“Mois décolonial” : pourquoi la mairie de Grenoble a pris ses distances avec cet évènement
Par Xavier DemagnyCe festival qui vise à "déconstruire l'imaginaire post-colonial" dans le cadre de tables rondes, conférences et rencontres fait polémique. Un temps associées à l'événement, la Ville de Grenoble et l'Université Grenoble-Alpes ont finalement précisé qu'elles n'en ont jamais été partenaires.
L'événement, sur sa page Facebook, dit vouloir "déconstruire l'imaginaire colonial" et promouvoir "l'émancipation, l'écologie et la justice sociale". Mais ces dernières heures, l'organisation d'un "Mois décolonial" à Grenoble, par plusieurs associations, crée la polémique. Une initiative qui relève des "délires du racialisme et de la mouvance décoloniale" pour ses détracteurs et qui ravive le souvenir des accusations d'islamophobie à l'Institut d'études politiques grenoblois au mois de mars. Signe aussi que ces questions sont loin d'être apaisées en France.
Quel en est l'objectif ?
L'événement prévoit, sur une petite quinzaine de jours, des conférences, spectacles, concerts, rencontres, formations ou projections pour "tenter de déconstruire l'imaginaire post-colonial". Parmi les temps forts, les organisateurs ont mis en avant plusieurs tables rondes : “Décolonisons les arts”, “Écologie décoloniale”, “Pouvoir des racisées” ou “Violences policières et décolonisations”, rapporte le Dauphiné libéré.
"Partout dans le monde, les peuples expriment leur désir d’émancipation, de liberté, de renouveau. (...) C’est dans ce contexte que nous souhaitons proposer des espaces d’expression pour celles et ceux qui proposent une lecture différente, interrogent notre manière de faire société et luttent contre les assignations", écrivent les organisateurs sur la page Facebook de l'événement.
Nous nous attacherons à déconstruire l’imaginaire colonial, cet héritage du passé qui constitue le socle d’un racisme et d’une violence encore trop prégnants dans notre société. Pour en finir avec cet héritage et construire un nouveau modèle de société plus juste, il convient de faire face à ce sujet et de nous interroger sans équivoque.
De nombreuses personnalités engagées sur ces thématiques sont annoncées par les organisateurs, à l'image de l'essayiste Rokhaya Diallo, du journaliste Taha Bouhafs, de Fatima Ouassak, politologue, cofondatrice du syndicat de parents "Front de mères" ou du sociologue Mathieu Rigouste.
Qui est derrière cet événement ?
Selon ce qu'indiquent les documents qui font la promotion, cet événement est organisé par plusieurs structures et associations locales :
- Contre Courant, une association étudiante de l'Institut d'études politiques de Grenoble
- Mix’Arts, une association de "promotion et diffusion culturelle (...) dans les domaines des musiques actuelles et des arts de la rue"
- PEPS, un mouvement politique, axé sur une écologie populaire et sociale
- et Survie, une association qui lutte contre la "Françafrique"
Pourquoi fait-il polémique ?
Parce qu'il s'attaque à des sujets (très) sensibles en France en ce moment : l'islamophobie, le décolonialisme, le "racisme d'État", les réunions en non-mixité ou bien encore le déboulonnage de statues. La présence de certaines personnalités invitées comme Rokhaya Diallo ou Taha Bouhafs (pour ne citer qu'eux) est d'ailleurs souvent matière à indignation par principe, notamment à droite. Le manque de contradicteurs dans les invités est aussi pointé du doigt par ses détracteurs.
Les réactions politiques ont d'ailleurs été nombreuses. "Quand je regarde le titre [de cet événement], c'est le contraire du vivre ensemble qui est proposé", a jugé le président LR du Sénat Gérard Larcher. Deux autres réactions venues du même parti : Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a dénoncé "les délires du racialisme et de la mouvance décoloniale" et pointé du doigt la municipalité écologiste d'Eric Piolle. "Déconstruire et réécrire notre roman national sont leurs seules ambitions", a aussi estimé le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti.
