Migrants morts dans un camion frigorifique : la filière "silencieuse" des clandestins vietnamiens
Par Julie PietriFin octobre, près de Londres, 39 corps étaient découverts dans un camion frigorifique. Ces personnes, d'abord prises pour des migrants chinois, sont aujourd'hui considérées comme "probablement Vietnamiennes" par les autorités britanniques, leur identification n'étant pas terminée.
La filière vietnamienne, c'est "un monde à part", "très criminalisé", "extrêmement bien organisé" confie un policier haut placé, fin connaisseur du dossier : "Leurs passeurs sont parmi les plus redoutables". Il décrit des migrants qui voyagent la peur au ventre, qui peuvent être battus s'ils désobéissent et qui ne parlent presque jamais de leur situation ou de leur parcours. "Ces migrants sont souvent des pêcheurs, des agriculteurs, des petits commerçants issus principalement de deux provinces pauvres du Vietnam, dont celle de Nghê An au centre nord du pays" détaille Nadia Sebtaoui, membre de l'ONG américaine Pacific Links Fondation : "Ce sont des populations fortement soumises aux catastrophes naturelles et industrielles. Le Vietnam est une puissance grandissante mais les habitants de ces régions-là ont peu d'espoir d'avoir une vie meilleure. Pour eux, la seule solution est de partir en Europe pour subvenir aux besoins de l'ensemble de leur famille".
Le Vietnam fait partie des 10 pays qui reçoivent le plus de fonds de ses ressortissants à l'étranger : c'est vraiment quelque chose de très important pour l'économie de ces provinces.
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Un itinéraire souvent identique
Le trajet est souvent le même. Il a été documenté notamment dans un rapport de 132 pages, publié en 2017 par France Terre d'Asile et l'IRASEC, Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine : un vol en avion de Hanoï à Moscou avec un visa tourisme. Puis un long et éprouvant parcours à pied et en camion à travers l'Europe pour rejoindre la Belgique ou la France et enfin l'Angleterre.
D'autres "routes" ont été identifiées par la police française : un passage par la péninsule ibérique, le temps d'un travail saisonnier, avant de remonter vers le nord et des tentatives plus directes, par l'aéroport de Roissy, où les personnes détruisent leurs documents d'identité et finissent, après un passage en zone d'attente, par être relâchées. "Nous ne savons pas qui ils sont et d'où ils viennent. Et on ne peut pas dire que l'Etat Vietnamien coopère" commente un policier qui travaille sur la zone.
Violaine Husson, responsable des questions Genre et Protection à la Cimade a travaillé avec des mineurs vietnamiens, placés en rétention après leur arrestation en France. Elle raconte : "Nous avons été en contact avec eux suite à des interpellations dans des camions ou après des démantèlements de camps dans le nord de la France. Ce sont des personnes que nous ne voyons jamais lors de nos permanences. Ils ne viennent pas demander de l'assistance pour faire valoir leurs droits. Comme beaucoup de victimes de traite des êtres humains, ils ont peur, ils sont sous emprise. Les enfants rencontrés étaient âgés de 13 à 17 ans. La plupart d'entre eux se rendaient en Angleterre pour devenir, soit-disant jardiniers pour les garçons, les filles pour travailler dans des ongleries ou des salons de massage. En travaillant avec des associations côté anglais, on a appris que ces enfants étaient notamment attendus pour travailler dans des fermes à cannabis. Ces jeunes travaillent dans des conditions très difficiles, à même le sol et ne mangent parfois qu'un sandwich par jour".
Des migrants adultes se retrouvent aussi exploités dans ces fermes, selon plusieurs ONG, qui sont en fait des maisons où le cannabis est cultivé clandestinement, sous des lampes chauffantes. Ils espèrent ainsi rembourser une dette de voyage exorbitante qui peut s'élever à plusieurs dizaines de milliers d'euros. Quand aux risques pris, en montant à bord de camions frigorifiques, notamment... "Les passeurs leur expliquent que ce sera plus difficile de les repérer à bord de ces camions : ils sont hermétiques, les bruits filtrent moins et les chiens y détecteraient moins facilement les odeurs" explique Nadia Sebtaoui de l'ONG américaine Pacific Links Fondation.
"C'est probablement vrai, commente encore une source policière, les chiens doivent êtres perturbés par le froid. Mais c'est surtout tellement improbable, tellement dangereux". "Vous savez, ces migrants n'ont pas vraiment le choix : les passeurs les guident et font sauter devant eux les protections des camions stationnés sur des parkings". Ils obéissent et montent à bord, au péril de leur vie.