'extrême droite, est sorti auréolé de l'écrasante victoire de son parti aux européennes (34% des voix); ses partenaires au sein de la coalition gouvernementale, les "5 Etoiles" se sont fait laminer (à tel point que Luigi di Maiao remet son mandat en jeu, ce soir, devant les militants).
Le dirigeant populiste n'a donc pas tort de dire que ce succès lui donne un plein mandat, un blanc-seing même pour renégocier les règles budgétaires de l'Union européenne. Il a toute latitude désormais pour faire passer ses réformes. Prêt par exemple à dépenser encore 30 milliards pour créer un impôt unique qui remplacerait le système actuel, créer un "choc fiscal" pour relancer le pays.
La thérapie laisse les économistes sceptiques. Mais quand les gouvernements du Nord, les Pays-Bas notamment, demandent une stricte application de la discipline budgétaire, Matteo Salvini dénonce un "deux poids deux mesures" avec les pays qui, comme la France, flirtent avec les règles de convergence économique fixées en 1992, il répond chômage des jeunes ("50% dans certains quartiers") et dénonce la « perspective purement financière" des eurocrates et des banquiers. "Toute mon énergie, dit-il, sera utilisée pour changer ces vieilles règles". C'est ce que lui demandent ses électeurs.
Bruxelles ou Rome ? Il n'y aura qu'un seul vainqueur
Le problème c'est que le vice-président du Conseil renvoie la responsabilité de la crise sur les autorités européennes, qui elles non plus ne se laisseront pas faire : l'an dernier, pour faire passer son budget, Rome a signé un accord avec Bruxelles qui implique que si les finances publiques transalpines ne sont pas en mesure de dégager des ressources pour abaisser le déficit il faudra augmenter la TVA. Ce qui serait un camouflet pour Salvini, de plus en plus en froid avec ses ministres, qui partagent de moins en moins son optimisme triomphant
Bruxelles ou Rome ? A la fin, il n'y aura qu'un seul vainqueur. En 2015, la Grèce a été la première à vouloir faire exploser le carcan européen. Résultat des courses, le premier ministre Alexis Tsipras a fini par capituler face aux demandes de la troïka et son ministre grec des finances, l'iconoclaste Yannis Varoufakis, a du laisser sa place à un profil plus docile.
C'est exactement ce qui pourrait se produire en Italie : le quotidien La Stampa évoque ce matin la possibilité d'élections anticipées fin septembre: une façon de remodeler le gouvernement pour dessiner une coalition un peu plus stable et un peu plus raisonnable capable d'approuver un budget 2020 un peu plus raisonnable... Matteo Salvini risque donc de ne pas avoir raison très longtemps.