À gauche, le porte-parole de Najat Vallaud-Belkacem (PS) pour les régionales, Stéphane Gemmani, a écrit sur les réseaux sociaux que "ces revendications identitaires sont totalitaires, et ces dérives menacent nos valeurs démocratiques et républicaines". La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme a également dénoncé un "branle-bas de combat identitaire". "Fidèle à l'universalisme, la Licra s'inquiète vivement de cette dérive locale", alerte l'association sur Twitter.
La mairie et l'université de Grenoble le soutiennent-elles ?
Sur plusieurs supports ( une cagnotte en ligne, certaines affiches depuis modifiées), les organisateurs du "Mois décolonial" ont mis en avant des partenaires tels que des lieux culturels de l'agglomération grenobloise (La Bobine, le Prunier Sauvage) mais également la ville de Grenoble, SciencesPo Grenoble et l'Université Grenoble-Alpes, désignés comme "financeurs".
Contactée par France Inter, la ville de Grenoble assure qu'aucune subvention n'a été versée pour l'organisation de cet événement, même si certains rendez-vous du festival auront lieu dans des locaux municipaux prêtés aux associations organisatrices. Un véritable partenariat aurait signifié un droit de regard sur la programmation, or cela n'a pas été le cas, assure l'entourage du maire. L'UGA et SciencesPo auraient pour leur part bien versé "en amont" une participation de plusieurs milliers d'euros à l'association Contre Courant pour cet événement, rapporte Marianne mais l'université, "échaudée" dit avoir découvert "la nature de la programmation après avoir versé le financement".
Dans un communiqué commun diffusé jeudi, l'université grenobloise et la mairie ont d'ailleurs remis les choses au clair : "Nous avons découvert par voie de presse de nombreuses évolutions de programmation, non partagées en amont par les organisateurs, ainsi que des niveaux d’engagements, tels que 'partenariat', qui n’ont pas été validés", assure le texte.
Il a été demandé aux organisateurs de "retirer les marques de soutiens officiels de nos institutions dans l'ensemble de leur communications".
Dans une série de tweets, le maire écologiste Éric Piolle a ajouté jeudi matin que la Ville de Grenoble "est une institution publique qui n'a pas à être pas associée, en tant que telle, à ce festival militant" tout en estimant que "la tenue de ce festival est légitime", au nom de "la liberté d'expression et de débat", "fondamentale" en démocratie.
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Ce qu'en disent les organisateurs
"Nous avons fait une demande de subvention auprès de la ville de Grenoble et rencontré des élus qui semblaient favorables au projet", a expliqué pour sa part Nadia Kirat, membre du mouvement politique Peps Isère (co-organisateur), interrogée par France 3 Alpes. "On avait compris qu'ils nous soutenaient, donc ils apparaissent comme financeur sur nos affiches. Mais nous réfutons le fait que la ville porte le projet."
Cette mise en retrait a fait réagir plusieurs participants dont Taha Bouhafs et Rokhaya Diallo. Pour le premier, la ville dirigée par Éric Piolle a ainsi "cédé à l'extrême-droite", se couchant "face aux injonctions racistes". Joint Par France Inter, il affirme que "plusieurs élus ont soutenu l'évènement et ont demandé à participer à l'évènement". Sur Twitter, Rokhaya Diallo ajoute : "En toute lâcheté, la Ville de Grenoble, SciencesPo et l’université de Grenoble désavouent un événement parce qu’il doit me recevoir ainsi que Taha Bouhafs. Moins de 24h pour qu’une municipalité de gauche s’incline face la pression de l’extrême-droite : honte à Eric Piolle".
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Pour un autre des intervenants du festival, Mathieu Rigouste, cela "prouve encore une fois la complicité de la gauche institutionnelle avec l'histoire coloniale et raciste de la société française".