
Si elle était présente, elle lancerait son irrésistible cri de guerre: « Morte, je peux encore écrire » .
De Duras, au-delà de son oeuvre, on garde le souvenir de ses excès. Cette façon qu’elle avait dans une interview de dire « Duras" , comme si elle se vivait comme un personnage échappé de l’un de ses romans, incapable de faire la part des choses entre sa vie et l’écriture romanesque de sa vie : son enfance en indochine, sa mère désespérée et peu aimante. Même quand Duras parlait cuisine (elle aimait cuisiner), elle parlait comme elle écrivait. Quelque chose entre l’écriture et la chanson.
« Se faire à manger pour soi, je veux dire, se faire à manger pour soi, seule, un bœuf bourguignon, par exemple, c’est l’acceptation totale, absolue, du desespoir ».
L’un de ses comédiens confie : « Avec Marguerite, on parlait surtout de … Marguerite ».
Duras « parlant » de tout, a toujours évolué sur un fil, entre le génie, le génie romanesque et le ridicule. C’est son style. On l’aime ou il vous exaspère.
Heureusement, les événements liés au centenaire de sa naissance dépassent la légende et l’anecdote. Ils rappellent avec bonheur quel auteur et quel grand personnage de la littérature elle fut.
Laure Adler a déjà publié une biographie sur la romancière du Ravissement de Lol V Stein. Elle sort avec Delphine Poplin, chez Flammarion, un album magnifique,"Marguerite Duras", l’album d’une vie. On oublie la Duras de l’excès pour rester fidèle à son parcours dans la vie et en littérature, de façon chronologique, avec beaucoup d’images. Iconographie remarquable. Oubliée la Duras en sous-pull et sans cou, grosses lunettes sur le nez. Revit celle que l’on connaît moins, avec des photos méconnues, la belle Duras, jeune fille en Indochine au sourire sage, des romans moins sages à venir plein la tête. Duras a fait de sa vie un roman. Personne ne sait démêler le vrai du faux. Adler parle d’une adolescence « foyer incandescent » de l’œuvre de Duras. Une « vie-roman ». S’ajoutent donc aux photos ce qui a trait à l’écriture, des extraits de manuscrits, des pages de scénarios, des lettres d’éditeurs ou les pages dactylographiées de « l’Amant », son Goncourt. Parfois, des extraits de roman accompagnent des photos, bien choisis ; ils vous donnent envie de lire ou de relire Duras), comme cet extrait de « la Vie tranquille », 1944, où Duras parle magnifiquement de la mer.
« Un soir, j’ai été près de la mer. J’ai voulu qu’elle me touche de son écume. Je me suis étendue à quelques pas. Elle n’est pas arrivée tout de suite. C’était l’heure de la marée. Tout d’abord, elle n’a pas pris garde à ce qui se tenait couché là, sur la plage. Puis je l’ai vue, ingénument, s’en étonner, jusqu’à me renifler. Enfin, elle a glissé son doigt froid entre mes cheveux. Je suis entrée dans la mer jusqu’à l’endroit où la vague éclate. Il fallait traverser ce mur courbé comme une mâchoire lisse, un palais que laisse voir une gueule en train de happer, pas encore refermée ».
Dimanche, Arte consacre une partie de la journée à la romancière. Vous verrez « Hiroshima mon amour » et « l’Amant ». Le journaliste Pierre Assouline proposera un documentaire inédit sur Duras, et à minuit, vous pourrez voir deux films que son ami, son ancien assistant, le cinéaste Benoît Jacquot lui a consacré. Il l’a interrogée en 1993, après un coma de plusieurs mois. La voix est difficile, mais la pensée et les propos restent très clairs.
Dans le film « Ecrire », elle parle de l’écriture, dans « la mort du jeune aviateur anglais », elle raconte une histoire qui la bouleverse. C’est presque un conte. En 1941, dans un village normand, un aviateur britannique de 20 ans est tombé sous les balles allemandes. Les villageois français ont extrait la dépouille du jeune homme de son avion coincé dans des arbres, ils l’ont porté en terre et depuis, ils ont toujours fleuri sa tombe. L’histoire est simple, mais narrée par Duras, avec ses silences et son interprétation de l’histoire, elle devientt un récit éblouissant. On croirait qu’un roman s’écrit en direct sous nos yeux, un roman ou un film, d'ailleurs. Duras s’approprie l’histoire. Elle associe à la mort de celui qu’elle appelle « l’enfant », la mort de son petit frère, Paul.
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Le cinq sept 2013 - Chro M Duras 1/2
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« S’il n’y avait pas de choses comme ça, conclue Duras, l’écriture n’aurait pas lieu ».
A son dernier compagnon, Yann Andréa, qui lui demandait à quoi servait l’écriture, elle répondait : « C’est à la fois se taire et parler. Ecrire, ajoutait- elle, ca veut dire aussi : chanter, quelquefois ».
Le cinq sept 2013 - Chro M Duras 2/2
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http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2014/04/04/ecrire-et-la-mort-du-jeune-aviateur-anglais-entretien-avec-benoit-jacquot/
"Marguerite Duras", Laure Adler avec Delphine Coplin, Flammarion