
Ce n’est pas une biographie, mais la réunion de tout ce qui a trait à la plume de cet homme qui a mangé du cinéma toute sa vie et qui a animé la Cinémathèque Française, chargée de conserver et de programmer des films.
Adolescent, à la fin des années 20, il admire les films muets, plus tard il les rassemble et les projette, tout en découvrant et valorisant le cinéma parlant. Langlois aime les cinémas, il sauvegarde le muet mais il admire aussi John Ford, Rosselini, Cocteau et encourage ceux de son temps, Godard, Chabrol, Philippe Garrel. Au fil des pages, un ogre se dessinne qui veut tout conserver, ne pas sélectionner, non, surtout rester ouvert. Il clame, souvent : « Il y a de mauvais films qui restent de mauvais films, mais qui, avec le temps, peuvent devenir extraordinaires ! » et prône l’importance du doute. On le dit colérique, désorganisé, Malraux le remercie en 68 or une mobilisation internationale lui permet de garder sa place et de sauver de l’oubli des milliers de films. Il peut écrire sur chacun d’eux, qu’ils soient italiens, scandinaves, grec, américain ou français.
Vous trouvez ici des entretiens accordés à des journaux comme « les Cahiers du Cinéma ». En 62, il répond à Eric Rohmer et déclare:
« Indépendamment de la collection, une cinémathèque, c’est un musée avec une salle de projection. Dans ce musée, il faut pouvoir initier les masses et donner satisfaction aux cent personnes qui s’intéressent passionnémment au patrimoine cinématographique ».
Vous lirez avec passion des interviews mais surtout des carnets de notes, des programmes pour la cinémathèque (il écrivait tout et tout seul), des récits de voyages… Se constitue au fil des pages une autobiographie de ce Monsieur Cinéma du 20è siècle et une histoire subjective du cinéma.
La passion de cet homme est contagieuse parce que cet homme est pédagogue. Un exemple. Il est spécialiste, entre autres, du cinéma muet et fait revivre Mélies par ces mots, Mélies, l’un de ces grands artisans du cinéma muet, inventeur des trucages au cinéma, auteur de « vingt mille lieues sous les mers » ou du « voyage dans la lune » :
« Georges Mélies est l’un de ceux qui personnifient pour toujours la Belle Epoque. A Paris, il passe sur les Grands Boulevards avec sa femme et ses maîtresses; mais dans l’ancienne propriété de la famille, à Montreuil sous bois, où il a construit en 1896, le premier studio de prises de vue au monde, c’est l’enfant qui renaît. Dans ses films, le grand bourgeois disparaît et c’est tout l’univers des livres dorés sur la tranche des distributions de prix qui revit ; celui des contes de fée revus par la lanterne magique, celui du tour du monde, celui des illustres funambules et de l’illusionisme, des faux meubles gothiques en peluche à franges ».
Langlois aime tellement le cinéma qu’il contamine le lecteur. A la Cinémathèque, qu’il crée en 1936, avec d’autres, comme le cinéaste Georges Franju, il présente les films qu’il programme. C’est un orateur mais aussi, et on le découvre, un homme qui aime écrire. Dès l’enfance. Avec une écriture accessible, proche de la parole.
Les pages de son carnet sont peut-être les plus belles du livre. Quand ce gamin né à Smyrne (aujourd'hui , Izmir, en Turquie) émigre en France, il déteste l’école. Son père se fâche. L’enfant s’évade au cinéma et dans ses rêveries. Il parlera toujours du cinéma comme d’un rêve et du spectateur comme d’ un « dormeur éveillé ». Le bac, il s’en moque ! Ce qui compte, c’est la vie intérieure. Il quitte même une salle d’examens en prétextant qu’il ne doit pas rater la sortie d’un film de Pabst.
Encore une citation picorée dans ce livre passionnant, ils sont signés de l’adolescent Langlois, dans les années 30 :
__ « Le rêve est si puissant en moi que je vis quand je rêve et qu’au contraire, je rêve quand je vis ».
Henri Langlois, Ecrits de cinéma. Une exposition a lieu à la Cinémathèque Française jusqu'au 3 août.
http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/centenaire-langlois/