May B – Maguy Marin
Chorégraphie Maguy MarinDanseurs Ulises Alvarez, Romain Bertet, Kaïs Chouibi, Laura Frigato, Françoise Leick, Mayalen Otondo, Lia Rodrigues, Ennio Sammarco, Jeanne Vallauri et Adolfo VargasMusiques originales Franz Schubert, Gilles de Binche, Gavin BryarsClodos célestes ou fées embourbées, dix corps aux visages blafards dansent. Ils racontent la drôlerie de l’impossibilité d’être ensemble. Ils se meuvent dans l’incapacité tragique à rester seul. Le quotidien, sublimé, fait se heurter des corps abîmés dans le clair-obscur étrange d’une vie qui tient et persiste avant la fin. Dix humains en bande, en meute, se heurtent, circulent, se cognent. Quelques mots seulement, gueulés, chantés : « Fini, c’est fini. Ça va finir, ça va peut-être finir. »Les fantoches plâtreux plongent dans l’absurdité abyssale de la comédie de la vie. Les dix clowns enfarinés forment une masse mouvante, assemblée grimaçante et loqueteuse. Ils errent, en rythme, ils tanguent, avancent par chocs ou ralentis. Sous les conseils et le regard de Samuel Beckett qu’elle rencontrait en 1980, la chorégraphe a dirigé un magma de figures d’humanité absolue. Ils n’ont fait voeu que d’« être là, sans l’avoir décidé, entre ce moment où l’on naît, où l’on meurt ».
Entretien
Vous rencontrez Samuel Beckett en 1981, avant de créer May B, en quoi ce qu’il vous dit alors va orienter votre projet ? Maguy Marin : Le projet était composé de trois parties dont une, centrale, faisait référence à des personnages spécifiques de ses pièces ou textes. Samuel Beckett a suggéré que cette partie soit aussi librement travaillée que les deux autres parties. Il m’a laissé entendre qu’il ne fallait avoir aucune sorte de crainte à creuser au-delà du respect dû à l’auteur. J’avais dans le projet, prévu de travailler sur le lieder et le quatuor de Schubert La Jeune Fille et la mort mais , à cette occasion il m’a conseillé l’écoute du Voyage d’hiver et du Chant du cygne pointant particulièrement les lied Der Doppelgänger, qui ouvre la pièce, et Der Liermann qui la clôt.Comment expliquez-vous la contradiction entre l’accueil réservé au spectacle à l’époque, et son entrée dans l’histoire du spectacle vivant? Pourquoi est-on d’abord, ainsi, passé à côté ? À cette époque-là, la danse contemporaine était dans une démarche d’émancipation par rapport aux autres arts de la scène avec une forte influence des chorégraphes américains. Le rapport à la théâtralité de la pièce a été assez mal perçu. Quant au public, la pièce le repoussait parce qu’elle remettait en question les critères habituels recherchés dans la danse - la beauté, la jeunesse, l’harmonie - en mettant en scène des danseurs avilis, sales, des êtres en proie à toutes sortes de pulsions.
S’agit-il pour vous d’une oeuvre chorégraphique ou théâtrale ? Comment aujourd’hui regardez-vous May B ? Il s’agit bien évidemment d’une forte influence du théâtre sur un travail principalement chorégraphique et jene comprends pas pourquoi il faudrait la définir dans telle ou telle catégorie.Aujourd’hui, rien n’a changé pour nous, mais je suis à la fois heureuse, surprise et assez amusée de l’accueil que le public lui réserve. Cela relativise le succès ou l’échec qui suit immédiatement la présentation d’un nouveau travail.Qu’est-ce qui fait de May B, trente ans après, une oeuvre d’aujourd’hui ? Une pièce pareillement actuelle ? May B est devenu une sorte d’établi, une plate forme de travail à partir duquel s’éprouve la question du jeu du corps, de l’écoute entre les partenaires, d’un espace à partager, travail de précision et d’artisanat. Son actualité publique nous permet de continuer à la faire vivre et à remettre en chantier pour d’autres travaux à venir, ce qui en a été le fondement.Propos recueillis par Pierre Notte