Moyens de la justice : il manque en France au moins 1.500 juges, selon les présidents de tribunaux
Par Lorélie CarrivePendant deux ans, les présidents de tribunaux ont planché sur la mise en place d'un outil permettant de quantifier la charge de travail des magistrats du siège, et d'en déduire les moyens manquants. Conclusion : un accroissement de 35% des effectifs est nécessaire pour pallier les besoins urgents.
Le chiffre a de quoi donner le tournis. Il manque au bas mot 1.500 juges aujourd'hui en France, d'après les calculs des présidents de tribunaux judiciaire, qui ont mis au point un nouvel outil permettant d'évaluer la charge de travail des magistrats du siège. Ce calcul est le résultat d'un travail de fourmi, lancé il y a deux ans, qui s'appuie sur les données de 108 tribunaux judiciaires (hors tribunal judiciaire de Paris, qui doit procéder à sa propre évaluation), soit les deux tiers que compte le territoire français. Le but : calculer de façon la plus fine possible, poste par poste et tâche par tâche, la charge de travail des juges, au pénal comme au civil.
Combien de temps en moyenne un juge aux affaires familiales passe-t-il sur un dossier de divorce ? Combien de temps pour un juge des loyers commerciaux ou un juge de l'expropriation ? Après un long travail d'expertise, de croisement des données, celles-ci ont été traduites en équivalents temps plein.
Absorber la demande, sans augmenter les délais
Au bout de l'addition, la conclusion est sans appel : il faudrait un accroissement de 35% des effectifs des juges. "Et encore, ce ne sont que des besoins urgents. Autrement dit pour absorber les flux, la demande de justice, sans créer un nouvel allongement des délais", insiste Benjamin Deparis, président de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ) et à la tête du tribunal judiciaire d'Évry. Le chiffre ne tient pas compte des besoins conjoncturels, pour remplacer les magistrats en arrêt maladie ou congé maternité.
Cet outil offre donc une "photographie sincère", "non exagérée" de la situation dans les juridiction, souligne Benjamin Deparis. Il est surtout le premier référentiel complet et national qui soit disponible. Le ministère de la Justice planche depuis des années sur un projet comparable, mais celui-ci n'a à ce jour pas abouti.
Sortir du déni
Reste à savoir l'utilisation qui en sera faite. Trois mois après la publication dans "Le Monde" d'une tribune signée par près des deux tiers des magistrats et dénonçant la souffrance de la profession, Benjamin Deparis estime que ces besoins chiffrées peuvent permettre de "réamorcer une lueur d'espoir" en constituant une base tangible sur laquelle avancer.
"Les collègues ont besoin que des trajectoires soient construites. On a trop longtemps fonctionné dans le déni, en faisant toujours plus avec moins, et sans rien compter. Aujourd'hui, les choses sont sur la table de façon transparente." Dans tous les cas, les choses prendront du temps. Entre les départs à la retraite et le temps de formation des magistrats. "Pour 1.500 juges en plus il faut compter 10 ans minimum", estime le président du tribunal judiciaire d'Évry.